Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Chère Mardi Noir,
Je suis très angoissée, l'école de mon fils me demande de tester mon enfant chez un psychologue car il transgresse les règles et «investit trop certaines choses» (la lecture et le langage) au détriment d'autres choses.
Que dois-je faire?
Merci de votre aide,
Cathy
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Chère Cathy,
Merci pour cette question qui touche à un sujet qui me tient à cœur! À savoir cet excès de regard qu'on porte sur les enfants et leurs comportements. Trop inhibé, trop excentrique, trop agressif, trop dans le jeu, trop dans son monde...
Me vient d'emblée un souvenir d'enfance. Dans ma classe de maternelle, il y avait un garçon qui n'avait pas tellement de copains, restait dans son coin ou voulait jouer avec nous mais avec ses idées bien à lui. Il s'identifiait à un ascenseur, et je parle là de véritable obsession: tous les jours pendant deux ans, il passait ses récréations à faire des bruits de machine, de boutons, de portes qui s'ouvrent et se ferment, il venait nous voir et nous proposait de monter, parce qu'il était un ascenseur. Parfois, on l'envoyait balader et parfois, on acceptait de «monter» deux minutes pour avoir la paix. Il était un peu bizarre, il faut bien l'avouer.
Aujourd'hui, je crains qu'une bonne partie qualifierait son comportement d'autistique: dans son monde, à sautiller, avec une idée fixe, qui plus est du côté de la machine. Oui, quelque chose ne tournait pas totalement rond chez lui, il n'était pas fondu dans la masse et la moyenne des autres enfants, mais et alors? Je sais qu'aujourd'hui, il a une carrière très intéressante et plurielle; cette bizarrerie n'a apparemment pas été un problème majeur!
Une amie psy m'a dit récemment: «Je suis effarée et scandalisée en ce qui concerne la prise en compte des troubles psy, on est vraiment passé du “sur-mesure” à LA surmesure.» Et force est de constater qu'il y a actuellement une passion (plutôt triste) à vouloir pathologiser des enfants, des personnes –parfois même avec leur aval, parce qu'expliquer tout ce qui déconne par un acronyme (TDAH, HPI, etc.) peut soulager– qui sont, au fond, des êtres singuliers, irréductibles les uns aux autres. On passe alors toute une batterie de tests pour parfois même être sacrément déçu!
Je me souviens d'une mère de mon entourage. Le personnel du collège l'avait encouragée à tester son fils: manque de concentration, inquiétude, dans son monde. Elle avait limite l'espoir qu'on lui annoncerait que son fils était haut potentiel intellectuel, ce qui aurait eu la vertu d'expliquer les tonalités jugées désaccordées de son fils. Les résultats ont été sans appel: il est dans la norme. La mère l'a pris du côté de la catastrophe. Pas de sésame HPI pour expliquer le manque de concentration de son enfant et un désarroi: que faire? Y a-t-il même quelque chose à faire?
J'ai tendance à penser que braquer tous les regards et se focaliser sur ce qui ne va pas, ne fonctionne pas ou n'est pas totalement dans le schéma de la norme, produit un effet inverse à ce qui est souhaité. Être parent est angoissant, on craint pour la sécurité de son enfant, on espère qu'il ou elle sera satisfait de sa vie, on pense au monde dans lequel on évolue. Et vous commencez votre e-mail exactement par ce constat: vous êtes angoissée. C'est une très bonne chose! Vous avez dans l'idée que répondre à cette injonction qui vous est faite sans la questionner n'est peut-être pas la bonne voie. Imaginons que vous fassiez passer ces tests à votre fils: soit il n'y a rien et vous repartez bredouille, case départ. Soit les tests trouvent des variantes écartées de la norme et vous aurez un protocole de suivi. Certains adorent ça, les protocoles, passer des étapes, être ou ne pas être dans telle case, se donner des objectifs.
Certains préfèrent en parler. M'est avis que vous avez besoin de parler, chère Cathy. De votre fils, de vos angoisses, de ce que cela vous a fait qu'on vienne vous dire que votre enfant n'était pas conforme au modèle normé de son école. Mon conseil est de laisser tomber cette histoire de test, au moins pour le moment. Aucun test ne peut être fait dans de bonnes conditions avec un ou des parents sur-angoissés pour accompagner cette démarche. Allez consulter un psychologue qui saura vous écouter (tous les psychologues ne font pas des tests) et qui pourra recevoir votre enfant, si cela vous rassure. Il est possible aussi que votre parole, adressée à un psy, ait des effets sur votre enfant. Si l'angoisse se transmet, l'apaisement aussi. Vous répondrez ainsi à l'injonction de l'école mais vous lui ferez faire un pas de côté!