Ils se présentent comme un mouvement citoyen, les gardiens d'une laïcité pure et sans tache. Telles des vigies de la République, ils dénoncent et pointent les dérives réelles ou supposées parmi le personnel politique, les fonctionnaires, les intellectuels et les journalistes. Omniprésents sur les réseaux sociaux, disposant de relais médiatiques bienveillants, ils distribuent bons et mauvais points, n'hésitant pas à appeler à la mise à l'index de leurs contradicteurs, inventeurs d'un nouveau délit de blasphème –le blasphème contre la République– et d'un nouveau délit d'intention –le soupçon de dérive communautaire.
Peu nombreux, s'inspirant des concepts d'hégémonie culturelle de Gramsci et de «métapolitique», les fondateurs du Printemps républicain déploient, utilisant des techniques de spin doctors, un storytelling dans l'objectif de déclencher l'émotion dans l'opinion publique afin d'imposer leur narratif et susciter l'adhésion à leur discours. En quatre ans, ils ont ainsi réussi à devenir des acteurs prépondérants du débat public, bénéficiant d'une surface médiatique sans rapport avec leur poids politique.
Pour cette enquête lancée il y a plus d'un an, une cinquantaine de témoins (anciens adhérents, sympathisants, opposants, chercheurs, acteurs de terrain, politiques, journalistes, activistes sur les réseaux sociaux...) ont accepté de nous parler du Printemps républicain, non sans difficulté –«trop polémique» pour les uns, «trop agressif» pour les autres. Nombre d'entre eux ont eu de fortes réticences à s'exprimer à découvert, réclamant d'être anonymisés par crainte de harcèlement numérique. Sollicités, les leaders du Printemps républicain n'ont pas souhaité répondre à nos questions, à l'exception de Gilles Clavreul et Denis Maillard sur certains points les concernant.
Du Parti socialiste au «ni gauche, ni droite»
C'est dans un appartement cossu du sud de Paris, début février 2016, que se tient officiellement la première réunion du Printemps républicain. À l'époque, l'association revendique son ancrage à gauche. Sous la plume amicale de Marc Cohen, alors rédacteur en chef de Causeur dont le passé politique fait polémique et cofondateur du mouvement, cette soirée est décrite «comme si vous y étiez»: «Dans cette joyeuse bande, on retrouve des twittos, des facebookers et des blogueurs de cinquante nuances de gauche, hier souvent fâchés et maintenant réunis parce que lassés de la lassitude et heureux de redécouvrir les joies simples de la colère, de la castagne et de l'union [...] Le 13 novembre revient sans cesse dans les motivations des intervenants.»
Le manifeste du Printemps républicain exaltant la République et la laïcité sera publié un mois plus tard dans les colonnes de l'hebdomadaire Marianne et du mensuel Causeur. Il sera signé par une centaine de personnalités: élus, intellectuels, journalistes, artistes... D'Élisabeth Badinter à l'ancienne ministre socialiste Fleur Pellerin en passant par l'ex-rédacteur en chef de la revue Le Débat Marcel Gauchet, Anne Sinclair, Zineb El Rhazoui ou encore l'acteur et humoriste François Morel. L'objectif, selon les auteurs? Défendre face à «l'extrême droite comme l'islamisme politique», une laïcité «remise en cause de toutes parts, manipulée à des fins politiques par certains, attaquée à des fins religieuses par d'autres, ignorée de beaucoup par indifférence».
Mais selon Mediapart, plusieurs signataires comme Olivier Faure, Emmanuel Maurel ou Guillaume Balas ont depuis «pris leurs distances», gênés par des polémiques à répétition et une certaine virulence sur les réseaux sociaux.
Le mouvement se structure autour d'une cinquantaine de convaincus venus d'horizons politiques différents, des partisans de l'intégration européenne aux défenseurs du souverainisme. Parmi eux, des cadres ou déçus du Parti socialiste, des sympathisants PS en quête de réponses et quelques intellectuels.
Malgré la –relative– diversité des profils, le Printemps républicain repose sur un noyau idéologique, issu du groupe dit de la «Gauche populaire» qui avait plaidé en 2012 pour la reconquête des catégories populaires en réaction à la publication d'un rapport de Terra Nova appelant la gauche à abandonner les classes laborieuses pour s'orienter vers un nouvel électorat composé des diplômés, des jeunes, des minorités et des femmes. Le mouvement est rapidement capté et digéré par le Parti socialiste, qui le transformera en 2013 en simple sous-courant interne.
