«Gaguesque!» C'est sans conteste le mot de la semaine! On le doit à Éric Zemmour qui a qualifié ainsi la vidéo du YouTuber Papacito dans laquelle celui-ci décapite et larde de plusieurs coups de couteau une effigie qui représente un électeur de La France insoumise. Une simple expérience selon le YouTuber, qui a pour objet de vérifier «si le matériel du mec qui vote Mélenchon lui permet de résister à une attaque terroriste potentielle sur le territoire». Les images sont très violentes et ont légitimement suscité l'indignation de tous ceux qui ont vu la vidéo avant qu'elle ne soit retirée par YouTube.
En marge de cette simulation d'exécution, Papacito prodigue des conseils pour se procurer des armes et des munitions en toute légalité dans la perspective d'une guerre de civilisation qui ne saurait tarder. «Les armes, c'est l'assurance d'être entendu quand vous avez quelque chose à dire», affirme-t-il, ajoutant qu'elles permettent «de vous faire respecter dans les moments où on remettra en doute vos convictions».
Son maître à penser est un certain «major Gérald», un coach de la Légion étrangère, qui s'est fait connaître sur YouTube pendant le confinement. «Il met des énormes coups de lattes en insultant les mecs. Ce qui, jusqu'à preuve du contraire est le truc qui fonctionne le mieux au monde», estime Papacito.
Selon Romain Fargier, chercheur au Centre d'études politiques et sociales de Montpellier interviewé par France Inter, Papacito et le major Gérald entendent ainsi «dématrixer», c'est-à-dire «détourner les gens de leur idéologie traditionnelle, ouvrir les yeux aux gauchistes et les faire basculer dans leur camp».
«J'aime beaucoup Papacito, c'est un garçon sympathique et intelligent, a assuré Éric Zemmour le 7 juin sur le plateau de CNews. C'est une vidéo gaguesque. C'est du deuxième degré, du troisième degré. Il se moque de lui-même. C'est une espèce de dérision de la virilité», a décrypté le polémiste qu'on ne connaissait pas jusque-là pour son autodérision. Surtout en matière de virilité! La performance papagaguesque serait une manifestation du fameux esprit Canal, même si «à l'époque c'était la gauche qui le portait», ajoutait Zemmour. Papacito n'expliquait-il pas à Valeurs Actuelles qu'il voulait faire un contre Canal+ culturel? «Qui soit aussi fun, mais porteur d'idées patriotes et plus réactionnaires.» En un mot: gaguesque!
La campagne actuelle est une parodie de campagne
Le mot «gaguesque» s'est répandu rapidement sur les réseaux sociaux. Dès le lendemain, les internautes s'en sont emparés pour désigner la gifle reçue par Emmanuel Macron dans la Drôme. Alors que toute la classe politique condamnait fermement une atteinte à la sacralité de la fonction présidentielle, les réseaux sociaux célébraient au contraire le caractère «gaguesque», presque carnavalesque, de l'affront fait au président. «Il a ce qu'il mérite si j'ose dire, osa Zemmour. Il a lui-même désacralisé sa fonction. Il n'a pas respecté sa fonction», a-t-il argumenté, évoquant deux images du quinquennat, la première, lorsqu'il a convié des danseurs LGBT à l'Élysée pour la Fête de la musique 2018, et lorsqu'il a posé avec un jeune braqueur sur l'île de Saint-Martin devant les photographes.
Emmanuel #Macron a lui-même désacralisé sa fonction, il n'a lui-même pas respecté sa fonction.#Facealinfo pic.twitter.com/07OeVw5uS2
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) June 8, 2021
Pourtant, le phénomène est loin de se réduire à des questions de comportement. Emmanuel Macron n'est pas seul concerné. La désacralisation du pouvoir ne connaît pas de frontières. Que dire sinon de Donald Trump, le héros de Zemmour qui a érigé le «gaguesque» en art de gouverner.
La vie politico-médiatique est devenue une suite ininterrompue de gags. Un jour ce sont les cabrioles de Carlito dans les jardins de l'Élysée. Un autre c'est la vidéo de Papacito ou celle prenant pour cible Manuel Valls. Puis vient l'épisode de la gifle présidentielle ou celui moins grave de Mélenchon enfariné, qui prive cependant de Rugy, lui aussi enfariné, de son quart d'heure d'indignité.
