Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille depuis 1995, ne se présente pas pour un cinquième mandat, laissant le jeu électoral plus ouvert que jamais. Qui sera le prochain maire? Revue des candidatures et des problématiques qui rythmeront la campagne pour 2020 dans notre série, La Bataille du Vieux-Port.
«La première humiliation du matin, c'est quand tu te pointes à la gare.» Le visage de Karim paraît fatigué. Les traits, creusés, laissent transpirer une certaine lassitude. Il ote lentement ses oreillettes. Le Raindrops keep fallin' on my head de BJ Thomas perce à travers les petits écouteurs. Butch Cassidy et le Kid, Newman, Redford, les paysages de l'Ouest américain, l'univers musical de notre homme tranche avec le décor, froid, d'un quai de gare marseillais. «Quarante jours de grève, c'est pas dérangeant. Un mouvement social, je peux le comprendre. Mais les retards, les trains supprimés...»
L'inertie de la mobilité
De fines gouttes de pluie glissent sur la parka de Karim. Une voix féminine annonce quelques «problèmes techniques». L'attente sera longue. «Je suis père célibataire. Cela arrive. J'ai la garde des enfants. Les TER en retard sont un poison. Je me lève plus tôt, j'essaie de prendre un train d'avance. J'arrive crevé au boulot. Si la SNCF était ponctuelle, je pourrais, sans souci, laisser les minots à la garderie. Je suis obligé de payer une étudiante qui les emmène à ma place.»
Le dépit de Karim repose sur des faits concrets. En 2018, France info révèle les chiffres collectés par l'Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST). La claque est rude. Sur la région Sud, 15% des trains sont régulièrement en retard. L'impact de ce dysfonctionnement écorne profondément l'existence quotidienne des Phocéen·nes: certaines familles peinent à s'organiser. Utiliser les transports en commun, à Marseille, demeure un combat. «Je voterai à gauche lorsque je cesserai de fréquenter la SNCF», peste Karim. «Vivement la privatisation.»
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Si les termes sont durs, la colère est réelle. Joseph, cheminot depuis vingt ans, gratte frénétiquement contre sa jambe droite. La tasse de café italien tremble sur le guéridon d'un minuscule bistro du quartier de la Plaine. «Déjà, tu m'appelles Jojo. Et je vais te dire! En vouloir au personnel de la SNCF, c'est trop facile. Les cheminots luttent chaque jour en faveur d'un service public de qualité. Nous sommes les premiers impactés par les retards! Simplement, la devise de la direction se résume à “faire plus avec moins”. Typiquement on me charge de réaliser le taf de trois ou quatre personnes. Puis tu as un management censé motiver les troupes. En réalité, ce dernier nous écrase. Libéraliser, c'est désorganiser. Les problèmes viennent du haut! Tu dois mesurer la difficulté de tenir, chez nous, un dialogue social apaisé. Les rapports sont tendus.»
La colère de Jojo serait-elle explosive? Les problématiques de la SNCF, voilent, en réalité, une politique des transports, qui, dans la cité phocéenne, menace de s'effondrer. La ville est sous-dotée. Les chiffres, limpides, semblent sans appel. Avec à peine moins de 1.129 kilomètres de lignes, soit deux fois moins qu'à Lyon, Marseille ne peut offrir qu'une mobilité au rabais. Les conséquences sont palpables: culte de la voiture, pollution, secteur enclavé, frein au développement économique, la deuxième ville de France ressemble à un gros dinosaure.
«Un maire s'aventurant à promouvoir la mobilité perdrait invariablement les élections. Au profit de qui? Du RN.»
«Je pose deux questions lors d'un entretien d'embauche, sourit alors Patrick Bonnefoy, dirigeant d'une start-up intervenant dans la communication et le consulting aux entreprises. Tout d'abord, quel est votre jeu vidéo préféré? Mon côté geek ressort souvent. La seconde demande est plus concrète: votre lieu d'habitation est-il bien desservi par les transports? À vrai dire, les candidats ont des talents, des compétences et des profils similaires. Je discrimine sur deux critères: les goûts personnels et la ponctualité.»
