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Aujourd'hui, il n'y a pas plus heureux qu'un Allemand. Mais demain?

Temps de lecture : 4 min

Vu de France, c'en est presque déprimant: tout va bien Outre-Rhin. Rassurons-nous, Français jaloux: cette vie en rose est peut-être menacée par l'immobilisme.

Le dome du Reichstag, le parlement allemand en 2013. REUTERS/Fabrizio Bensch
Le dome du Reichstag, le parlement allemand en 2013. REUTERS/Fabrizio Bensch

Comment dit-on «comme un coq en pâte» en allemand? Ah, oui: «Wie Gott in Frankreich» (Comme Dieu en France). Il est temps d’inverser le dicton car les Allemands, aujourd’hui, se trouvent comme des dieux… en Allemagne.

Le magazine de Hambourg Der Spiegel vient de publier le résultat d’un sondage montrant que 80% des personnes interrogées sont «l’un dans l’autre, plutôt ou très satisfaites de la situation du pays». Alors que voilà une dizaine d’années, il n’était question outre-Rhin que du rejet de la politique, une autre enquête d’opinion montre que les citoyens de la République fédérale ont de plus en plus confiance dans leurs dirigeants.

La grande coalition n’y est pas pour rien. La coopération entre les deux grands partis de centre-droit (CDU-CSU) et de centre-gauche (SPD) issue des dernières élections de septembre 2013, est approuvée aussi par 80% des Allemands. Les attentes, limitées, manifestées pendant la campagne électorale sont en voie d’être satisfaites. Chaque partenaire a posé sa griffe sur le programme du gouvernement, si bien que tout le monde à l’air content.

Lors de la première grande coalition sous la direction d’Angela Merkel en 2005, les sociaux-démocrates avaient faits figure de grands perdants. Il semble qu’il n’en aille pas de même cette fois. Ils ne gagnent rien mais ils ne font pas les frais de leur alliance avec le centre-droit.

Si des élections avaient lieu dimanche prochain, les rapports de force seraient à peu près les mêmes. Les sondeurs n’en reviennent pas. Quatre mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement vit toujours un état de grâce. L’opposition des Verts et de la gauche radicale, réduite à quelques sièges au Bundestag, ne profite en rien de cette mainmise gauche-droite sur la politique fédérale. Les députés en ont même profité pour augmenter leurs indemnités, sans susciter de protestation poujadiste.

Les députés se sont augmentés...

«Mutti Angela» (maman Angela) veille à ne pas perturber ce calme qui correspond à sa nature profonde et qu’elle estime adapté à l’état actuel de l’Allemagne. Pourquoi vouloir tout changer? Les caisses de l’Etat sont pleines, celles des organismes de retraites et de la sécurité sociale annoncent des surplus enviables, liés à la diminution constante du chômage qui fait entrer les cotisations. La croissance est relativement forte, l’inflation limitée, les taux d’intérêts bas. La crise de l’euro a été surmontée même si tous les dangers ne sont pas écartés.

Les salaires ont recommencé à augmenter après une décennie de quasi-stagnation. De 2000 à 2010, le pouvoir d’achat de la classe moyenne allemande n’a progressé au total que de 1,4%. L’introduction d’un salaire minimum (8,50 euros/heure) va doper les bas revenus, bien qu’elle puisse avoir des effets négatifs sur l’emploi dans certaines régions et dans certaines branches.

Le calme comporte un risque: celui de l’immobilisme. Angela Merkel est en train de devenir une «super-Kohl», craint Der Spiegel. Au pouvoir pendant seize ans, l’ancien chancelier Helmut Kohl a fini par reculer devant les réformes indispensables de peur de provoquer des conflits politiques intempestifs.

Il n’est pas indifférent que dans le sondage publié par l’hebdomadaire de Hambourg, les jeunes entre 18 et 29 ans et les plus de 60 ans se déclarent plus satisfaits encore que la moyenne (85 contre 80%). Les premiers parce qu’ils n’ont pas trop de problèmes pour trouver un travail, les seconds parce qu’ils sont choyés par la politique. Les personnes âgées de plus de 60 ans représentent 32,5% de la population totale (contre 23,4% en France).

L’Allemagne est une société vieillissante qui aspire à la tranquillité et rejette les expérimentations hasardeuses. Par sa capacité à rassurer, à éviter les conflits en proposant des mesures puisées aussi bien dans la tradition chrétienne-démocrate que dans l’arsenal du centre-gauche, Angela Merkel est par excellence la responsable politique dont la majorité des Allemands a envie sinon besoin.

Cette forme d’apaisement ne va pas sans contradictions. A la question posée par Der Spiegel «sur quelle priorité le gouvernement devrait-il se concentrer?», 61% des personnes interrogées répondent: «plus d’attention portée à la génération à venir», contre 22% qui veulent « mieux satisfaire les besoins des contemporains ». Or c’est exactement la politique contraire aux vœux de la majorité que pratique le gouvernement, par ailleurs plébiscité.

Léthargie

Les principales mesures qu’il a prises depuis son arrivée au pouvoir visent à satisfaire des besoins immédiats, notamment à améliorer le sort des générations les plus âgées. Deux exemples: l’introduction d’une retraite pour les mères au foyer, réclamée par les éléments les plus conservateurs de la démocratie-chrétienne et l’utilisation des excédents des caisses de retraite pour augmenter les pensions au lieu de baisser les cotisations des actifs.

Les dépenses sociales sur lesquelles la CDU et le SPD se sont mis d’accord se font au détriment des investissements à long terme, notamment dans l’éducation et les infrastructures. C’est le principal reproche que l’opposition fait à la grande coalition, sans toutefois être entendue malgré l’attention que la majorité semble vouloir porter aux générations futures.

A la veille des élections législatives de septembre 2013, Daniel Cohn-Bendit et le sociologue Claus Leggewie avaient publié un article intitulé «Un changement de pouvoir est plus que jamais à l’ordre du jour». Selon eux, la reconduction de l’alliance entre les libéraux et les chrétiens-démocrates aurait été une catastrophe; un gouvernement de gauche entre les sociaux-démocrates, les Verts et la gauche radicale était impossible pour des questions de principes; une grande coalition était une recette pour l’immobilisme, prévoyaient-ils.

Seule la coopération entre les chrétiens-démocrates et les Verts pouvait oser les réformes évitant à l’Allemagne une forme de léthargie. Ils ont presque été entendus. Après les élections, Angela Merkel a entrepris des consultations avec les écologistes sans toutefois oser franchir le pas. Elle ne voulait pas d’une alliance audacieuse mais conflictuelle.

Daniel Vernet

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