Trois ans plus tard, c'est une partie des fondateurs de la Gauche populaire qu'on retrouve à la manœuvre lors de la création du PR. Parmi eux, quatre hommes –le politologue Laurent Bouvet, l'ancien préfet Gilles Clavreul, l'ancien directeur du service de presse de l'Unedic Denis Maillard, et un ex-conseiller municipal d'Avignon inconnu du grand public à l'époque, Amine El Khatmi, qui lui succédera au poste de président du mouvement en juillet 2017– tentent un retour sur la scène politique et médiatique. Ils misent sur des thèmes qu'ils analysent comme porteurs: la République, la laïcité, l'identité.
Le corpus doctrinal est fourni par Laurent Bouvet. Ancien rédacteur en chef de La Revue socialiste, il s'est fait connaître pour ses ouvrages Le Sens du peuple et L'Insécurité culturelle, mais aussi pour des positions quelque peu iconoclastes au sein de son parti, tel cet appel contre la parité femmes-hommes lancé en 2001, sur lequel quelques-uns des signataires qui se sentiront mis à l'écart parce qu'ils sont des hommes renchériront dans la revue Paroles de gauche: «Nous avons accepté, sans un mot, fidèles comme des chiens, cons pareils, d'être les soutiers, les sans-grades, les obscurs. [...] Puis nous les avons vus, ceux-là mêmes qui disaient “laissez du temps au temps”, nous écarter de tout.»
«C'est une gauche en quête de reconnaissance et s'inquiétant pour son destin social. Une gauche qui aime bien parler du peuple, mais ne le connaît pas.»
Ces prises de position, illustrées par un vocabulaire très imagé, expriment le sentiment d'avoir servi dans l'ombre pour être finalement floués, voire trahis. Ce ressentiment peut-il expliquer la stratégie de la scission de la gauche, caractéristique du Printemps républicain, ou celle-ci procède-t-elle de l'analyse des philosophes phares du mouvement, Marcel Gauchet et Jean-Claude Michéa?
Tout commence en tout cas en ces termes. En 2016, alors Premier ministre de François Hollande, Manuel Valls évoque des «positions irréconciliables à gauche» et fracture la majorité, déjà enkystée par une marge de frondeurs en désaccord avec les choix politiques du chef de l'État. Peu à peu, l'idée naît au sein des initiateurs du Printemps républicain, soutiens de Manuel Valls, qu'une partie de la gauche ferait le lit des intégristes, en particulier des islamistes. Sont ciblés, outre l'extrême gauche: Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et ses Insoumis, le Parti communiste, et désormais une grande partie des écologistes, de LREM et des syndicats professionnels et étudiants issus de la gauche. «Laurent Bouvet a gardé un ressentiment terrible envers le PS depuis son échec au poste de direction du Cevipof, note une de ses collègues à l'université, et en tapant sur la gauche, il ne fait que régler des comptes personnels», estime-t-elle. «Cette vision du monde avec toujours un ennemi que l'on montre du doigt n'a participé qu'à créer du clivage et fracturer la gauche», regrette un membre du bureau national du PS.
Puis vient la fin du quinquennat de François Hollande. Les appétits s'aiguisent. Les manœuvres d'appareil aussi. Un candidat putatif se dégage alors, au moment de la primaire socialiste de 2017, sur une ligne nationale républicaine: Manuel Valls. Ce sera donc lui, leur candidat.
La candidature de Manuels Valls fera long feu, et Emmanuel Macron bousculera le champ politique avec la création d'En Marche et en remportant l'élection présidentielle. Le Parti socialiste en sortira en lambeaux à 6%, son candidat quittera le parti pour créer son propre mouvement, le siège huppé de la rue de Solférino sera vendu. Viennent alors des temps de vaches maigres. Avec les macronistes victorieux arrive la saison des transferts: LREM fait son marché au sein d'un vivier de cadres socialistes déboussolés, en déshérence, et pour certains d'entre eux, en quête de postes.
Les appels du pied à la droite républicaine
Le Parti socialiste atomisé, les macronistes au pouvoir, Manuel Valls rapidement parti à Barcelone, le Printemps républicain triangule. «Nous ne sommes pas un think tank. Seulement un mouvement citoyen qui veut réveiller la gauche», déclarait Laurent Bouvet dans L'Obs pour nuancer ensuite son propos en 2019: «Si le clivage gauche-droite n'est pas mort, il tend à se brouiller devant celui qui oppose désormais les républicains aux identitaires et aux communautaristes. Nous assumons ce clivage.» Et Amine El Khatmi de renchérir dans Le Monde: «Le clivage gauche-droite ne fait plus sens. Il faut lui substituer celui qui sépare les républicains et les identitaires de tous bords.»
