Politique / Monde

Qu'a tweeté Trump cette semaine? Chronique du 2 au 8 novembre

Temps de lecture : 14 min

«Je ferai une déclaration ce soir. Une grande VICTOIRE!»

Un Trump gonflable porté devant la Maison-Blanche, à Washington, après l'annonce de la victoire de Joe Biden, le 7 novembre 2020. | Daniel Slim / AFP
Un Trump gonflable porté devant la Maison-Blanche, à Washington, après l'annonce de la victoire de Joe Biden, le 7 novembre 2020. | Daniel Slim / AFP

Avertissement: cette chronique non exhaustive se base sur les tweets de la semaine jugés les plus pertinents. L'homme le plus puissant du monde a une production si pléthorique que l'analyse de toutes ses productions numériques nécessiterait des jours et des nuits de décorticage et de labeur selon des conditions de travail dénoncées par les conventions de Genève.

Cette semaine, le président Trump passe assez violemment de «Je vais gagner» à «Je n'ai pas perdu».

Lundi 2 novembre

Dernier jour avant l'élection.

Une petite vidéo du matin pour se mettre en train: allez voter, le plus tôt possible, et en personne.

Avec le recul, et sachant que les votes par correspondance sont principalement des votes démocrates, cet appel prend tout son sens.

Le tweet épinglé du jour flirte avec l'autodérision (mais avec Trump, on ne peut pas être tout à fait sûr). En tout cas, il part sur une note plutôt optimiste (à écouter avec le son, bien sûr).

Tout le programme de Trump défile dans ses tweets, des tartines et des tartines de déclarations et de griefs plus ou moins en majuscules, souvent assorties de quelques effluves de panique, dans une tentative de toucher le maximum de sujets et le plus d'États possible. Florilège (non-exhaustif, bien sûr).

«Joe Biden est un politicien corrompu acheté et payé par la Chine! En 2016, la Géorgie a voté pour VIRER cet establishment politique corrompu et vous avez élu président un outsider qui place enfin L'AMÉRIQUE AVANT TOUT!»

«Pendant quarante-sept ans, Joe Biden l'endormi a trahi les Hispano-Américains. Aujourd'hui il veut fermer vos petits commerces, éliminer le choix scolaire et attaquer nos Héros des Forces de l'Ordre Hispaniques. Je serai toujours aux côtés de l'incroyable communauté Hispano-Américaine!»

«Rappelez-vous, Le PIB du Troisième Trimestre est le plus gros de l'histoire américaine, de loin. L'année prochaine sera la meilleure de toutes!»

«Biden va abroger votre Second Amendement et Blinder la Cour!»

«Je viens d'apprendre que Joe Biden l'Endormi fait campagne en Pennsylvanie avec Lady Gaga, fière membre du collectif “Artists Against Fracking.” [les artistes contre la fracturation hydraulique]. Une preuve supplémentaire qu'il interdirait le Fracking et ferait flamber vos coûts énergétiques. Comme je l'ai dit lors du débat –“Vous vous en souviendrez, le Texas? La Pennsylvanie? L'Ohio? Le Nouveau Mexique?” Je protègerai toujours l'Énergie Américaine et les Emplois Américains! Sortez et allez VOTER #MAGA

«Texas, Pennsylvanie: Biden est contre le Second Amendement et le Fracking. Je vous en prie, ne l'oubliez pas!»

«Biden a été la risée de tout Washington pour son épouvantable gestion de la Grippe Porcine H1N1. Son propre Chef de Cabinet a dit qu'il ne savait pas ce qu'il faisait!»

«On a plus de cas parce qu'on dépiste plus!»

«J'AI PAYÉ PAR ANTICIPATION des Millions de Dollars d'IMPÔTS FÉDÉRAUX!»

Enfin, s'il ne faut en lire qu'un, ce triple tweet résume assez bien le message que Trump tient à faire passer à son peuple, en ce jour où il envisage apparemment de plébisciter Satan, ses pompes et ses œuvres.

