Politique / Monde

Qu'a tweeté Trump cette semaine? Chronique du 4 au 8 janvier

Temps de lecture : 11 min

Plongée dans la logorrhée interrompue du futur ex-président américain.

Trump s'adressant à des partisans près de la Maison-Blanche le 6 janvier 2021, à Washington, DC. | Brendan Smialowski / AFP
Trump s'adressant à des partisans près de la Maison-Blanche le 6 janvier 2021, à Washington, DC. | Brendan Smialowski / AFP

Avertissement: cette chronique non exhaustive se base sur les tweets de la semaine jugés les plus pertinents. L'homme le plus puissant du monde a une production si pléthorique que l'analyse de toutes ses productions numériques nécessiterait des jours et des nuits de décorticage et de labeur selon des conditions de travail dénoncées par les conventions de Genève.

Avertissement bis: Suite à un incident indépendant de notre volonté, il n'est parfois pas possible de montrer l'original du tweet mentionné.

Avertissement ter: Twitter ayant définitivement suspendu le compte de Donald Trump vendredi 8 janvier, notre chronique se termine exceptionnellement à cette date.

Lundi 4 janvier

Une semaine qui commence comme les autres dans la tête et le fil Twitter du président, qui continue de clamer que les élections ont été truquées.

«Comment peut-on certifier une élection quand les chiffres certifiés sont FAUX et que c'est vérifiable. Vous verrez les vrais chiffres ce soir pendant mon discours, mais surtout le 6 JANVIER. @SenTomCotton il y a des positifs & des négatifs chez les Républicains, mais une chose est sûre, ILS N'OUBLIENT JAMAIS!»

Le sénateur Tom Cotton, qui a longtemps soutenu Trump, venait d'annoncer qu'il ne voterait pas contre la certification du vote pour Biden, qui doit avoir lieu mercredi au Congrès. Trump le menace de détruire sa carrière politique (car Cotton caresse l'idée de se présenter aux primaires républicaines pour les élections de 2024).

Le sénateur Ted Cruz, lui, reste loyal à Trump (loyauté qui périra violemment jeudi au bout de quatre ans de dévotion totale, lorsqu'il déclarera que «le discours et la réthorique du président vont souvent trop loin. À mon sens, hier en particulier, que la parole du président et sa réthorique ont franchi la ligne jaune et c'était dangereux. Je ne suis pas d'accord avec elles, et je suis en désaccord avec le discours et la réthorique du président depuis quatre ans.»)

«“On a vu ces derniers mois des quantités sans précédent de Fraude Électorale.” @SenTedCruz C'est vrai!»

Trump cite Ron Johnson, sénateur du Wisconsin, également resté fidèle. Le discours reste linéaire: l'élection qui sera certifiée dans trois jours est teintée d'illégalité.

«“Nous n'agissons pas pour contrecarrer le processus démocratique, nous agissons pour le protéger.” @SenRonJohnson»

De formalité, cette certification du vote des grands électeurs devient un vote de loyauté non pas envers le Parti républicain mais envers la personne du président. À ce stade, douze sénateurs républicains ont annoncé qu'ils envisageaient de s'y opposer. Le procédé n'a aucune chance d'aboutir, mais le symbole sera fort.

«Le “Surrender Caucus” [le groupe politique qui capitule, ndlr] à l'intérieur du Parti républicain restera gravé dans l'histoire de la honte en tant que “gardiens” faibles et inefficaces de notre Nation, qui auront accepté la certification de chiffres présidentiels frauduleux!»

Ce soir, Trump se rend à un meeting en Géorgie, car demain aura lieu le second tour des sénatoriales qui décidera de la couleur du Sénat pour les deux prochaines années. Si les deux candidats démocrates sont élus, Biden aura les mains libres pour mener une vraie politique démocrate.

«Je pars en Géorgie, à très bientôt!»

La première phrase de ce meeting, dont Trump publiera immédiatement la totalité sur son compte:

«Je veux vraiment vous remercier, bonjour la Géorgie au fait, impossible qu'on vous ait perdue, impossible, c'était une élection truquée!»

Mardi 5 janvier

Trump recense ses alliés pour le grand jour...

«Je suis ravi d'annoncer que @KLoeffler & @sendavidperdue viennent de rejoindre notre super groupe de sénateurs #StopTheSteal. Ils combattront la ridicule Certification du Collège Électoral de Biden. Comment peut-on certifier des chiffres dont il est désormais prouvé qu'ils sont faux et, dans de nombreux cas, frauduleux!»