Comme le souligne le quotidien: si «le mouvement veut “s'adresser aux orphelins d'une gauche républicaine et laïque”», il assume de s'afficher avec des personnalités de la droite modérée, comme Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand. Ces derniers, tous deux anciens ministres sarkozystes, étaient ainsi présents au grand raout organisé par le jeune mouvement à la Bellevilloise en novembre 2019. La présidente de Libres! et de la région Île-de-France y a prononcé un discours amical, saluant le PR comme un «mouvement de résistance». Le patron des Hauts-de-France n'a pas manqué d'envoyer un message vidéo, proposant notamment d'inscrire la laïcité plus fermement dans la Constitution.
L'offre de service à Emmanuel Macron
Et si leur nouveau favori, finalement, c'était Emmanuel Macron? «Une partie de ce petit monde se connaît déjà depuis longtemps et cultive l'entre-soi, confie un ancien proche d'un des fondateurs du PR. On est dans le germanopratin. On peut croiser certains d'entre eux, chaque année à l'orée de l'été, au milieu des invités de la “Fête du Faubourg” organisée par le communicant du mouvement, Denis Maillard. Beaucoup se disent culturellement de gauche, se pensent de gauche ou viennent de la gauche, quoique pas tous, une petite gauche culturelle parisienne bruissant de ses rumeurs, de ses sujets, de ses mises à l'index avec ses vedettes et ses demi-mondains du moment. On est bien loin de la gauche mitterrandienne plutôt nantie, déjà placée et à l'abri du besoin. C'est une gauche en quête de reconnaissance et s'inquiétant pour son destin social. Une gauche qui aime bien parler du peuple, mais ne le connaît pas.»
Fin 2018, Laurent Bouvet déclarait dans Le Figaro: «Macron est un libéral de gauche, un homme politique acquis au multiculturalisme écartant l'idée d'un commun qui transcende les différences individuelles identitaires.» Depuis, quelques déclarations du chef de l'État sont venues arrondir les angles[1]. Les têtes de pont du Printemps républicain ont lié des affinités et trouvé des partenaires dans certains ministères et dans la majorité présidentielle. Amine El Khatmi n'a jamais caché sa proximité avec celle qui est devenue vice-présidente du groupe LREM à l'Assemblée nationale: Aurore Bergé.
Toujours à la pointe des questions de laïcité, l'ex-filloniste a constitué autour d'elle un petit groupe de députés sensibles au discours du Printemps républicain et très actifs sur les réseaux sociaux, dont les têtes d'affiche sont par exemple François Cormier-Bouligeon, Francis Chouat, François Jolivet, Alexandre Freshi ou encore Jean-Baptiste Moreau. Ils se retrouvent dans une boucle Telegram créée en octobre 2019 par Aurore Bergé intitulée «Fan-Club JMB» (Fan-club de Jean-Michel Blanquer), à laquelle appartient le conseiller spécial du ministre, Richard Senghor, chargé de maintenir le lien avec le ministre de l'Éducation, qui reçoit régulièrement ces parlementaires au ministère. Plus qu'un groupe de conversation, cette chaîne Telegram d'une quarantaine de membres a pour mission de structurer la partie de la majorité en phase avec la conception de la laïcité de Jean-Michel Blanquer, et de faire entendre sa voix.
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Leurs cibles favorites: les défenseurs du port du voile dans l'espace public, les députés ex-LREM Aurélien Taché et Fiona Lazaar, l'Observatoire de la laïcité jugé trop éloigné de leur propre conception de la laïcité... Une partie des députés du «fan-club» ont par exemple tenté lors de l'examen de la loi ASAP (d'accélération et de simplification de l'action publique), en septembre 2020, de faire passer discrètement deux amendements pour réorienter la ligne de cet Observatoire, organisme gouvernemental rattaché à Matignon. Ils proposaient de doubler le nombre de députés et de sénateurs y siégeant, ainsi que d'établir un rapport sur son bilan, son fonctionnement et sa gouvernance. Mais ils font chou blanc, les deux amendements étant jugés irrecevables. S'ensuivront des semaines de polémiques sur un possible changement à la tête de l'institution créée en 2007 par Jacques Chirac.