«Toutes les forces corrompues de la vie américaine qui vous ont trahis et vous on [sic] fait du mal soutiennent Joe Biden: l'establishment défaillant qui a déclenché les guerres catastrophiques à l'étranger; les politiciens de carrière qui ont délocalisé vos industries & décimé vos usines; les lobbyistes de l'ouverture des frontières qui ont tué nos concitoyens avec des drogues illégales, des gangs & des crimes; les Démocrates d'extrême-gauche qui ont détruit nos écoles publiques, vidé nos centres-villes, définancé notre police & rabaissé votre foi & vos valeurs sacrées; les radicaux Anti-Américains qui ont diffamé notre noble histoire, notre héritage & nos héros; et les ANTIFAS, les émeutiers, pillards, Marxistes & extrémistes de gauche. TOUS SOUTIENNENT JOE BIDEN!»

Mardi 3 novembre

C'est le grand jour.

Une jolie vidéo, à la fois lyrique et pleine d'émotion, accueille le Twittos égaré sur le compte présidentiel. Sa conclusion? «Le meilleur reste à venir.»

Tout au long de la journée, puis de la soirée, on attend les encouragements, les invectives, les appels au vote, les rappels que Biden, c'est le diable, bref, la loghorrée habituelle et on espère un peu qu'il se passera quelque chose d'encore plus saugrenu dans le fil présidentiel –s'il doit y avoir un coup d'éclat (ou un pétage de plombs), c'est aujourd'hui ou jamais.

Mais rien.

Rien DU TOUT.

La nuit tombe sur notre partie du monde, la journée défile de l'autre côté de l'Atlantique, et à mesure que les premiers résultats sont annoncés, le Twittos en Chef entretient le suspense.

On est quand même un peu déçu.

Mercredi 4 novembre

La soirée est frénétique, une bonne partie du monde attend les premiers résultats. La vague bleue espérée par beaucoup de Démocrates n'a pas l'air de vouloir déferler. Joe Biden a pris la parole: la partie n'est pas encore gagnée, mais il est confiant. Il est passé minuit. Trump, jusque-là, est resté muet.

Quand SOUDAIN:

«On est TRÈS haut, mais ils essaient de VOLER l'Élection. Nous ne les laisserons jamais faire. On ne peut pas voter après la fermeture des Bureaux de vote.»

(Twitter a modéré ce message.)

En réalité, il est possible de voter après la fermeture du bureau si l'électeur avait commencé à faire la queue pendant qu'il était encore ouvert. Mais ce à quoi le président fait allusion ici, évidemment, c'est aux bulletins par correspondance dont certains vont arriver après le 3 novembre, mais qui restent valables tant qu'ils ont été postés avant.

Il enchaîne:

«Je ferai une déclaration ce soir. Une grande VICTOIRE!»

(À ce stade, Trump est le seul à oser clamer une quelconque certitude mais, comme on s'en doutait, sa stratégie est claire: quelle que soit la tournure des élections, il dira qu'il a gagné.)

Le jour se lève sur toute une population plongée dans le doute.

Toute? Non. Sur Pennsylvania Avenue, un homme de plus en plus seul résiste encore.

«Hier soir je menais, souvent solidement, dans de nombreux États-clés, presque partout où les Démocrates se présentaient et étaient en position de contrôle. Puis un par un ils se sont mis à disparaître par magie à mesure que des lots de bulletins-surprise apparaissaient. TRÈS CURIEUX, et les “sondeurs” se sont complètement plantés d'une façon historique!»

Ce tweet a été occulté et contextualisé par Twitter, comme le seront une bonne partie des messages présidentiels tout au long de la semaine, ce qui donnera des écrans de ce style:

Le comptage se poursuit, et l'avance de Trump dans certains États-clés diminue.

Colère.

«Comment ça se fait qu'à chaque fois qu'ils comptent les lots de bulletins postaux ils soient si dévastateurs en termes de pourcentage et de pouvoir de destruction?»

Et voilà que des bulletins de vote se mettent à sortir de nulle part.

«Ils trouvent des bulletins pour Biden partout –en Pennsylvanie, au Wisconsin et au Michigan. C'est tellement mauvais pour notre Pays!»

