Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Chère Mardi Noir,
Je t'écris parce que je me trouve face à un problème. Je ne sais pas trop comment expliquer. Je travaille en ce moment dans une agence marketing, mon boulot me plaît, je suis pas hyper bien payée mais ça pourrait être pire et surtout, j'ai des avantages non négligeables en termes d'horaires et de charge de travail. Mais bon, c'est vrai que parfois ça ronronne un peu. Il y a quelque temps, j'ai été contactée par un chasseur de têtes, et j'ai l'opportunité de travailler pour une grande agence. Sauf que je ne sais pas si j'en ai envie. Lui m'a fait comprendre qu'on me voulait moi pour le poste. Et voilà, en fait je suis perdue. Je ne sais pas si je dois les rencontrer, mes amis me disent que c'est trop bête de laisser passer cette opportunité, je suis d'accord avec eux mais en même temps, je me sens pas hyper légitime pour cette agence.
Que dois-je faire? Est-ce que je dois y aller parce qu'ils me veulent? Est-ce que c'est juste ma peur de sortir de ma zone de confort?
Merci de m'avoir lue, et j'espère que tu pourras m'éclairer…
Oriane
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Chère Oriane,
Merci infiniment pour cette question qui, à mon avis, concerne nombre de nos lecteurs. Au fond, elle soulève la question de la demande et du désir, de la proposition et de la disposition voire, à un niveau plus radical, de l'injonction et du consentement. En fait, tout est dans le «est-ce que je dois y aller parce qu'ils me veulent?» et je vous suis reconnaissante de l'avoir formulé aussi clairement!
C'est là qu'il nous faut analyser précisément cette phrase. Répondre «oui» sous prétexte que la proposition est idéale, flatteuse, prestigieuse me semble léger. Répondre «non» parce que vous ne vous sentez pas légitime me paraît une réflexion inaboutie. M'est avis que la question se situe plus du côté du désir.
On peut dire que cette opportunité fait quasi effraction dans le «ronron» quotidien. Certaines personnes fonctionnent d'ailleurs ainsi: chaque changement s'opère à l'origine par une demande ou un désir émanant d'un autre à leur endroit. Ainsi, on pourrait dire que leur désir en propre est conditionné par le désir d'un autre. C'est une façon comme une autre de s'arranger avec l'inconfort de désirer.
Quand on est comme ça et qu'on le repère, il ne s'agit pas de changer mais plutôt de faire le tri dans les demandes et les désirs qui nous arrivent de l'extérieur, pour que ceux-ci ne soient pas perçus comme des agressions à chaque fois. Ou comme des injonctions à y répondre par l'affirmative. Mais encore faut-il, pour disposer de soi, interroger les raisons qui poussent à accepter ou à refuser les propositions des autres.
Et puis, dans d'autres cas, notre propre désir peut prendre son origine dans la demande de l'autre. Comme un coup de pouce, un starter. Ce n'était pas notre désir au départ, (ou peut-être que si? mais nous l'ignorions) et un autre vient faire une offre qui fait son chemin et que nous nous réapproprions.
Difficile de ne pas faire le parallèle avec la vie amoureuse et sexuelle. J'ai le souvenir d'avoir accepté pas mal de relations parce que j'étais flattée d'être désirée, sans pour autant jamais de mon côté passer le cap de désirer cet autre qui me voulait. Est-ce du temps perdu pour autant? Pas nécessairement, le désir est un apprentissage.
Ce que vous devez questionner dans cette histoire, c'est la légitimité de votre désir. Il s'agit d'une manière ou d'une autre de s'extraire de la sidération dans laquelle vous met cette demande externe. Est-ce la première fois que cela vous arrive?