L'inertie municipale, en matière de mobilité, pourrait s'avérer un frein à l'emploi. Des chef·fes d'entreprise marseillais·es avouent privilégier un recrutement de proximité. Pouvoir se déplacer à pied ou à vélo, habiter à moins de vingt-cinq minutes du futur lieu de travail deviennent des points forts du curriculum vitae. Adieu qualification, rage de vaincre, savoir-faire et motivation.
«Cela est triste, continue Patrick Bonnefoy. Je suis moi-même toulousain. J'ai vécu dans une cité sensible. Aujourd'hui, je reçois des candidats issus des quartiers nord de Marseille. Des filles et des gars, diplômés, avec de l'envie...Quel gâchis! Leur secteur est totalement enclavé. Rien. Nada. Il leur faut galérer une heure pour se rendre à la gare Saint-Charles. Lorsque je les recrute, je sais qu'ils seront en retard une fois par semaine. C'est un risque à prendre...»
Le risque évoqué, est, sur le terrain, assumé par bien peu de monde. L'enclavement des quartiers nord fait partie de ces grandes inégalités que Marseille, depuis des décennies, semble cultiver.
«Puisque nous sommes du même païs, ajoute brusquement le start-uper geek, et comme je le sais, tu milites en faveur du mot chocolatine, je vais te livrer mon sentiment. À mon sens, l'incurie en matière de transport, en particulier à l'égard des quartiers nord est tout simplement voulue. Une minorité huppée craint de voir débarquer des “petits jeunes” dans leurs zones résidentielles. Un maire s'aventurant à promouvoir la mobilité perdrait invariablement les élections. Au profit de qui? Du Rassemblement national.»
Zones réservées
Marseille est une ville de sécession. Les clichés concernant le métissage ou le cosmopolitisme ont depuis longtemps volé en éclat. Le peuple marseillais ne se rassemble qu'au Vélodrome. Et encore... Son unité, fracassée, a des airs de légende urbaine. La ville concentre en effet le plus fort taux de quartiers privés de France.
Les crispations sociales et identitaires y sont monnaie courante. Les plus fortuné·es enferment biens et familles au cœur de résidences closes avec gardiens, portails infranchissables, jardins partagés et vue sur la mer. Les rares classes moyennes cherchent, tant bien que mal, à éviter la prolétarisation. La dépossession sociale a un nom: la mixité. Vivre non loin des populations défavorisées peut être ressenti comme un marqueur de régression. La solution consiste à contourner la carte scolaire et à se ruer, dès que possible, sur les logements périurbains.
La ville se couvre ainsi de petites constructions, hautes en moyenne de trois étages. Les lots, minuscules, ne dépassent guère le T4. Et pour cause, une grande famille serait synonyme d'immigration récente. Fracture économique et ethnique se confondent dans une cité à couteaux tirés.
«Le problème des transports, c'est l'insécurité.»
Madeleine Gimenez assume quant à elle parfaitement son choix. Mère de deux enfants, cette «employée de commerce» décide de s'installer entre Bouc-Bel-Air et le centre pénitentiaire de Luynes. Une zone censée être calme. «Vous iriez dans une ZAC vous?», lance-t-elle cassante. Le ton est donné. Madeleine ne regrette rien. «Je me saigne aux quatre veines. J'ai un CDI, je travaille. Mes enfants vont dans un bon collège. Je veux pas de mauvaises influences. »
Madeleine, s'arrête, tire une bouffée de cigarette. Le roc du Pilon du Roy, au loin, se nimbe peu à peu de nuages. La mère de famille jette un œil sur les flancs déchirés du massif. «Le problème des transports, c'est l'insécurité. La ligne de train entre Aix et Marseille traverse les quartiers nord. Trop dangereux. Je refuse que mes enfants empruntent cette ligne. Souvenez-vous, l'an dernier, la petite qui a été agressée.»
