Santé

«Comment savoir si je suis influencée par mon enfance ou s'il se fout de ma gueule?»

Temps de lecture : 4 min

Cette semaine, Mardi Noir conseille une femme qui a traité en thérapie ses traumatismes de jeunesse mais se retrouve complètement perdue face à son mari, qui l'a humiliée et trompée à plusieurs reprises.

«Il paraît bien sincère à tout le monde, sauf à moi.» | Eric Ward via Unsplash
«Il paraît bien sincère à tout le monde, sauf à moi.» | Eric Ward via Unsplash

Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.

Chère Mardi Noir,

Voici mon «pedigree»: je suis née dans une famille dysfonctionnelle où régnait la violence conjugale, puis ont eu lieu un divorce, un remariage et la descente aux enfers. J'ai subi séquestration, viols, coups, insultes, menaces, jusqu'à mes 18 ans.

À 19 ans, j'ai eu mon premier enfant. J'ai aujourd'hui 24 ans et quatre enfants. Depuis le début de la relation avec mon mari, ça n'a jamais fonctionné. Il m'a trompée encore et encore, menti sans cesse. Il m'a dit des choses très humiliantes. Jusqu'au jour où je lui ai dit «je te quitte et j'emmène les enfants avec moi». Depuis, c'est un ange. Oui mais, moi et ma vie de chiotte depuis la naissance, on n'est pas dupes. Disons que je le crois à 1% quand il dit «je regrette, j'ai honte de moi, plus jamais je ne te ferai de mal». Il paraît bien sincère à la psychologue qu'on a vue dans le cadre d'une thérapie de couple. Il paraît bien sincère à n'importe qui est au courant de l'histoire, à vrai dire. À tout le monde, sauf à moi.

Alors comment savoir si je me laisse influencer par mon enfance calamiteuse qui me fait voir tout en plus négatif que ça ne l'est, ou si effectivement j'ai vu juste et qu'il se fout de ma gueule, qu'il n'a pas de remords ni l'intention de me respecter à l'avenir? J'ai vu treize thérapeutes en tout dans ma vie (psychologues, psychiatres, sophrologues, etc.) pour tenter de me remettre au mieux de mes traumatismes d'enfance. Je pense être devenue très consciente de moi-même via ce processus. Je suis très au clair avec tous mes tourments sauf concernant mon mari, là je suis complètement perdue. Si vraiment il regrette, je suis prête à pardonner, je me sens assez miséricordieuse pour cela. Mais comment savoir s'il ment encore? Je souffre, aussi bien à l'idée de le quitter, que mes enfants soient des enfants de divorcés, que de rester dans une relation basée sur le mensonge. La seule option qui me convient, c'est celle où il est sincère, et ce n'est pas sous mon contrôle. Alors, que puis-je faire pour souffrir moins? J'ai l'impression d'avoir épuisé toutes mes options thérapeutiques.

Anonyme

Chère Anonyme,

Merci pour ce message. Comme vous le dites très bien, vous semblez très au clair vis-à-vis de vos «tourments», et le fait même de repérer que ce n'est pas le cas vis-à-vis de votre mari est déjà un début de clarification. Vous saisissez qu'ici il y a un point aveugle, un point de butée, un impossible à résoudre facilement. Et ce qui vous soulagerait serait qu'il soit sincère, quelque chose qui échappe à votre contrôle. C'est sans doute ça qui doit être le plus douloureux pour vous.

Je lis régulièrement ici et là qu'on ne peut pas tout contrôler, qu'il faut savoir lâcher prise sur ce qu'on peut ou ne peut pas, que tout n'est pas de notre ressort. Effectivement, tout ceci est vrai. Seulement, dans ce que vous écrivez, c'est cette part d'énigme, cette part qui n'est pas en votre pouvoir qui est la condition de résolution de ce problème de couple. Au fond, vous aimeriez laisser entre les mains de l'autre votre soulagement.

Or, vous allez d'une manière ou d'une autre devoir vous positionner, que ce soit dans la croyance de ses excuses, quitte à être de nouveau déçue (ou pas) ou dans le refus de le croire. Il y a également la possibilité de ne pas prendre position mais dans ce cas, vous restez à la merci de l'autre, d'une certaine façon. Laisser toute place à l'autre pour être convaincue, c'est abdiquer de sa subjectivité. Comme si la sincérité de votre mari était objective –sauf qu'elle ne peut pas l'être, ce n'est pas une donnée matérielle.

Sa «sincérité» s'inscrit dans une histoire de couple avec vous. Votre méfiance aussi. Certains peuvent supporter qu'on leur mente, d'autres non. Le curseur de la vérité n'est pas au même endroit pour tous. Pour souffrir moins, il va falloir vous pencher sur les raisons de ce couple, de ce qui vous a poussée à vous unir à lui, décortiquer ce qui vous a plu, vous a déplu et interroger cet ensemble à la lumière de votre histoire.

Il ne s'agit plus ici juste de traiter la souffrance, mais d'éclairer votre position.

J'espère ne pas trop tomber dans la psychologie de comptoir en affirmant ceci, mais s'il y a bien quelque chose qui est censé nous donner une illusion d'objectivité, c'est la sécurité et l'amour qu'on reçoit enfant. Je parle bien d'illusion car même quand ça se passe à peu près bien, en grandissant, on a tout le loisir de vérifier que c'est un peu plus complexe qu'un amour inconditionnel des parents vis-à-vis des enfants. Sauf que c'est indéniable, cette illusion est douce et réconfortante.

Vous avez fait l'expérience très jeune, même trop jeune, du fait qu'on ne peut pas faire confiance aux autres. Aujourd'hui, vous attendez peut-être de votre mari qu'il occupe cette place presque certaine d'amour et de sécurité. Or, vous dites également que c'est lui en demander beaucoup, lui qui, d'après ce que vous écrivez, est un adepte de la tromperie, du mensonge et des humiliations.

J'entends que c'est épuisant de travailler sur soi, surtout quand on a subi pas mal de choses. Il y a presque un sentiment d'injustice qui peut apparaître. On me cause de la souffrance et c'est à moi de la traiter. C'est ce que vous avez fait. Vous avez trouvé des moyens de traiter cette souffrance. C'est déjà énorme. Là, ce qui vous arrive, c'est l'étape d'après, c'est une question. Que faire de cet autre trompeur, que faire de ces personnes qu'il faut choisir ou non de croire?

D'autant que les relations humaines se fondent sur ces malentendus. On ne se comprend pas, on se ment, on se trompe, on se convainc, on argumente. Notez que le verbe «croire» porte bien sa définition: il y a toujours un doute, c'est un choix. On prête sa confiance littéralement et on peut la reprendre. C'est un choix qui peut évoluer. On peut croire un jour et changer d'avis. Bref, vous l'aurez sans doute compris, il me semble nécessaire d'entamer un travail précis à partir de cette question. Il ne s'agit plus ici juste de traiter la souffrance, mais d'éclairer votre position.

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