Une superproduction de gags régit la vie publique. Une armée d'influenceurs s'y emploie, en coproduction avec les chaînes d'infos en continu et leurs éditorialistes.
Ces événements bouffons, gaguisés et gaguiseurs, (Baudrillard parlait d'événement farce) font dérailler la scénarisation et la programmation narrative des événements par les pouvoirs institués. Ils relèvent d'une logique symbolique et non plus seulement politique. Ils fonctionnement à la simulation, au double jeu, à la parodie. La campagne actuelle est une parodie de campagne.
«Tout ceci est gaguesque», a-t-on envie de dire à chaque fois alors qu'un gag efface l'autre dans une logique de surenchère. Et c'est si vrai si l'on entend par «gaguesque» l'ensemble des procédés qui déjouent les lois et les codes de l'exercice du pouvoir et de sa représentation. C'est une véritable superproduction de gags qui régit la vie publique. Une armée d'influenceurs s'y emploie, en coproduction avec les chaînes d'infos en continu et leurs éditorialistes, animateurs, commentateurs, tous avides d'attention et dévoués à la seule cause qui compte l'audimat. Ils semblent ne relever que d'eux-mêmes, mais ils sont soumis à une force obscure et immanente qui ne vise plus à protéger le secret du pouvoir mais à le démasquer, non plus à entourer ses institutions d'un voile protecteur mais à le mettre à nu, à l'exposer dans sa vulnérabilité.
Si la majesté du pouvoir était le reflet de sa souveraineté, le «gaguesque» est celui de la souveraineté perdue. Qu'est-ce qu'un clown sinon la figure inversée de la maîtrise? Qu'est ce que le bouffon du roi sinon l'envers de la puissance? Celui qui prend sur lui pour les détourner du roi les flèches du discrédit.
Zemmour ou le discrédit systémique
Les lois de la représentation politique, avec leurs rites et leurs protocoles, laissent la place à une logique d'exhibition «à portée de baffes» comme l'a dit Xavier Bertrand. De l'incarnation de la fonction, on est passé à l'exhibition de la personne. Du caractère sacré de la fonction à sa profanation. L'exercice de l'État a perdu sa dimension de sacralisation pour revêtir une portée sacrificielle. Emmanuel Macron incarne cette mue historique jusqu'à la caricature. Du père de la Nation à l'enfant-roi. Et du sacre à la gifle.
Ce n'est pas seulement à une dérive droitière que nous assistons, mais à la dévoration médiatique de toutes les figures publiques de la représentation. L'écran de télé, de smartphone ou d'ordinateur est désormais ce trou noir qui aspire ce qu'il reste du rayonnement du politique. Homo politicus. Homo academicus. Homo mediaticus. Toutes les figures publiques y succombent l'une après l'autre: la figure du politique, privée de sa puissance d'agir, celle du journaliste, de son indépendance, celle de l'intellectuel, du magistère de la pensée. Homme politique sans pouvoir, journaliste embedded et intellectuel sans œuvre: voilà les trois figures de la dévoration médiatique; elles fusionnent sous nos yeux pour donner naissance à l'histrion, au polémiste dans un univers où la manipulation des pulsions a pris la place de l'échange des idées et des expériences.
Zemmour est en France la figure politique centrale de ce discrédit systémique. Il assoie sa légitimité de manière paradoxale, non pas sur un crédit quelconque, une expertise reconnue mais sur le discrédit qui le frappe, la rumeur ignoble qui l'entoure, le mépris qu'il inspire. Son émission «Face à l'info» mériterait de s'appeler «Face à l'infâme» puisqu'il ne s'agit que d'y rendre la cruauté légitime. Chaque soir Zemmour peut qualifier des réfugiés d'envahisseurs, des femmes musulmanes de mosquées ambulantes et des mineurs de délinquants et de violeurs.
Il réoriente les flux d'indignation nés de l'hypercrise actuelle vers des cibles non seulement visibles et sans défense mais à portée de chacun. Et ce en mariant la fausse érudition et violence, la dérision et l'appel au crime. D'où son caractère clivé qui se donne à lire sous la forme d'un sérieux dégradé, d'une fausse érudition et d'un moralisme dépravé.
C'est sans doute son gag le plus réussi que d'avoir réussi à faire passer une culture de pacotille, nourrie de préjugés machistes et d'impenses coloniaux comme le sursaut de la vérité bafouée.