La Pennsylvanie est un État-clé qui compte vingt grands électeurs et avait voté majoritairement pour Trump en 2016. Il a tout intérêt à le garder.

«Ils font tout ce qu'ils peuvent pour faire disparaître un avantage de 500.000 voix en Pennsylvanie –Le plus vite possible. Pareil au Michigan et ailleurs!»

Seulement voilà, l'avantage de Trump ne s'y maintiendra que si le comptage s'arrête ici et que les bulletins postaux, non dépouillés et favorables à Biden, ne sont pas pris en compte.

«On gagne de loin en Pennsylvanie, mais le Secrétaire d'État de Pennsylvanie vient d'annoncer qu'il reste des “Millions de bulletins à compter.”»

Petit point présidentiel sur le déroulé des élections:

«Nous avons revendiqué, en matière de Voix, le Commonwealth de Pennsylvanie (qui n'autorise pas les observateurs légaux) l'État de Géorgie et l'État de Caroline du Nord, dont chacun indique une GROSSE avance pour Trump. En outre, nous revendiquons par conséquent l'État du Michigan si, dans les faits, il y a eu un grand nombre de bulletins rajoutés secrètement comme on le dit un peu partout.»

Le moral ne flanche pourtant pas.

«LES PERSPECTIVES SONT BONNES DANS TOUT LE PAYS. MERCI!»

La théorie de la triche, annoncée depuis plusieurs mois par Donald Trump, prend gentiment forme. Il a forcément gagné, et tous les bulletins qui grossiront les chiffres de son adversaire sont truqués. Trump se pose en garant (débouté) de l'intégrité du système.

«Nos avocats ont demandé d'avoir un “véritable accès” mais à quoi bon? Les dégâts à l'intégrité de notre système sont faits, ainsi qu'à l'Élection Présidentielle elle-même. C'est de ça dont on devrait discuter!»

Jeudi 5 novembre

Le soleil se lève.

Toujours pas de vainqueur.

À Washington, un ordre fuse:

«ARRÊTEZ LE DÉPOUILLEMENT!»

(À ce moment-là, bon nombre d'analystes rappellent que si le comptage est en effet arrêté, vu son avance, Biden sera proclamé vainqueur.)

Exactement au même moment, Kellyanne Conway, l'ancienne conseillère de Trump, annonce sur Fox News qu'il faut être patient et prendre le temps de tout compter.

Curieusement, malgré l'injonction présidentielle, le comptage se poursuit.

Trump menace:

«TOUT BULLETIN ARRIVÉ APRÈS LE JOUR DE L'ÉLECTION NE SERA PAS COMPTÉ!»

En fait, si.

Puis:

«Grande victoire judiciaire en Pennsylvanie!»

En fait, non.

Mais il va gagner de toute façon.

«Nous mettrons en cause tous les États récemment revendiqués par Biden devant les tribunaux pour Fraude aux Électeurs et Fraude Électorale au niveau des États. Il y a plein de preuves. ON VA GAGNER! America First!»

Il va gagner, mais il va falloir que les assesseurs et assesseuses y mettent un peu du leur en revanche.

«ARRÊTEZ LA FRAUDE!»

Trump prend enfin la parole, et poste le début de son discours (censuré par plusieurs médias) sur son compte Twitter. Ses premiers mots: «Si on compte les votes légaux, je gagne facilement. Si on compte les votes illégaux, ils peuvent essayer de nous voler l'élection.»

«On ne peut permettre à personne de réduire nos électeurs au silence.»

Et parce qu'encore et toujours, la pédagogie passe par la répétition:

«Je GAGNE facilement la Présidence des US avec les VOTES LÉGAUX. Les OBSERVATEURS n'ont pas été autorisés d'une quelconque manière à faire leur travail et donc les votes acceptés pendant cette période doivent être considérés comme ILLÉGAUX. La Cour Suprême doit décider!»

Petite manifestation d'agacement présidentiel devant la censure continuelle de Twitter qui masque presque tous ses tweets furibards, et ajoute des liens vers des explications du fonctionnement du processus électoral.