... et invite les Géorgiens à se rendre aux urnes. C'est d'autant plus important que certains Républicains ont invité au boycott de ces élections en signe de protestation, ce qui même aux yeux de Donald Trump, qui n'est pourtant pas le dernier quand il s'agit de râler, n'est pas du tout une bonne idée si les candidats républicains veulent avoir une chance de s'en sortir.

«Géorgie, va VOTER pour deux super Sénateurs, @KLoeffler et @sendavidperdue. C'est tellement important!»

Enfin, il fait de nouveau référence à un mystérieux rendez-vous dans la capitale.

«Rendez-vous à Washington.»

S'il ne dit pas quand, c'est que le rendez-vous est déjà pris: le 30 décembre dernier déjà, il avait tweeté:

Un peu de désinformation: Trump prétend que Pence a le pouvoir de contrer la certification. Or il ne l'a pas, et il le précisera lui-même, ce qui déchaînera la colère du président, puis, plus tard, celle de ses partisans les plus violents.

«Le Vice-Président a le pouvoir de rejeter les électeurs choisis frauduleusement.»

Les élections en Géorgie ont commencé, et devinez quoi? Elles s'annoncent truquées.

«Des rapports venus de la 12e Circonscription de Géorgie signalent que les Machines Dominion ne fonctionnent pas dans certains Bastions Républicains depuis plus d'une heure. Les bulletins sont conservés dans des boîtes verrouillées, espérons qu'ils les comptent. Merci Député @RickAllen

La foule commence à affluer à Washington, en vue de la manifestation contre la certification de demain.

«Washington est inondée de gens qui ne veulent pas voir une victoire électorale volée par des Démocrates de la Gauche Radicale qui osent tout. Notre Pays en a assez, ils ne le supporteront plus! Nous vous entendons (et vous aimons) depuis le Bureau Ovale. RENDEZ SA GRANDEUR À L'AMÉRIQUE!»

Ces dernières semaines, Trump a beaucoup utilisé le mot «faible» pour parler des Républicains qui ne se sont pas rangés à ses côtés. Dans sa bouche (et dans ses tweets), ce n'est pas un adjectif anodin. Comme on peut le lire dans le livre de sa nièce Mary Trump, Trop et jamais assez, dans la famille Trump, les faibles sont destinés à disparaître: la survie passe donc toujours par la loi du plus fort. Trump ne peut pas pardonner aux politiques de son camp de ne pas se ranger à ses côtés et vu son histoire personnelle, ce mot de «faible» est une des pires insultes qu'il pourrait proférer.

«J'espère que les Démocrates, mais surtout, la section faible et inefficace des RINO du Parti Républicain, regardent les milliers de personnes qui affluent à Washington. Ils ne tolèreront pas qu'une victoire électorale écrasante leur soit volée. @senatemajldr @JohnCornyn @SenJohnThune»

La manifestation de demain s'organise, et Trump excite les deux camps: le sien, et celui d'en face, les «antifas».

«Antifa est une Organisation Terroriste, restez hors de Washington. La police vous surveille de près! @DeptofDefense @TheJusticeDept @DHSgov @DHS_Wolf @SecBernhardt @SecretService @FBI»

SOUDAIN:

«GRANDE NOUVELLE EN PENNSYLVANIE!»

On n'en saura pas plus.

Pendant ce temps, la «fraude» va bon train.

«On dirait qu'ils se préparent à lâcher un gros “lot d'électeurs” contre les candidats Républicains. Est-ce qu'ils attendent de voir de combien de voix ils ont besoin?»

«Ils viennent juste de trouver 4.000 autres voix venant de Fulton County. Ben voyons!»

Trump se couchera tard ce mardi, mais ses derniers messages restent pugnaces.

«Faites preuve d'intelligence, les Républicains. BATTEZ-VOUS!»

Après plusieurs retweets de partisans dénonçant diverses fraudes, il remet les points sur les i: sa victoire ne dépend plus que d'un seul homme.

«Si le Vice President @Mike_Pence fait le nécessaire pour nous, nous gagnerons la Présidence. De nombreux États veulent décertifier l'erreur qu'ils ont faite en certifiant des chiffres incorrects et même frauduleux dans une procédure qui n'a PAS été approuvée par la législature de leur État (ce qui est obligatoire). Mike peut les renvoyer!»