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Les faits sont terribles. Le 17 avril 2019, une jeune fille de 15 ans est victime d'un viol dans le TER reliant Marseille à Aix-en-Provence. Quatorze minutes suffisent pour que l'adolescente subisse un crime sexuel. L'assistance, muette, reste impassible. Lâcheté, peur ou indifférence, la réaction des témoins suscite l'incompréhension. «Si j'avais été là, fanfaronne un peu Madeleine. Les gens ont la frousse maintenant. C'est comme ça, c'est notre époque.»
L'époque ou l'histoire ne peuvent cependant expliquer la fragilité du système de transport phocéen. Face à l'incurie, le clientélisme marseillais tourne à plein régime. Le résultat s'avère souvent cocasse. En témoigne cette ligne de car parallèle, véritable bus secret, mise à disposition de certain·es habitué·es. Le lièvre fut levé par le quotidien d'information Marsactu.
Un bus fantôme doublerait mystérieusement la ligne 19, laquelle, les touristes le savent, se trouve habituellement bondée en période estivale. Le scandale fait mouche. Une partie des réseaux sociaux s'enflamme, on cherche, comme le Graal, le précieux bus occulte. Acculée, la Régie des transports marseillais doit avouer la manœuvre. Une ligne bien réelle navigue donc douze fois par jour entre la place Castellane et le VIIIe arrondissement. Quant aux horaires, bien évidemment non affichés, ils furent, de l'avis de tout le monde, aussi peu partagés qu'un coin à palourdes sur l'Étang de Berre.
Ce mélange entre Paranormal Activity et les enquêtes de Scoubidou pourrait prêter à sourire. Rien, à Marseille, n'échappe à la galéjade. L'affaire, grotesque, résonne néanmoins comme le symbole d'une gouvernance à la dérive.
Sébastien Barles, Debout Marseille
«Tel est le résultat de vingt-cinq ans de politiques privilégiant systématiquement le tout-voiture», gronde alors Sébastien Barles, candidat Europe Écologie–Les Verts et tête de liste de Debout Marseille pour les prochaines élections municipales. Ce docteur en droit public, diplômé de Sciences Po, enseigne depuis de longues années à Paris 8, la fac de Saint-Denis. Écolo, viscéralement anti-raciste, il doit son engagement politique à la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. «À l'époque, j'étais enfant et j'habitais à Nice, se souvient-il. Jacques Médecin avait signé un accord de jumelage avec Le Cap, alors que l'Afrique du Sud vivait encore sous un régime d'apartheid. L'artiste Ernest Pignon-Ernest avait recouvert toute la promenade des Anglais de milliers d'affiches en noir et blanc représentant des familles du ghetto de Soweto derrière des grillages et des barbelés. Cette irruption de la ségrégation raciale dans la dolce vita de la Riviera m'a profondément marquée. Ce fut mon initiation à la politique.»
La conscience philosophique de Sébastien Barles s'aiguise au gré des grandes luttes universalistes. Très vite, le jeune homme trouve une cause à défendre. Ce sera l'écologie. «Plus tard continue-t-il, étudiant à Paris pour rédiger ma thèse, mon engagement s'est fait plus urbain, social et écologique. J'étais dans un collectif qui luttait contre la bétonisation de l'Est parisien. Il y avait un peu partout d'immenses chantiers de construction. On détruisait des pâtés de maisons entiers pour faire pousser des blocs de béton. Ces quartiers n'avaient quasiment pas d'espaces verts. Avec une bande d'étudiants on transformait ces friches en jardins publics, avec des espaces de jeux pour les enfants, du cinéma en plein air, des repas et des bals populaires. La ville doit être un espace partagé et partageable. On doit bien sûr pouvoir y habiter, et donc construire et rénover. Mais on doit surtout pouvoir y vivre ensemble.»
«J'ai connu étudiant la movida culturelle avec la Friche, cratère du bouillonnement des années 1990.»
