Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Chère Mardi Noir,
J'ai zéro intimité en ce moment, je suis 24 heures sur 24 avec ma mère et mon père qui est problématique, parce que ma maman est en pleine chimio, et c'est usant. J'ai dû mettre sur pause ma vie d'adulte de 42 ans, célibataire, indépendante. Mais bon, c'est pas pour rien, ma présence lui fait du bien. Je fais tampon, par rapport à mon père, tellement tampon que j'ai fait une crise d'eczéma il y a quelque temps.
Mon père est problématique depuis toujours. Je suis issue d'une famille nombreuse, d'origine algérienne. Ma mère est quelqu'un de cultivé, d'ouvert sur le monde, même si elle a ses traditions. Mais elle a aussi été élevée dans la tradition de tout sacrifier pour la famille, pour le mari. Il n'a jamais eu à lever le petit doigt, ce qui fait que quand elle est tombée malade, eh bien, il n'en a rien eu à foutre. Et ça, ça m'avait déjà marquée en 2018, quand elle était tombée malade pour la première fois et qu'elle a dû être amputée pour un diabète non diagnostiqué.
Je vais essayer de dire les choses clairement: mon père est une sous-merde, c'est comme ça que je le vois. Je travaille ça depuis longtemps avec ma psy. Et je me pose plein de questions, parce qu'on est nombreuses à avoir eu des pères qui sont des sous-merdes. Les pères qui sont présents mais qui sont inutiles, ou pire qui font du mal aux autres, car il a été violent physiquement et moralement, je ne sais pas quel dommage ça crée. En fait, quand on en a pris conscience et qu'on a eu ça comme modèle masculin (même si j'en ai eu d'autres heureusement, frère, grand-père, oncle), à quel point ça joue sur la misandrie?
À quel point ça bousille mon idée de rencontrer quelqu'un de bien? Pourtant, j'ai été en couple pendant treize ans et j'ai fait des rencontres intéressantes.
En fait, je ne comprends pas ma mère, moi je la protège et je lui demande: pourquoi reste-t-elle avec ce mec nocif? D'ailleurs, ma mère ne comprend pas mon choix d'être seule plutôt que mal accompagnée, même si théoriquement elle l'admet. Elle peut être rationnelle, mais pourquoi ne l'applique-t-elle pas à sa vie alors? Je crains qu'elle ait peur de l'abandonner. Alors qu'il n'est même pas là quand elle en a besoin.
À quel point ça va m'atteindre, tout ça?
Louisa
Chère Louisa,
Déjà, félicitations pour cet e-mail riche en contexte et en contenu. Il y a de quoi dire! Comme à mon habitude, je vais soulever des hypothèses, au pire je suis à côté de la plaque, au mieux vous pourrez les utiliser comme pistes de réflexion.
Votre père me semble prendre beaucoup de place. Peut-être même trop de place par rapport à la question qui vous agite: celle d'une possible misandrie dont il serait la cause. Or, vous évoquez également une relation longue, de laquelle vous ne vous plaignez pas, et vous dites faire des rencontres intéressantes.
Vous partagez aussi avec nous le fait d'avoir eu des modèles masculins plus admirables. Vous avez dans l'idée que peut-être tous les hommes ne seraient pas des sous-merdes. Loin de moi l'idée de vous empêcher de devenir misandre, seulement, dans votre cas, je n'ai pas la sensation que ce soit la juste question.
J'ajouterais: comment trouver un mec bien quand on a une mère qui a choisi de rester avec une sous-merde?
Malgré vos nombreux efforts pour mettre le focus sur votre père problématique, qui au demeurant doit l'être, je vous crois sur parole, votre e-mail est traversé de questions moins frontales mais tout aussi présentes. Notamment celle-ci: «Pourquoi ma mère reste-t-elle avec ce mec nocif?» Alors, il ne s'agit pas de répondre à sa place, ni même d'obtenir LA raison de son choix à elle, vous en avez d'ailleurs une petite idée, ne pas l'abandonner, ne pas être seule. Il doit y en avoir d'autres et peu importe.
Ce qui nous occupe ici, c'est que c'est votre question à vous! Pourquoi votre mère reste-t-elle avec cet homme qui ne la protège pas, au contraire de vous? Comment trouver votre mec bien si vous êtes déjà le mec bien de votre mère?
Fantasmatiquement, c'est vous le mari dans cette histoire, jusqu'à faire des plaques d'eczéma, certes pour faire tampon entre vos parents et peut-être aussi pour vous montrer que la situation est brûlante. Vous n'avez pas d'intimité, dites-vous, mais vous vous retrouvez en plein cœur de l'intimité de vos parents, par nécessité. Votre mère est malade et a besoin de soutien et j'entends votre envie d'être à ses côtés. Il ne s'agit pas de faire autrement, seulement, si j'ai bien compris, vous vous trouvez dans un contexte bouleversant, et ce contexte, il vous faut le penser; je ne doute pas que vous le faites déjà.
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Enfin, et là je suppose, je tente, j'essaie une piste: comment trouver un mec bien quand on a un père qui est une sous-merde? Ça, c'est votre question. J'ajouterais: comment trouver un mec bien quand on a une mère qui a choisi de rester avec une sous-merde? N'y a-t-il pas une crainte inconsciente de blesser votre mère en trouvant ce mec bien? Non pas qu'elle serait blessée pour de vrai, je parle bien de vous ici qui dites la protéger, ne pas l'abandonner –ce sont des termes très forts.
Être avec un mec bien serait donc renoncer à faire corps avec votre mère. Peut-être préférez-vous qu'elle ne vous comprenne pas plutôt que de prendre le risque qu'elle vous envie et vous en veuille? Je parle toujours pour vous ici, il ne s'agit pas des sentiments de votre mère. Ma question serait celle-ci: quelle place inconsciente occupez-vous auprès d'elle?
Pour conclure, et d'après ce que vous m'avez écrit, je dirais que votre père et sa réalité néfaste font barrage à vos interrogations. Mais pas tant que ça, parce qu'elles traversent votre récit, elles s'inscrivent dans votre réflexion et je n'ai fait que les épingler.