Ils ont désormais en ligne de mire le projet de loi renforçant les principes républicains avec la volonté de reprendre la ligne de Jean-Michel Blanquer qui avait fracturé la majorité sur le voile islamique –le ministre de l'Éducation avait estimé qu'il n'était «pas souhaitable dans notre société». Un amendement d'Aurore Bergé, auquel l'exécutif s'est opposé, voulait soi-disant interdire le voilement des petites filles. Il a été jugé irrecevable par la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi «confortant les principes de la République». «Cet amendement était un objet de communication médiatique. Il n'y a jamais eu d'amendement sur le voile des fillettes. Sa rédaction englobait le port par un mineur de tout signe ou tout vêtement manifestant l'infériorité d'un sexe par rapport à l'autre. C'était beaucoup plus large», s'étonne un cadre de la majorité.
Le Printemps républicain cultive également ses relais dans l'aile gauche de la majorité: les vallsistes sont très présents dans le parti créé en janvier 2020 par les ministres Jean-Yves Le Drian et Olivier Dussopt Territoires de progrès, par l'intermédiaire des députés Francis Chouat et Anne-Christine Lang, entre autres – la députée avait marqué l'actualité lorsqu'elle avait quitté la salle d'une commission à l'Assemblée nationale pour protester contre l'audition d'une jeune femme voilée. Parmi les relais idéologiques, la déléguée nationale adjointe de ce parti et adjointe au maire d'Évry, Najwa El Haïte. «Ils parlent d'islamisme matin, midi et soir comme le Printemps républicain. À tel point que l'on se demande s'ils ne veulent pas faire revenir Manuel Valls», estime, mal à l'aise, une députée LREM peu favorable à cette ligne.
Au gouvernement, ils sont en revanche au moins deux à suivre la ligne du PR. D'abord, Jean-Michel Blanquer et son controversé «Conseil des sages de la laïcité», où siège notamment Laurent Bouvet depuis 2018. En l'honneur de l'essayiste, le ministre de l'Éducation a même organisé une «réunion privée» au sein du ministère, rue de Grenelle, en juillet 2020. Le député LREM de l'Essonne, Francis Chouat, s'en était félicité sur Twitter avant de supprimer son tweet: «Merci Jean-Michel Blanquer d'avoir organisé ce moment convivial autour de Laurent Bouvet à l'occasion de la sortie prochaine de son prochain ouvrage sur le péril identitaire. Émotion.» Le message était accompagné de deux photos montrant l'invité principal, son épouse Astrid Panosyan –cofondatrice et trésorière nationale d'En Marche–, le ministre Jean-Michel Blanquer et plusieurs invités dans les jardins du ministère. Parmi les convives: Gilles Clavreul, Amine El Khatmi et Denis Maillard.
«Pour comprendre la stratégie du Printemps républicain, il faut avoir une solide culture politique. L'une des principales caractéristiques d'En Marche, c'est de n'en avoir aucune.»
Autre relais très actif au sein du gouvernement, Marlène Schiappa s'est affichée à plusieurs reprises avec les fondateurs du mouvement. Un jour, elle félicite son président Amine El Khatmi en duplex sur CNews; un autre, elle invite Gilles Clavreul, pourtant préfet en disponibilité, lors de la présentation de sa feuille de route après sa nomination en tant que ministre déléguée chargé de la Citoyenneté, ou le reçoit à son ministère dans le cadre des consultations sur le projet de loi pour renforcer les principes républicains.
C'est également dans son cabinet qu'a été nommé Thomas Urdy, l'ex-adjoint à la mairie divers gauche de Trappes (Yvelines). Chargé officiellement des relations avec les élus et les collectivités, il est aussi «référent laïcité» pour tout le ministère de l'Intérieur. Ce candidat malheureux aux élections municipales de 2020, fidèle du Printemps républicain, a participé à l'organisation de plusieurs réunions du mouvement et est cité dans le livre Combats pour la France (Fayard) d'Amine El Khatmi. Une nomination qui n'est pas passée inaperçue chez les cadres de l'association: «Bravo à notre ami qui va pouvoir défendre nos positions activement!», s'est par exemple réjoui sur Twitter Antonin Congy, le référent national à Bordeaux.
Thomas Urdy n'est pas le seul proche du PR à avoir rejoint Beauvau. Un temps porte-parole de l'organisation, Lunise Marquis vient d'être embauchée dans l'équipe de communication numérique du ministère. Marlène Schiappa a aussi pu s'appuyer sur une autre personnalité proche du Printemps républicain, Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) parti, en janvier 2021, rejoindre le comité d'éthique de la RATP. Anciennement dirigée par Gilles Clavreul et dotée d'un budget de 100 millions sur trois ans, la Dilcrah a recruté ces dernières années de nombreux proches du Printemps républicain, de l'ex-porte-parole de campagne de Manuel Valls lors des primaires socialistes et suppléante du député LREM Benjamin Griveaux à l'Assemblée nationale Élise Fajgeles à Cindy Léoni, une des premières signataires du manifeste du PR, ex-présidente de SOS Racisme, depuis nommée sous-préfète par décret présidentiel.