«Twitter part en vrille, ce qui est rendu possible grâce au cadeau gouvernemental qu'est la Section 230!»

Vendredi 6 novembre

Biden passe en tête en Pennsylvanie.

«“Philadelpihe [sic] a un passif bien pourri en termes d'intégrité électorale.” @Varneyco @FoxBusiness»

Pour résumer, Trump cite Kenneth Starr, ancien procureur qu'on ne présente plus.

(Si la mémoire vous fait défaut, souvenez-vous:)

«“Voilà ce que l'on sait. Il faut qu'on remonte au niveau des États et [qu'on sache] comment ce bourbier est advenu à la base. Le Gouverneur, Wolf et la Cour Suprême de l'État, ont violé de façon flagrante la Constitution des États-Unis. C'est le Corps Législatif qui est investi du pouvoir d'établir ces règles et régulations. Ils sont tout simplement passés outre ça, passés outre la Constitution. Maintenant on le porte devant les bureaux des comptes et, c'est un scandale, les observateurs, qui sont les sentinelles de l'intégrité & de la transparence, ont été exclus. La Pennsylvanie s'est conduite d'une façon abominablement hors-la-loi, et j'espère que la Cour Suprême des États-Unis le rectifiera. Aussi, ces bulletins tardifs arrivés après le Jour du Scrutin sont illégaux, exactement comme l'a dit le président. La Cour Suprême, dans des circonstances exceptionnelles, s'est montrée capable de rendre des décisions en l'espace de quelques jours.” Ken Starr, ancien avocat indépendant @Varneyco»

Les comptages ne sont pas encore terminés, mais Biden est déjà donné vainqueur. Réaction immédiate:

«Joe Biden ne devrait pas revendiquer à tort la fonction de président. Moi aussi je pourrais le faire. Les procédures légales ne font que commencer!»

«J'étais en tête de très loin dans tous ces États tard le soir de l'élection, et cette avance a disparu comme par miracle à mesure que les jours ont passé. Peut-être va-t-elle revenir à mesure que nos procédures légales progresseront!»

Samedi 7 novembre

Bonjour.

«J'AI GAGNÉ CETTE ÉLECTION, DE LOIN!»

Là-dessus, le président part jouer au golf.

Moins d'une heure après ce tweet, les résultats sont officiellement annoncés par les médias, les uns après les autres: Joe Biden a gagné.

Le président reste serein:

«LES OBSERVATEURS N'ONT PAS ÉTÉ AUTORISÉS DANS LES SALLES DE DÉPOUILLEMENT. J'AI GAGNÉ L'ÉLECTION, OBTENU 71.000.000 VOIX LÉGALES. ON A EMPÊCHÉ NOS OBSERVATEURS DE VOIR LES MAUVAISES CHOSES QUI SE PRODUISAIENT. C'ÉTAIT JAMAIS ARRIVÉ. DES MILLIONS DE BULLETINS PAR CORRESPONDANCE ONT ÉTÉ ENVOYÉS À DES GENS QUI NE LES AVAIENT JAMAIS DEMANDÉS!»

«71.000.000 de Voix Légales. Plus que JAMAIS pour un président en exercice!»

[Note de traduction: Normalement dans ce contexte, on dit «un président sortant». Vous voyez Trump envisager de sortir? Moi non plus. Dont acte].

Dimanche 8 novembre

Trump tweete quelques citations de ses soutiens. Puis il part golfer. Puis il revient.

«Depuis quand ce sont les Merdias qui décident de qui sera notre prochain président? On en a appris beaucoup ces dernières semaines!»

Ce n'est pas aujourd'hui qu'il concèdera la victoire. On n'est pas encore certain à ce stade que la transition se fera paisiblement. En attendant, le président se pose devant Fox News dont il poste des extraits en rafale.

Pour conclure cette semaine mouvementée, c'est le moment de ressortir un tweet de Trump datant de 2012.

«Le collège électoral est une catastrophe pour la démocratie.»

Ironie, quand tu nous tiens.

Retrouvez l'actualité de l'élection présidentielle américaine chaque mercredi soir dans Trump 2020, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'Ifri et TTSO.

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