Le gouvernement sort ce jeudi 9 juillet un plan national de lutte contre le harcèlement dans les transports, à la suite, en avril, du constat par le HCEfh, de l'ampleur du harcèlement de rue. A l'époque, cet organisme indépendant avait estimé que «toutes les utilisatrices des transports» en France ont déjà été victimes de harcèlement sexiste ou de violences sexuelles. Nous republions cet article de janvier 2014 sur le manque de place laissé aux femmes dans l'espace urbain.
Une intéressante cartographie a circulé sur la toile le mois dernier, présentant les rues de Rennes au prisme de leur genre. Réalisée dans le cadre de l’Open Data Camp, cette cartographie s’avère sans réelle surprise: les femmes sont évidemment largement minoritaires.
Cette intelligente cartographie illustre à merveille une problématique urbaine relativement récente, mais qui ne cesse de prendre de l’importance: celle de la place des femmes dans l’espace urbain, et plus généralement de la nécessité de repenser l’urbanisme à l’aune des questions de genre.
Celle-ci recouvre logiquement de nombreuses réalités. La liste qui suit est évidemment loin d’être exhaustive, mais fera office d’introduction à ce vaste sujet déjà abondamment traité dans les milieux académiques, mais qui connaît depuis quelques années une démocratisation salvatrice. Il ne s’agit pas de «féminiser» l’espace urbain, mais de comprendre comment celui-ci se révèle plus ou moins façonné facteurs discriminants liés au sexe. Et d’utiliser ces décryptages pour rendre la ville plus «vivable» pour tous, et donc aussi pour les femmes.
Les questions de genre ne sont qu’une variable supplémentaire qui vient s’ajouter à de nombreuses autres, depuis longtemps intégrés dans les modèles et la pensée ubanistiques. Mais compte-tenu de la violence qu’elles génèrent, il semble plus qu’urgent de les intégrer véritablement, et non par petites touches cosmétiques. Pour ce faire, listons les principales facettes que revêtent les problématiques urbaines, et la manière dont les questions de genre contribuent à les redéfinir et les interroger.
1. Vers un urbanisme genré?
L’hypersexualisation du bâti ne date pas d’hier, qu’il s’agisse de gratte-ciels comparables à des phallus géants (que certains s’amusent à asticoter), ou de stades qataris aux allures vulvaires. L’urbanisme se révèle toutefois un peu plus mature. Bien que récente, l’intégration des questions de genre se fait avec une intensité non-négligeable. «La planification urbaine genrée est devenue un nouveau champ d’action», estime ainsi la chercheuse Sandra Huning dans la revue Métropolitiques (notons au passage que l’article original est titré: «Ambivalences of Gender Planning»):
«Les mobilisations et productions intellectuelles féministes et queer doivent continuer non seulement à nourrir la pratique urbanistique et à contester les normes et les représentations de genre collectives telles qu’elles ont été naturalisées, mais aussi à développer des modèles d’urbanisme capables d’intégrer des perspectives déconstructionnistes plus complexes dans le travail des institutions de planification urbaine.»
2. Espaces publics: un combat pour l’espace
De quelles manières sont réellement vécus et pratiqués les espaces urbains, au-delà de la théorie urbanistique. C’est peut-être là que se cristallisent les enjeux de genre de la façon la plus intense. L’urbaniste Claire Gervais, qui a réalisé un mémoire de recherche sur les «pratiques nocturnes de la ville par les femmes», évoque un véritable «combat pour l’espace» dont on perçoit aussi les effets de jour, en particulier à travers le harcèlement de rue.
Témoin de cette combativité, il existe par exemple un «petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire», publié par Zones et librement consultable en ligne.
Quel rôle a l’urbanisme dans la génération des violences à l’égard des femmes? Et comment peut-il contribuer à les faire diminuer? Là encore, les réflexions ne datent pas d’hier —bien qu’elles soient plus récentes que dans l’architecture. Il reste pourtant beaucoup de chemin à faire, à en croire Eva Kail, «gender expert» à la municipalité de Vienne: «People said things like, «does this mean we should paint the streets pink?»...» («Les gens disent des choses comme, «est-ce que cela veut dire que nous devons peindre les rues en rose?»»).
3. Mobilités: les transports trop couillus
Le harcèlement de rue possède évidemment sa déclinaison dans les transports publics. Dans le métro le soir, huit passagers sur dix sont des hommes, avec tout ce que cela implique. Mais l’occupation des transports par les mâles prend aussi des formes plus pernicieuses, telles que le «man spread» à New York (que nous avions rebaptisé «colonisation testiculaire»), consistant à se tenir jambes écartées sur le siège du métro. Car c’est aussi dans ce type de gestes quotidiens, parfois non conscients, que se jouent les questions de genre à l’échelle de l’espace urbain.