Culturellement, le militant écolo dévore les œuvres de Jean Jaurès, «l'homme de paix». Il révère par ailleurs l'engagement de Salvador Allende et fut marqué très jeune par l'assassinat de Chico Mendes, le grand défenseur de la forêt amazonienne. De nos jours, ses «exercices d'admirations» sont dédiés à Vandana Shiva. «J'ai la chance de la connaître pour l'avoir invitée à plusieurs reprises, souffle Sébastien Barles. Cette militante s'est battue seule avec un courage et une détermination incroyable contre l'impérialisme quasi colonial des semenciers en Inde. Elle réalise un travail remarquable pour l'agriculture paysanne et pour la condition féminine.»
Les valeurs humanistes qui ont nourri Sébastien Barles sont, à ses yeux, non négociables. Elles seraient, pense-t-il, des atouts importants pour rendre la commune enfin respirable. «Marseille est ma ville de cœur, avoue le candidat écologiste. J'en suis tombé amoureux très jeune. J'ai également eu deux vecteurs d'attraction: les films de Guédiguian et la saga de l'OM des années de rêve jusqu'à la quête du Graal européen. J'ai connu étudiant la movida culturelle avec la Friche, authentique, cratère du bouillonnement des années 1990. J'ai fréquenté les cafés concert qui ont vu émerger la nouvelle vague culturelle marseillaise dans le sillon des Massillia et d'IAM: le Balthazar [fermé depuis, ndlr], la Machine à coudre, le Poste à Galène [devenu le Makeda], le CAJU...»
Un âge d'or phocéen, rythmé par des airs de rap, colle encore à la peau de Sébastien Barles. On croirait entendre le récit de l'un de ces mythes marseillais, où il est question, au creux des nineties, de vivre comme une étoile et de finir sa nuit à la table du célèbre «Miam Miam Glou Glou». À jamais les premiers, sauf, peut-être, concernant la mobilité.
Un plan de mobilité
Le candidat Europe Écologie-Les Verts change soudainement de visage. La question est sérieuse. «Marseille accuse un terrible retard en matière de transports collectifs, constate Sébastien Barles. Plus largement ce sont les politiques en faveur de la qualité de l'air qui sont en cause. La cité phocéenne a d'ailleurs été classée en 2019 dernière des grandes villes françaises dans un rapport de Greenpeace, Unicef et le Réseau Action Climat. Bref, il est temps de proposer une nouvelle politique des déplacements en développant les alternatives à la voiture pour améliorer le bien-être des habitants. Il faut tout d'abord compléter et agrandir le réseau de tramways et de bus existants. La justice sociale exige que les investissements dans le nord de Marseille soient privilégiés, où 60% de la population n'a pas de voiture.»
«Des parking relais permettront de limiter les trajets en voiture en les laissant aux terminus de lignes de bus, tramways ou métro.»
Le candidat EELV aux municipales de Marseille ajoute: «Il faut aussi augmenter la fréquence de la desserte des bus partout où cela sera nécessaire. Nous lancerons avec la Métropole une enquête ménages-déplacements pour sonder les besoins des Marseillais. Il faut par ailleurs définir un plan de déploiement ambitieux de bus propres pour que, d'ici à 2026, une très grande partie du parc de bus soit ainsi convertie. Les lignes de bus 100% électriques commencent également à voir le jour avec les progrès réalisés sur l'autonomie des batteries, permettant de réduire à zéro les émissions de polluant dus à la motorisation des bus.»
Sébastien Barles pense aussi aux pistes cyclables: «Il faut enfin donner toute sa place au vélo, mobilité douce, propre et saine par excellence. Il s'agit de créer un vrai réseau de pistes cyclables en voies bidirectionnelles protégées sur la chaussée –et non sur les trottoirs. Malgré un meilleur maillage de transports en commun, de nombreux Marseillais et habitants des villes alentours ne pourront pas se passer de leur véhicule au quotidien, du fait de l'étendue du territoire de la Métropole. Grâce à la création de parking relais, ils pourront limiter leur trajet en voiture en les laissant au niveau de terminus de lignes de bus, tramways ou métro.»
