Pas question de «gérer l'été en pente douce» avait prévenu le président dès le 5 juin –«à la François Hollande» est-on tenté d'ajouter, lui qui avait consacré le premier été de son mandat à lézarder comme un Oblomov en sa datcha du fort de Brégançon. Une sieste mémorable qui lui avait valu une sévère chute de popularité à la rentrée de septembre.
L'intervention du président de la République le 12 juillet a pour but de relancer la tension narrative du feuilleton présidentiel. C'est le cliffhanger, si l'on veut, du dernier épisode de l'année, un moyen de créer le suspense avant la coupure de l'été. Le cliffhanger le plus célèbre reste celui de la série Dallas. Dans le dernier épisode de la saison 3, J.R. Ewing se faisait tirer dessus. Tout l'été, une grande campagne fut lancée, à grand renfort de mugs et de t-shirts, sur le thème (la tag line): «Qui a tiré sur J.R.?» («Who Done It»).
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Spéculations
Il en est de même de l'intervention du président. «Que va-t-il annoncer?», spéculent les gazettes, pressées de deviner le menu des nouvelles mesures contre la énième reprise de la pandémie. Le chef de l'État devrait annoncer des décisions sur la vaccination obligatoire des soignants, l'extension du pass sanitaire ou encore le renforcement des contrôles aux frontières. Après le confinement partiel ou sectoriel, les gestes barrières et le port du masque (et j'enlève le masque et je remets le masque), tout ce que peuvent faire encore les autorités sanitaires, c'est surveiller la montée de la couverture vaccinale comme le lait sur le feu du variant Delta.
Pour Emmanuel Macron, l'été est une période de révision, il doit servir à prendre du recul, à combler les impasses, à redonner du sens à l'action politique, à se fixer de nouveaux objectifs bref, comme il aime à le dire: «Montrer aux Français là où on les emmène.»
Porté par le vent d'optimisme lié au déconfinement, le chef de l'État voyait dans ce rendez-vous l'occasion de tenter une échappée dans son Tour de France préélectoral. Mais c'était sans compter avec le Covid.
Le virus écrit le scénario
Tel le diable de Boulgakov déboulant accompagné de sa suite, dans le Moscou de la fin des années 1920 pour y semer la panique dans l'élite politico-littéraire, le Covid-19 et son variant Delta sont venus bouleverser l'agenda présidentiel. Car plus que jamais, c'est le virus qui écrit le scénario, ordonne les épisodes, crée la surprise, introduit une rupture narrative. C'est lui le véritable show runner de la série Covid-19. Pas question pour le pouvoir de dérouler sa petite séquence politique conformément au script présidentiel. Le virus est un élément perturbateur. Lorsqu'il s'invite, il ne s'annonce pas à l'avance. Il n'obéit pas non plus aux injonctions du pouvoir et ne se laisse pas confiner. Il a ses raisons et ses rythmes dont on ignore le calendrier. Impossible d'ordonner l'action politique dans ces circonstances, quand l'horizon politique est noyé dans une sorte de brouillard d'épidémie.
On le disait en voie d'extinction, mais voilà qu'il réapparaît sous les traits du variant Delta, plus vigoureux encore, plus contagieux, sans autre logique que celle obscure de la transmissibilité et des mutations.
Le Covid oblige le pouvoir à revoir ses plans et à déployer l'éventail usé jusqu'à la corde des mesures de prévention.
Il y a des formules pour dire ça: «L'incidence repart à la hausse», «reprise épidémique exponentielle», «quatrième vague inévitable», tout un vocabulaire de l'aggravation, de la contagion, de la surenchère. Sans oublier l'inévitable «course contre la montre» évidemment de saison à l'heure du Tour.
Le Covid est plus que jamais le maître du temps et de l'espace politique. Les hommes politiques feraient bien de s'en aviser et d'adapter leur communication à ce manque de visibilité, comme on le fait au volant quand il y a du brouillard. Inutile de dépasser le virus ou d'anticiper sa conduite imprévisible. Car il peut donner l'impression de s'éclipser un moment, laissant les politiques parader comme des généraux au soir de la victoire, pour revenir bousculer l'échiquier des calculs et des stratégies, obligeant le pouvoir à revoir ses plans et à déployer l'éventail usé jusqu'à la corde des mesures de prévention.
Jupiter terrassé
Mais vingt-quatre heures avant l'intervention d'Emmanuel Macron, les réseaux sociaux semblaient préoccupés par une toute autre question: le chef de l'État allait-t-il, comme promis, afficher sur son bureau la photo de McFly et Carlito?
#DeltaVariant Preuve que l’heure est grave, «Emmanuel Macron va, selon toute vraisemblance, renoncer à une promesse: celle d'afficher une photo des youtubeurs McFly et Carlito dans son bureau [...]» https://t.co/MmZbz03eGp via @le_Parisien
— Rémi Godeau (@remigodeau) July 11, 2021
Et irait-il jusqu'à les expédier dans un avion de la patrouille de France lors du défilé du 14 juillet, tels des mini Branson et Bezos dans l'espace hexagonal?