Un des deux sénateurs démocrates est élu en Géorgie (le révérend Warnock). Pour l'autre, le comptage n'est pas terminé, et le match est encore serré (il finira par être élu aussi mais les événements du Capitole vont lui voler la vedette).

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Mercredi 6 janvier

C'est le grand jour. Le vice-président Pence, ancien allié et nouvel ennemi mortel, est invité à prouver qu'il n'est pas une mauviette.

«Les États veulent corriger leurs votes, dont ils savent maintenant qu'ils étaient fondés sur des irrégularités et des fraudes, plus les processus corrompus n'ont jamais reçu l'approbation législative. Tout ce que Mike Pence a à faire c'est les renvoyer dans les États ET NOUS AVONS GAGNÉ. Fais-le Mike, le moment du courage extrême est venu!»

Le message passera, puisque certains futurs émeutiers entreront dans le Capitole en hurlant «Pendez Mike Pence!»

Il est 8 heures du matin, les constructions de phrases ne sont pas encore bien nettes mais la touche des majuscules est bien verrouillée.

«LE PARTI RÉPUBLICAIN ET, SURTOUT, NOTRE PAYS, A BESOIN DE LA PRÉSIDENCE PLUS QUE JAMAIS LE POUVOIR DU VETO. RESTEZ FORTS!»

Et comme par hasard.

«Comme par hasard ils ont trouvé 50.000 bulletins tard hier soir. Des idiots sont en train de faire honte aux États-Unis. Notre Processus Électoral est pire que celui des pays du tiers-monde!»

Ce n'est pas juste en son nom, ou en celui de son parti, que Trump réclame que les élections soient réorganisées. «Les États» (comprendre les swing states, ceux qui n'ont pas basculé en sa faveur) le demandent.

«Les États veulent refaire leurs élections. Ils ont découvert qu'ils avaient voté dans une FRAUDE. Les législatures ne l'ont jamais approuvé. Laissez-les le faire. SOYEZ FORTS!»

Ce type de message, ce n'est pas seulement une vaine tentative de réorganiser une élection, c'est aussi une brique supplémentaire dans le mur de déni que Trump construit pour lui mais surtout pour ses partisans, qui boivent ses paroles. Selon le principe qui veut qu'à force de répéter quelque chose, on finit par l'assimiler, et sachant que ses supporters ne demandent pas mieux, c'est aussi un stratagème qui vise à les conforter dans leur idée que ce sont eux qui ont raison. Cette stratégie trumpienne ne date pas du 3 novembre: Trump a consacré les quatre années de sa présidence à construire sa réalité alternative.

Une pointe d'humour pour alléger la tension (l'histoire ne dit pas s'il est volontaire).

«Même le Mexique demande des pièces d'identité pour voter.»

Il l'avait promis, Trump fait un discours devant la foule des manifestants rassemblés pour protester contre la certification des votes des grands électeurs. Pendant plus d'une heure, il parle de fraude et invite ouvertement ses partisans à marcher sur le Capitole. Puis, pendant que la foule s'y précipite, il rentre à la Maison-Blanche et en tweete quelques extraits.

L'assaut du Capitole a commencé. Bien au chaud, Trump continue d'exciter ses supporters.

«Mike Pence n'a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre Pays et notre Constitution, en donnant aux États une chance de certifier des faits corrigés, pas ceux frauduleux ou incorrect qu'on leur avait demandé de certifier. Les USA exigent la vérité!»

Les émeutiers entrent dans le Capitole. Le processus de certification est interrompu. Le pays, sidéré, assiste en direct à une tentative de renversement de sa démocratie.

Trump finit par appeler au calme. Mais le mal est fait.

«S'il vous plaît soutenez notre Police et les forces de l'ordre du Capitole. Ils sont vraiment du côté de notre Pays. Restez pacifiques!»

«Je demande à tous ceux qui sont au Capitole de rester pacifiques. Pas de violence! Souvenez-vous, NOUS sommes le Parti de la Loi & de l'Ordre –respectez la Loi et nos grands hommes et femmes en Bleu. Merci!»

Au soir de cette journée agité, Twitter décide de punir le président et suspend son compte pour douze heures. Il ne pourra le récupérer que s'il supprime les tweets que Twitter considère comme des incitations à la violence.