Enfin, Marlène Schiappa est à l'origine de la nomination au poste de secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) du préfet Christian Gravel, un intime de Gilles Clavreul et Manuel Valls. Ce préfet hors cadre nommé sous le mandat de François Hollande a été membre du cabinet de l'ex-Premier ministre à la mairie d'Évry jusqu'en 2012 avant de devenir conseiller en communication de François Hollande, puis directeur du Service d'information du gouvernement (SIG).
«Pour comprendre la stratégie du Printemps républicain, il faut avoir une solide culture politique. L'une des principales caractéristiques d'En Marche, c'est de n'en avoir aucune. C'est la perméabilité à tout. Ils sautent à pieds joints sur la première niaiserie qui se présente», tacle Jean-Pierre Mignard, avocat et ex-soutien d'Emmanuel Macron.
Ni mouvement citoyen, ni parti politique
Finalement, quatre ans après sa création, le Printemps républicain plafonne à un total de 700 à 1.000 adhérents. Sa transformation en parti politique, annoncée en novembre 2019, n'a pas pu se concrétiser pour les municipales. Cela n'a pourtant pas empêché certains membres du mouvement de se porter candidats sur des listes aux étiquettes multiples, de la droite aux écologistes. «Ils ont une vraie influence, car ils ont réussi à élargir leur base de députés vallsistes et je les soupçonne d'utiliser des techniques d'entrisme dans plusieurs partis politiques», observe Aurélien Taché, député ayant quitté LREM en mai 2020. Surtout que «l'appartenance au Printemps républicain de beaucoup de ces personnes n'est pas forcément connue», atteste Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d'EELV qui a fait la mauvaise expérience de découvrir en février 2020 que la candidate numéro 2 sur les listes EELV des Ier et VIIe arrondissements de Marseille en était une militante.
En parallèle, le Printemps républicain a soumis aux candidats aux élections municipales, en échange de son soutien, une charte des valeurs républicaines proposant douze engagements, du «barrage au Rassemblement national ainsi qu'à toutes formations non républicaines pouvant présenter un risque d'entrisme» à «la diversification du commerce local» en encadrant notamment «la prolifération des commerces communautaires». Seule une petite dizaine de challengers s'y étaient ralliés. La plupart ont perdu, à l'image de la maire du XXe arrondissement de Paris et cofondatrice du PR Frédérique Calandra, qui n'a récolté que 9,2% des voix au second tour. Le pécressiste et candidat PR Pierre Liscia n'a pas fait mieux dans le XVIIIe arrondissement, puisqu'il a été éliminé dès le premier tour avec 3,5% des votes. Depuis, la première a été nommée déléguée interministérielle à l'aide aux victimes et le second a été embauché à la communication de la région Île-de-France, en attendant une place sur les listes aux régionales de Valérie Pécresse.
«Ils essaient de construire une pensée et d'apporter une domination idéologique à un camp, mais beaucoup surjouent leur poids réel», relativise Rachid Temal, le sénateur et ex-premier secrétaire du PS par intérim.
L'actuel et l'ancien président du Printemps républicain se sont impliqués dans les élections. Amine El-Khatmi a brigué une candidature sur la liste EELV à Avignon, sa ville. Un échec.
«À partir du moment où ils officialisent qu'ils sont une officine politique –ce qu'ils sont depuis le début–, une présence sur nos listes engage la ligne politique d'Europe Écologie. Or, il ne peut pas y avoir Clavreul, El Khatmi et Bouvet qui insultent à longueur de temps les responsables du parti et en même temps la volonté d'être sur nos listes. À un moment donné, il faut un minimum de cohérence politique», critique Sandra Regol.
Denis Maillard a quant à lui joué le rôle d'intermédiaire dans la campagne du candidat LREM à la mairie de Paris Benjamin Griveaux, avant que ce dernier n'abandonne. «C'est un ami, membre du comité d'investiture, qui m'a demandé de “sonder” mon ancien patron car ils cherchaient des gens plutôt de gauche dans leurs investitures, ce que j'ai fait. Mais je n'ai pas fait la campagne de Benjamin Griveaux», se défend-il.
