Une imposante et austère rangée d’immeubles s’étire sur presque cinq kilomètres le long de la côte est de Rügen, une île allemande de la mer Baltique. Des blocs tristes. Leur design sans ornement évoque une prison. Ces immeubles étaient pourtant voués aux loisirs: ils font partie d’une station balnéaire construite par les nazis.
En 1933, le Troisième Reich a mis en place «Kraft durch Freude», ou «La force par la joie», une organisation chargée de gérer le temps libre des travailleurs allemands. Le KdF planifiait une foule d’activités de loisirs comme des croisières, des voyages au ski, des randonnées revigorantes et des vacances à la plage.
Les activités étaient proposées à tous les Allemands, sans distinction de classe, dans le but qu'ils soient reconnaissants envers l'Etat (et de prévenir les activités sédieuses contre ce même Etat).
Prora - view from seaside / Steffen Löwe via Wikimedia Commons
L’un des projets majestueux qu'Hitler voulait que le KdF mène était la construction de cinq stations balnéaires colossales, capables chacune de loger 20.000 travailleurs en vacances. Mais une seule d’entre elles fut construite. En 1936, débuta la construction de Prora, un grand ensemble bâti à Rügen comprenant des unités d'habitation, une place des fêtes, des restaurants, des cinémas, des piscines et une salle de réunion. Chaque chambre de la station (de 5 mètres sur 2,5) avait vue sur la plage et devait comprendre deux lits, une penderie et un évier. Il y avait des salles de bain communes sur chaque palier.
Musée de Prora
Verfall / m.a.r.c. via Flickr CC License By
Après trois années de travaux, Prora était presque prête à ouvrir lorsque l’approche de la Seconde Guerre mondiale mit fin au rêve. Les matériaux de construction et la force de travail se tournèrent vers l’effort de guerre, et le travail à Prora stoppa. Le complexe imposant servit néanmoins pendant le conflit –des réfugiés des bombardements d’Hambourg y vécurent en 1944, et le site fut brièvement utilisé comme hôpital militaire et centre d’entraînement. Après la guerre, l’armée est-allemande en fit un usage sporadique, mais à partir des années 1990 Prora fut désertée.
La question est à présent de savoir quoi faire de ce colossal vestige de l’Allemagne nazie. L’histoire de Prora fait qu’il est à la fois dur de la reconvertir et difficile de la détruire –des appartements de luxe ont été envisagés, mais le projet est resté au stade embryonnaire.
L’un des immeubles, cependant, a été reconverti en une auberge de jeunesse de 400 lits. Le site web de l'hôtel reconnaît que le site a une «histoire mouvementée», ce qui ne l'empêche pas de nous promettre une expérience «contemporaine, décontractée et multiculturelle»:
«Ici, vous pourrez entendre le bruit de la mer et rencontrer des gens du monde entier partageant votre état d'esprit.»
prora hinten / Rupert Ganzer via Flickr CC License By
Gang / m.a.r.c. via Flickr CC License By
Ella Morton (The Atlas Obscura)
Traduit par Jean-Laurent Cassely