Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Chère Mardi Noir,
Je vous écris parce que je me pose en permanence beaucoup de questions, mais une en particulier qui concerne la capacité de mon psy (ou un autre, en ayant déjà consulté une bonne dizaine depuis vingt ans) à m'apporter de l'aide, ou en tout cas à faire que j'évolue dans le bon sens étant donné mon traumatisme. Je suis un homme et j'ai eu («subi», dirait ma psy) des relations sexuelles avec ma mère, de mon enfance à mon adolescence.
Je sais que je ne fais confiance à personne, même pas à ma conjointe, mais je n'y arrive pas...
Laurent
Cher Laurent,
Merci pour vos interrogations que je trouve très précieuses. Déjà, j'aimerais soulever cette idée qu'un psy soit en capacité d'apporter de l'aide ou de faire évoluer dans le bon sens. Qu'est-ce que ce «bon sens»? Oui, le «bon sens» collectif, juridique, citoyen et même civilisationnel est qu'une mère ne doit pas avoir de relations sexuelles avec son fils. Ça, c'est du bon sens. J'imagine bien que vous parliez, vous, d'un bon sens pour, au choix: «aller mieux», «traiter ce traumatisme comme il se doit», etc. Sauf qu'il faudrait déjà trouver un sens voire reconnaître un «hors sens» à cette situation. Donc vous avez parfaitement raison de questionner la capacité d'un psy à vous faire avaler le bon sens d'un tel événement.
Ensuite, en ce qui concerne l'aide qu'un psy peut vous apporter, encore une fois, vous êtes sur la bonne piste! Un psy n'est pas quelqu'un d'aidant, il peut lui arriver de porter secours s'il y a un signal de détresse mais au fond, un psy est là avant tout pour vous entendre, pour vous proposer une relation thérapeutique ou une écoute analytique, décalée.
Et là, je m'interroge sur votre expression «j'ai eu («subi», dirait ma psy) des relations sexuelles avec ma mère». Vous dites «j'ai eu» mais vous corrigez instantanément avec le propos de votre psy. C'est extrêmement délicat ce que vous amenez ici, mais j'ai le sentiment que vous dire que votre mère n'avait pas le droit de vous faire subir ces relations sexuelles n'apportera rien à vos réflexions en cours. Vous le savez déjà.
Les relations sexuelles entre parents et enfants sont subies par l'enfant. Mais dans votre psyché, peut-être que cela n'est pas si clair.
L'inceste est un grand tabou culturel et pourtant, cela arrive dans beaucoup de foyers. Il est en effet important de rappeler son caractère interdit et les dommages que cela engendre sur celles et ceux qui l'ont subi. Mais il est impossible de s'en tenir là. Surtout chez un psy. Je ne sais pas si un psy apporte de l'aide ou fait évoluer dans le bon sens, je ne suis même pas sûre que cela fasse partie de sa mission première; ce dont je suis presque certaine en revanche, c'est qu'un psy est là pour entendre l'inaudible. L'inaudible de ce qu'il convient de dire en société.
Je précise. Il est fondamental que la société ait un discours normatif, simple, clair sur la condamnation de l'inceste et qui peut s'énoncer ainsi: les relations sexuelles entre parents et enfants sont subies par l'enfant. Mais dans votre psyché, peut-être que cela n'est pas si clair. C'est ce «j'ai eu» qui me met la puce à l'oreille. Et bien sûr, je me trompe peut-être.
S'il y a bien un lieu pour explorer ce «j'ai eu», c'est dans le cabinet du psy. Non pas forcément pour accéder à la pensée commune d'un «j'ai subi» (même si, bien évidemment, ça peut être le sens que prendrait cette exploration) mais surtout pour que vous puissiez accéder à la singularité irréductible à celle d'un autre de ce traumatisme.