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En dehors de Paris, le Printemps républicain a du mal à s'implanter. «Ils sont surtout connus des gens très politisés et plutôt en région parisienne. Le Printemps républicain n'existe que grâce à l'hyper-représentation médiatique dont il bénéficie. D'ailleurs, c'est assez inéquitable pour les autres partis politiques», souligne Sandra Regol. Contacté, le CSA explique que «les chaînes n'ont pas déclaré de temps de parole au titre du mouvement politique concerné qui, à ce jour, a une activité et un agenda limités, mais parfois, pour certains de ses membres, sous l'appellation générique “divers gauche”».
Sur le terrain, quelques groupes locaux (Lyon, Bordeaux, Grenoble, Occitanie...) se contentent de communiquer sur les réseaux sociaux et d'organiser épisodiquement quelques rassemblements. «Localement, on ne les voit jamais. Ce sont des coquilles vides», témoigne un responsable associatif. Mais l'échec d'implantation le plus retentissant reste celui de Marseille, où les leaders parisiens du PR se sont présentés lors d'une journée «Printemps républicain des Sud» en novembre 2016, donnant suite au think tank Le Mouvement, dans la perspective des élections municipales. Lancé le 18 février 2018, Le Mouvement a rassemblé «pour sa création vingt-cinq membres fondateurs, à la fois citoyens sans engagements politiques partisans, et militants ou élus de formations comme le Parti socialiste, le Modem, l'UDE, La République en marche ou Europe-Écologie». Un an plus tard, le site n'affiche plus aucune activité, Le Mouvement s'est dissous dans Le Printemps marseillais.
Faiblement pourvu d'élus et faute d'influence locale, le PR s'appuie principalement sur sa visibilité médiatique pour durer. «Le Printemps républicain, c'est comme un point de deal pour certains médias et politiques. Tous les toxicos du quartier viennent s'y approvisionner», observe un ancien compagnon de route. Outre quelques micro-événements, ses ténors se produisent surtout dans des arrières-salles de cafés et des conférences assez peu fréquentées. Seules exceptions, leur lancement à la Bellevilloise et la journée «Toujours Charlie», dont le succès fut dû en grande partie à la mobilisation du Comité Laïcité République (CLR) et de certains milieux maçonniques attachés à une laïcité stricte, et grâce à une bonne maîtrise des relais médiatiques et de la capacité à mettre en scène un casting attractif parfois un peu survendu. Lors de leur dernier événement, selon Libération, Bernard Cazeneuve n'a pas beaucoup apprécié la communication appuyée de l'association autour de son nom. L'ex-Premier ministre s'était contenté d'envoyer à leur demande une pastille vidéo de deux minutes.
«Le Printemps républicain, c'est comme un point de deal pour certains médias et politiques. Tous les toxicos du quartier viennent s'y approvisionner.»
Le Printemps républicain a tissé sa toile grâce au soutien d'une partie des milieux francs-maçons, en particulier du Grand Orient de France (GODF) et du CLR. Ce dernier remet chaque année à l'Hôtel de Ville de Paris, devant un parterre de quelques centaines de personnes, ses «Prix de la laïcité» à des personnalités partisanes d'une laïcité se voulant offensive. «On y retrouve surtout les adhérents du Printemps républicain. Ce sont quasiment les mêmes au CLR et au PR», témoigne un membre du GODF. En 2017, l'heureux lauréat du grand prix national n'est autre que... Gilles Clavreul. En 2018, la fondation du GODF a même subventionné le Printemps républicain. L'association s'était partagé, avec l'Union des familles laïques (Ufal), la somme de 13.000 euros.
Mais comme en témoigne un éminent franc-maçon, «les 190.000 francs-maçons de France ne partagent pas la conception de la laïcité défendue par un courant dominé par quelques anciens grands maîtres du GODF. Ils sont minoritaires, mais ce sont eux qui ont la main pour organiser les grands colloques et conférences, et rédiger les communiqués.» Par exemple, les réunions du Collectif laïque national (Grand Orient de France, Ufal, Égale, CLR, Vigilance Université...) se déroulent dans les locaux du GODF et sont animées par les instances ordinales de la même obédience. Difficile de mesurer, néanmoins, le poids réel de cette tendance au sein des différentes obédiences. Mais l'ombre du PR divise et crée de plus en plus de dissensions internes.