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Ce plan de mobilité sera-t-il à hauteur des enjeux, immenses, qui attendent la cité phocéenne? Le chef de file écolo enfonce le clou. «Notre vision à long terme, estime-t-il, c'est la “ville du quart d'heure”. Tous les besoins essentiels doivent se trouver à moins d'un quart d'heure de chez soi: crèches et écoles, transports collectifs, offres de soins, parcs et espaces verts, équipements culturels et sportifs, magasins et commerces de proximité, services publics. Les transports sont les maillons essentiels de cette ville du quart d'heure pour tous et toutes.»
Une liste autonome
Écologie et proximité. Tels seront les maîtres mots d'une ville gouvernée par Debout Marseille. La perspective d'une victoire politique est-elle cependant crédible? Sébastien Barles, lui-même, fut accusé, en se lançant seul dans l'aventure, de faire perdre tout espoir à la gauche. En octobre dernier, les adhérent·es d'Europe Écologie-Les Verts font le choix de créer une liste autonome. La décision sonne comme un véritable uppercut. L'union entre les forces de gauche tombe à l'eau. C'est la gueule de bois pour le Parti socialiste (PS), La France insoumise (LFI) et le Parti communiste français (PCF).
Depuis quelques jours, malgré tout, un sondage agite le microcosme politique local. Avec 16% pour le Printemps marseillais et Michèle Rubirola, 14% à Sébastien Barles, environ 7% pour la divers gauche Samia Ghali et 3% crédités à Christophe Madrolle, président de l'UDE, une vaste union rouge-rose-verte emporterait 40% des suffrages. Christophe Madrolle connaît cependant des difficultés venant gripper sa campagne. L'UDE vient en effet d'être placée sous administration judiciaire. Le parti, au bord de l'explosion, apparaît miné de l'intérieur. Un espace politique va-t-il se libérer? Et au profit de qui? L'écologie politique étant, par nature, électoralement imprévisible. Les calculettes sont de sortie. Certain·es militant·es s'inventent des compétences en analyse sondagière. On commente les résultats comme une future compo de l'OM.
«L'écologie pour moi a toujours été un ailleurs, tempère immédiatement le chef de file de Debout Marseille. Elle demeure extérieure à ce vieux clivage gauche-droite qui s'inscrivait dans une logique productiviste et croissanciste.» Une affaire entendue? Pas vraiment. Sébastien Barles ajoute, un brin mystérieux: «En revanche, si l'écologie dépasse le clivage gauche-droite, elle se reconnaît dans les valeurs de la gauche, perverties malheureusement quand cette dernière a été au pouvoir: le partage, la solidarité, l'égalité.»
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De gauche sans en être? Un nouveau «et en même temps», qui, en dernière analyse mettrait tout le monde d'accord au sujet de l'ennemi principal. Pour Sébastien Barles, il possède un nom. C'est le Rassemblement national.
Très implanté sur Marseille, dirigeant les XIIIe et XIVe arrondissements de la commune, le parti, dont la figure de proue locale est incarnée par le sénateur Stéphane Ravier, voit ses ambitions politiques gonfler. D'autres mairies de secteur sont en ligne de mire. Pourquoi pas la ville? Un séisme qui, naturellement, prendrait une ampleur hexagonale.
Face à ce danger, l'endiguement du Rassemblement national demeure un objectif pour une certaine gauche. En témoigne ce communiqué de presse du Printemps marseillais, en date du 18 janvier 2020. Nous «appelons, peut-on lire, toutes les forces de progrès et républicaines partageant nos valeurs à se réunir dans les XIIIe et XIVe arrondissements pour entraîner une dynamique de rassemblement progressiste dans toute la ville».
Que faire? Sébastien Barles, dans un premier temps, allume la mèche: «Depuis le début nous disons qu'il faut réaliser l'unité dans le XIII-XIV pour battre ce personnage sexiste, raciste et homophobe qu'est Stéphane Ravier.»
«Si l'écologie dépasse le clivage gauche-droite, elle se reconnaît dans les valeurs de la gauche.»
