Il n'y a pas que le magazine Rolling Stone qui fait les honneurs de sa couverture au pape François cette semaine. L'hebdo allemand Der Spiegel lui consacre également sa une, dans une mise en scène pour le coup bien plus rock'n'roll: sur un sulfureux fond rose vif piqué d'écussons dans lesquels s'entrecroisent les symboles du genre féminin et masculin en combinaisons hétéro et homo, le pape regarde devant lui l'air effaré... par l'ampleur de la tâche qui l'attend? Par les guerres intestines qui se profilent à l'horizon? Ou par les résultats de la grande consultation sur la famille lancée par le Vatican? Titre: «Le pape et le satané sexe».
Dans un dossier de neuf pages, Der Spiegel se demande si le pape François va vraiment fléchir les positions sévères de l'Église catholique vis-à-vis de la sexualité, car le Vatican est en train de procéder à un sondage planétaire auprès de ses fidèles sur le thème de la famille. Parmi les 38 sujets abordés dans ce questionnaire —en latin!—, on trouve notamment la question de la contraception, de l'avortement, de l'union libre —désignée comme union «ad experimentum» dans la version vaticane— mais aussi de l'homosexualité et du divorce.
L'hebdomadaire a mené l'enquête auprès des 27 évêchés que compte l'Allemagne pour avoir un avant-goût des résultats du sondage, qui a été traduit à l'initiative de plusieurs prêtres et dont une version simplifiée a même été mise en ligne par la Fédération de la jeunesse catholique allemande (BDKJ), à laquelle ont répondu plus de 10.000 participants.
Les premiers résultats récoltés par Der Spiegel sont sans appel: le fossé entre les préceptes du Vatican et les pratiques des croyants est immense. Rien qu'en Bavière, connue pour être une région très conservatrice, 86% des personnes qui ont répondu au questionnaire ne considèrent pas le fait de prendre la pilule ou d'utiliser un préservatif comme un péché. Comme le résume l'hebdomadaire:
«Pratiquement plus personne parmi les croyants ne comprend encore comment les différentes interdictions doivent s'articuler. D'abord; les couples ne doivent pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Après, ils n'ont pas le droit d'utiliser des moyens contraceptifs. Et quand le couple échoue, cela ne plaît pas non plus à l'Église.»
Le magazine révèle d'ailleurs que par crainte de déplaire au Saint-Siège, le président de la conférence épiscopale allemande, Robert Zollitsch, a tenté de censurer une partie du questionnaire. Celui-ci a envoyé une directive aux évêques allemands indiquant que pour «gagner du temps», les «questions 1, 2, 5, 7 et 8» seraient traitées par le secrétariat central.
Problème: ces questions portaient sur des thèmes tels que la contraception, l'avortement et l'homosexualité... C'est grâce à internet, plus précisément grâce aux évêques anglais, moins pudibonds et qui avaient mis en ligne le questionnaire, que prêtres et paroissiens allemands ont pu s'apercevoir de la supercherie et s'emparer de l'intégralité du sondage.
Cette anecdote laisse entrevoir la levée de boucliers à laquelle devrait nécessairement faire face le pape François parmi les rangs les plus conservateurs de l'Église s'il entreprenait de moderniser sa vision de la famille et de la sexualité. Der Spiegel se demande donc s'il sera bien le pape du changement, comme l'annoncent de nombreux médias depuis des mois, et le compare au président américain et aux grands espoirs qu'il avait suscité lui aussi lorsqu'il avait été élu:
«Comme Barack Obama après George W. Bush, Jorge Bergoglio semble prendre la suite de Joseph Ratzinger: comme un homme qui a de l'avenir, qui promet de libérer les gens de la doctrine conservatrice d'un prédécesseur controversé. Ou bien est-ce seulement le ton qui a changé au Saint-Siège —mais pas la substance? Le pape argentin n'a jusqu'à présent pas adouci ou supprimé un seul dogme de sa stricte Église, alors qu'il pourrait le faire seul.»