Le mouvement peut par ailleurs compter sur la Fondation Jean-Jaurès, think tank de gauche influent auprès de la sphère politique. Mais pour Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques, dire que la fondation est alignée sur leur idéologie est excessif: «Le Printemps républicain étant une sensibilité au sein du Parti socialiste, il est normal que certains de ses membres participent à ses travaux.» De nombreux autres interlocuteurs craignent, quant à eux, qu'il s'agisse d'un véritable entrisme fragilisant le sérieux des travaux de la fondation, en partie du fait de l'adhésion aux thèses du PR notamment du directeur général adjoint Laurent Cohen et du nouveau directeur des études Jérémie Peltier, un proche de Marlène Schiappa.
D'autres analysent la pénétration de ces idées par le fait financier: étant soutenue notamment par Matignon et les enveloppes parlementaires, la fondation a dû composer avec le gouvernement et les demandes de députés LREM de traiter les sujets mis en valeur médiatiquement par le Printemps républicain (laïcité, séparatisme, complotisme), qui les préempte.
«Gilles Clavreul poste deux messages sans nuances qui accréditent la rumeur d'une agression sur fond de conflit religieux.»
De son côté, Gilles Clavreul a lancé, en juin 2018, son propre think tank, L'Aurore, en référence au nom du journal de Georges Clemenceau –une figure tutélaire souvent invoquée par le Printemps républicain. Son groupe de réflexion se présente comme républicain et progressiste. Sa production s'est réduite à peau de chagrin ces dernières années. En 2020, seulement cinq notes dont une interview et deux commentaires de l'actualité signés par Jean Glavany et Gilles Clavreul eux-mêmes, respectivement président et délégué général. «L'activité de L'Aurore a diminué durant l'année 2020, principalement en raison du Covid, ainsi qu'en raison d'événements personnels. Mais nous avons plusieurs projets en 2021», justifie Gilles Clavreul.
Depuis le lancement de l'Aurore, ses publications sont quasi exclusivement celles de membres ou de proches du Printemps républicain. L'année de sa création, le think tank a été subventionné par Matignon sous Édouard Philippe à hauteur de 30.000 euros. Gilles Clavreul estime que cette somme ne représente «qu'entre cinq et dix pour cent de la subvention annuelle attribuée à certains think tanks existant depuis des années. Elle a permis de couvrir les premiers frais de l'association, essentiellement de communication.» Les services du Premier ministre expliquent que «les think tanks subventionnés doivent avoir un objectif d'intérêt général. La sélection repose aussi sur l'équilibre (entre think tanks de droite et de gauche, libéraux et progressistes). Les demandes entrantes sont soumises au cabinet du Premier ministre pour instruction sur la base de ces critères.»
Une stratégie d'influence médiatique
Malgré des résultats politiques décevants, journalistes de presse écrite et radio sympathisants ou adhérents, chaînes d'info en continu et Canal+ version Bolloré, ouvrent largement leurs colonnes et plateaux aux leaders du mouvement et se font l'écho de leurs narratifs, parfois aussi de leurs infox.
Le Printemps républicain est, depuis ses débuts, soutenu par le très droitier Causeur, malgré quelques légers accrocs récents. Une personne présente lors d'un pot avec les organisateurs, à la fin du meeting de la Bellevilloise, rapporte l'enthousiasme qu'avait manifesté Élisabeth Lévy à voir enfin un mouvement traitant des sujets lui tenant à cœur: la nation, la République, la laïcité.
Elle n'est pas la seule à leur accorder une grande visibilité. Des titres amis multiplient tribunes et articles: Marianne, L'Express, Figarovox, Le Point. D'autres, comme Atlantico, La Revue des Deux Mondes et Valeurs actuelles, moins directement impliqués, ouvrent volontiers leurs colonnes aux analyses du Printemps républicain et ses cercles plus ou moins rapprochés.
Sur France Culture, les chroniques de Brice Couturier, signataire du manifeste, s'en font l'écho. Sur Europe 1, Sonia Mabrouk. Sur LCI, Caroline Fourest, non signataire du manifeste mais compagne de route assumée. Sans oublier le philosophe et chroniqueur Raphaël Enthoven.
Pour ce qui concerne Charlie Hebdo, dont le mouvement se revendique depuis les tueries de janvier 2015, l'affaire est plus complexe: le journal satirique chérit sa liberté et son indépendance.
De l'infox à la polémique
Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont décrit un mode opératoire consistant à détecter un fait divers ou une polémique censés confirmer leurs thèses et à l'amplifier, qu'importe le contexte. D'abord via les réseaux sociaux, jusqu'à ce qu'il envahisse le débat public et devienne un événement qui sera repris sur les plateaux de télévision, émissions de radio, articles. Peu importe la véracité, l'essentiel est de capter l'attention médiatique pour en devenir l'un des centres névralgiques. «Cette méthode existait chez eux avant même qu'ils ne créent le mouvement», note Stéphanie Lamy, experte en infowar. «Tout a commencé avec l'affaire de Reims», précise-t-elle.