Défilé du 14-Juillet: les YouTubeurs McFly et Carlito seront bien dans un avion de la Patrouille de France https://t.co/0tZYz0oiDo pic.twitter.com/uKK7RQXpHV
— Le JDD (@leJDD) July 11, 2021
Exit la grande entreprise du quinquennat qui visait à peupler la scène désenchantée de la politique d'actions exemplaires, d'images et de souvenirs frappants, une forme d'héroïsme politique capable d'incarner un récit commun et d'impulser un redressement non pas industriel mais lyrique, théâtral. Le quinquennat avait commencé devant la pyramide du Louvre comme un geste héroïque, il s'éternise désormais à coups de petites gestes à l'usage du bon peuple exténué par plusieurs mois de confinement.
L'ouverture des terrasses le 19 mai a pris l'allure d'une reconquête menée au pas de course et sabre au vent d'un territoire volé par le virus. «Tous en terrasse!» Le mot d'ordre avait tout l'air d'une mobilisation patriotique. Le rituel du café en terrasse se voulait le signal d'une victoire contre l'occupant qui avait pris les traits du virus. C'était presque comme s'il s'agissait de récupérer l'Alsace et la Lorraine, les marches de la nation, sur le pavé de Paris. Bien sûr il ne s'agissait que de quelques arpents de trottoirs, mais des arpents stratégiques, là où s'épanouit cette essence volatile que les sondeurs traquent en période électorale: le moral des Français.
Le président et son Premier ministre s'attablèrent pour les photographes comme on plante un drapeau tricolore sur un territoire fraîchement reconquis. Le café croissant accéda au rang d'un symbole de «l'art d'être français». C'est tout juste si on ne servit pas l'expresso dans des tasses tricolores.
Nous y sommes!
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 19, 2021
Terrasses, musées, cinémas, théâtres… Retrouvons ce qui fait notre art de vivre. Dans le respect des gestes barrières. pic.twitter.com/UXfOKur9D0
Un an avant l'élection présidentielle, la mobilisation des terrasses fut le premier acte de la campagne, une performance inédite visant à tourner la page de la pandémie et en écrire une autre tant qu'il était encore temps. Le virus, tout occupé à ses mutations génétiques, laissa faire.
La verticalité revendiquée et mise en scène par le président lors de sa prise de fonction céda la place à l'horizontalité des terrasses. Jupiter s'étala sur le trottoir. On déroula des kilomètres de terrasses comme des rouleaux de moquette sur les places de stationnement réquisitionnées. Une opération de mobilisation sans précédent depuis les taxis de la Marne, la politique de la terrasse. Quel en fut l'effet sur le moral des Français? On l'ignore! Ce que l'on observait c'est une explosion de la demande de palettes et de clous à bois. La flambée inattendue du marché de la palette en témoignait.
Un alchimiste hasardeux
La chronique du macronisme se donne à lire comme une suite de crises à laquelle le pouvoir s'est efforcé de répondre par une succession de postures contradictoires (le grand débat et les violences policières) de tête-à-queue idéologiques (sur l'immigration, la sécurité), de mélange des genres entre les registres du sérieux et du divertissement, de juxtaposition des scènes et des écrans (des Invalides où le monarque reçoit Poutine à YouTube aux côtés de McFly qui fait des cabrioles sur la pelouse de l'Élysée). Son moyen de communication préféré, ce n'est plus le JO mais la BD.
Le président voulait utiliser l'audience affolante des deux YouTubeurs. Mais en le qualifiant de «directeur de la Gaule» ce sont eux qui l'ont bizuté, traduisant pour des millions d'internautes la parole présidentielle dans le lexique d'Astérix et Obélix. Macron devint Macronix sous leurs regards moqueurs. Il avait tout l'air d'Assurancetourix, le barde du village gaulois ficelé par leurs blagues dans les jardins de l'Élysée.
Le monarque distant a cédé la place à Monsieur Je-sais-tout, le narrateur au YouTubeur.
Emmanuel Macron est un alchimiste hasardeux. Il mélange les genres, expérimente des hybridations contre-nature, compose des cocktails explosifs. Il plaisante sur les substances illicites pendant que la police réprime les consommateurs dans la rue. Il veut séduire la jeunesse sans s'aliéner une opinion obsédée par la sécurité. Il veut la beuh et l'argent de la beuh.
Depuis son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron a dû affronter une série de crises (affaire Benalla, «gilets jaunes», Covid-19) d'inégale importance mais qui ont ceci de commun qu'elles ont chacune à leur manière mis en échec l'agenda présidentiel. Il pensait inscrire son mandat dans le temps long d'une décennie, ordonner ses réformes successives selon un scénario lisible, être le narrateur de sa présidence. Peine perdue! Le monarque distant a cédé la place à Monsieur Je-sais-tout, le narrateur au YouTubeur. Le leadership a viré à l'autoritarisme et l'intelligence a pris trop souvent les traits de l'arrogance. Jupiter s'est dédoublé en Janus: Darmanin et Carlito.