Tirant à boulets rouges, la tête de liste de Debout Marseille fait explicitement référence aux déclarations polémiques qui, depuis quelques années, émaillent le parcours politique de Stéphane Ravier.
En 2014, fraîchement élu maire des XIIIe et XIVe arrondissements, l'édile, à l'époque Front national, avait avoué, selon le quotidien la Provence, ne pas être «fan» des mariages homosexuels. Et d'ajouter: «L'humanité est structurée sur le rapport hommes-femmes.» Les unions entre même sexe n'étant, à ses yeux, ni «naturelles» ni «civilisationnelles».
Une poignée d'années plus tard, c'est au tour de la sénatrice Samia Ghali de subir les foudres du représentant RN. En avril 2019, l'élue des quartiers nord est ainsi qualifiée de «point G de Marseille»! Bis repetita au cours de l'été suivant, où, à l'occasion de la demi-finale de la Coupe d'Afrique des nations de football (CAN) entre le Sénégal et les Fennecs d'Algérie, Stéphane Ravier écrit sur Twitter: «D'après vous, Samia Ghali est: 1: Sénatrice algérienne. 2: Sénatrice française. 3: Fière d'être FLN?»
Les commentaires des followers sont explicites. On y découvre des appels à la «remigration» ainsi que des remises en question de l'identité française de la sénatrice des Bouches-du-Rhône.
Un autre incident, en février 2019, se produisit cette fois en plein conseil municipal. Stéphane Ravier adresse une attaque à la responsable écologiste Lydia Frentzel. Chahutée par le groupe RN, l'élue écolo réplique: «On se verra dans les XIIIe et XIVe arrondissements.» La remarque politique fait référence aux futures élections municipales. Qu'importe, l'édile RN lui répond «au même hôtel, le même jour, à la même heure». Rire coté Rassemblement national, colère parmi la gauche et la droite républicaine. Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, en rajoute: «En tout cas, ce n'est pas dans mon bureau!». L'hémicycle s'enflamme. Les invectives partent de tous côtés. Stéphane Ravier est traité de «merde». Ambiance...
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C'est que l'atmosphère, depuis un an, est toujours aussi électrique. Sébastien Barles, pour sa part n'en démord pas: «Nous devons tous être responsables pour battre le parti de la haine et du rejet dans les XIIIe et XIVe.» L'écologiste, sur ce point, accuse le Printemps marseillais et sa communication «unitaire». «Nous avons répondu positivement à l'appel d'un groupe de citoyens sur l'unité dans les XIIIe et XIVe, souligne t-il assez fermement. Nous participons depuis quinze jours à la construction collective d'une liste d'union. Jusqu'ici le Printemps marseillais a communiqué à ce sujet sur les réseaux sociaux, dans une posture qui n'est pas loin de la récupération alors qu'il n'est pas à l'initiative de cette union! C'est le jeu, mais surtout on ne le voit pas beaucoup dans les “réunions collectives liste d'union XIII-XIV”, et j'avoue que cela nous inquiète un peu. J'espère de tout cœur que c'est un problème d'organisation et non de volonté politique qui les empêche d'être aussi présents qu'on le souhaiterait!»
Récupération, désertion, posture virtuelle sur Facebook et Twitter, Sébastien Barles est loin d'être tendre avec le Printemps marseillais. De l'huile sur le feu, néfaste à une éventuelle union? Dernièrement Samia Ghali semble avoir fait un pas vers une alliance, au second tour, avec les écolos. Europe Écologie et elle ont «les mêmes valeurs», a-t-elle déclaré devant les journalistes de la Provence.
Le spectre du RN pourrait-il réunir un arc républicain suffisamment solide et cohérent pour gouverner la ville? Avec ses airs de Stalingrad sur Canebière, ses formules assassines et ses stratégies plus ou moins floues, la bataille du Vieux Port promet des futures semaines épiques.
En attendant Karim, sous la pluie, sera encore en retard. Son TER vient d'être supprimé. À jamais les derniers...