Le 22 juillet 2015, une brève de L'Union-L'Ardennais relatant l'agression d'une jeune fille en bikini par une jeune fille musulmane en raison de sa religion est reprise par Le Figaro dans un article depuis supprimé: «Une jeune fille lynchée pour avoir bronzé en maillot de bain dans un parc à Reims». Twitter s'enflamme derrière des personnalités LR et FN, mais aussi Gilles Clavreul, alors délégué à la Dilcrah, comme le relatent notamment 20Minutes et Le Monde: «Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme poste deux messages sans nuances: “Agression scandaleuse qui appelle des sanctions exemplaires #Reims”, “Pour une fois silence remarquable des habituels défenseurs de la ‘liberté vestimentaire’”, qui accréditent la rumeur d'une agression sur fond de conflit religieux.»
Rapidement, le parquet précise que «ni les victimes ni les auteures des coups» n'ont, lors de l'audition, fait état d'un «mobile religieux ou moral». «Les éléments dont je disposais dans les heures suivant la commission des faits ne laissaient pas de doute sur le fait que la victime a été spécifiquement visée parce que sa tenue était jugée indécente par ses agresseurs. Que le parquet ait estimé les éléments insuffisants pour étayer une motivation religieuse, ou bien qu'il n'ait pas jugé opportun de poursuivre sur cette base, relève de sa seule appréciation», estime Gilles Clavreul.
L'infox ne subsiste plus, en 2020, que sur des blogs et des sites d'extrême droite, par exemple Riposte laïque. Ce qui n'empêchera pas Gilles Clavreul de relancer cette fausse information le 24 septembre 2020, tweetant qu'il avait «relevé des faits semblables à Reims» à l'occasion d'une agression d'une jeune femme en mini-jupe à Strasbourg, agression elle-même non confirmée à ce jour. Sur cette affaire, Gilles Clavreul précise qu'il réagissait en tant que «simple citoyen» et non comme «responsable public».
Les années se suivent et se ressemblent, avec leur lot d'affaires similaires montées en épingle par les sphères Printemps républicain et reprises par l'extrême droite, ou vice versa: affaire Maryam Pougetoux, affiche de la FCPE, Planning familial... et, tout récemment, fausse affaire de Noël à Belfort.
Une visibilité entretenue par les médias
La stratégie semble avoir payé auprès des médias. Amine El Khatmi, par exemple, est rapidement devenu chroniqueur sur CNews. Gilles Clavreul, qui s'y produit aussi, a son rond de serviette sur LCI et BFMTV.
Côté institutionnel, de source interne, le journal de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), Le Droit de Vivre, s'est délesté de son rédacteur en chef, le journaliste Antoine Spire, et d'une partie de son équipe peu favorable au Printemps républicain, pour accueillir l'historien Emmanuel Debono et ouvrir majoritairement ses pages à des membres, adhérents ou sympathisants du mouvement.
Le premier numéro abrite ainsi les signatures de Gilles Clavreul, Raphaël Enthoven, Isabelle Barbéris, Rudy Reischstadt, le dessinateur Xavier Gorce. Deux autres signataires ont un rôle prépondérant dans le soutien de la Licra au Printemps républicain: Philippe Foussier, ancien grand maître du GODF et actuel délégué aux relations avec les élus dans l'association; et Stéphane Nivet, référent du mouvement à Lyon qui a suscité plus d'une fois la polémique sur les réseaux sociaux, promu délégué général de la Licra en mai 2019 après en avoir géré la communication.
Page publique Facebook de Stéphane Nivet (2018): équipe communication de la Licra en compagnie notamment de Laurent Bouvet, Françoise Laborde, Amine el Khatmi et Lunise Marquis.
Cette forte présence médiatique se double d'attaques à répétition contre certains titres de gauche jugés trop critiques (Libération, Le Monde, Mediapart, Télérama, L'Humanité, Arrêt sur Images, France Inter) et certaines radios publiques ne les recevant pas assez à leur goût.
Alors, politiques, militants, experts ou journalistes? La frontière est plus que jamais ténue. Pour Amine El Khatmi, le prochain équinoxe est déjà fixé: la présidentielle de 2022.
1 — Cet aspect sera abordé dans le deuxième épisode. Retourner à l'article