Entre temps, le président élu, Joe Biden, fait un discours pour demander au président d'intervenir. Trump, une fois son compte récupéré, postera sur Twitter une intervention filmée. Il y demande à ses partisans de rentrer chez eux... mais ne peut s'empêcher de répéter que, quand même, l'élection leur a été volée. Et précise: «Nous vous aimons, vous comptez beaucoup.» Twitter mettra un bandeau pour prévenir que les propos tenus dans le tweets sont contestables et l'isole: il n'est pas possible de le diffuser, «à cause d'un risque de violence».

«Paix» et «amour» réclame le président dans un de ses tweets où il justifie les actes des émeutiers qui ont pris d'assaut le Capitole (bilan: cinq morts, plusieurs blessés, un suicide et probablement quelques contaminations au Covid).

«Voilà ce qui arrive quand une victoire électorale écrasante et sacrée est arrachée à ce point sans ménagement & violemment à de grands patriotes qui ont été injustement maltraités pendant si longtemps. Rentrez chez vous dans l'amour & la paix. Rappelez-vous ce jour à jamais!»

Jeudi 7 janvier

Les lendemains sont difficiles pour tout le monde.

Trump, apparemment calmé, poste une vidéo sur son compte Twitter. Ce discours commence par un mensonge («J'ai immédiatement déployé la Garde nationale»; ce qu'infirme le document officiel du ministère de la Défense retraçant heure par heure le déploiement de la Garde nationale –le président n'a pas été impliqué dans cette décision).

Mais il admet ensuite qu'une nouvelle administration entrera en place le 20 janvier, et que son souci est que tout se passe selon les règles. Il condamne les violences et fait même mention du Covid et des difficultés qu'ont traversées les Américains –le type de discours qui l'aurait, peut-être, fait réélire s'il avait été prononcé avant. Et il se termine sur une note d'espoir: «À tous les merveilleux supporters, je sais que vous êtes déçus, mais je veux aussi que vous sachiez que notre incroyable voyage ne fait que commencer

Vendredi 8 janvier

Calmé, Trump?

Il n'est pas 10h du matin, et c'est reparti pour un tour.

«Les 75.000.000 grands Patriotes Américains qui ont voté pour moi, AMERICA FIRST et MAKE AMERICA GREAT AGAIN, auront une VOIX IMMENSE pendant très longtemps. Ils ne se laisseront pas manquer de respect ou traiter injustement, d'aucune manière que ce soit!!!»

Et en plus, il boude.

«Pour répondre à tous ceux qui le demandent, je n'irai pas à la cérémonie d'Investiture le 20 janvier.»

Et c'est sur cette réflexion que s'achève le fil du 45e président des États-Unis. À l'instar de Facebook et d'Instagram, considérant qu'il représente un danger d'incitation à la violence, Twitter désactive définitivement le compte de Donald Trump dont le petit oiseau ne chantera plus.

Épilogue.

Vendredi soir, un fantôme a fait une très brève apparition sur le compte Twitter officiel de la présidence américaine, @POTUS, et y a laissé un message vite supprimé par la plateforme.

Il veut que vous sachiez que rien n'est terminé.

He'll be back.

«Comme je le dis depuis longtemps, Twitter est allé de plus en plus loin pour interdire la liberté d'expression, et ce soir, les employés de Twitter se sont coordonnés avec les Démocrates et la Gauche Radicale pour retirer mon compte de leur plateforme, pour me réduire au silenceet VOUS aussi, les 75.000.000 grands patriotes qui ont voté pour moi. Twitter est peut-être une entreprise privée, mais sans le cadeau de la Section 230 que lui a fait le gouvernement, elle n'existerait pas longtemps. J'avais dit que ça arriverait. Nous avons commencé à négocier avec divers autres sites, et nous ferons une grande déclaration bientôt, tout en envisageant les possibilités de construire notre propre plateforme dans un avenir proche. Nous ne nous laisserons pas BAILLONNER! Twitter ce n'est pas la LIBERTÉ D'EXPRESSION. Ce qu'ils font c'est promouvoir une plateforme de la Gauche radicale où certaines des personnes les plus malfaisantes du monde ont le droit de parler librement. RESTEZ CONNECTÉS!»

Retrouvez l'actualité de l'élection présidentielle américaine chaque mercredi soir dans Trump 2020, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'Ifri et TTSO.

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