Dans quelques images du célèbre film en 8mm dans lequel Abraham Zapruder a capturé l'assassinat du président John F. Kennedy, on peut distinguer l'image floue d'un père, d'une mère et d'un petit enfant contemplant la voiture du président après que les coups de feu ont été tirés. Cet enfant est Jeff Franzen, aujourd'hui âgé de 56 ans, un cadre du secteur immobilier vivant dans le nord de l'Etat de Virginie. Voici son récit de jeune témoin d'un jour historique.
J'ai grandi à Dallas, j'étais le plus jeune d'une famille de six enfants. J'avais 6 ans et aller à la maternelle était loin d'être systématique à l'époque, donc j'étais à la maison alors que mes frères et soeurs étaient à l'école.
C'était l'anniversaire de ma mère et elle voulait aller faire des courses en centre-ville chez Neiman Marcus. Mes parents savaient que le président était en ville et mon père, qui travaillait dans la construction, connaissait l'itinéraire, donc il a dit qu'il nous emmènerait d'abord voir la parade pour la visite du président, puis que nous irions faire des courses.
Il a décidé de se garer à proximité de l'arrivée de la parade, à Dealey Plaza, juste derrière ce qu'on allait bientôt appeler le talus herbeux.
Le plan des lieux de l'assassinat de Kennedy, via Wikimedia Commons
Devant nous se trouvait le Texas School Book Depository. J'avais amené une balle et je jouais avec alors que nous attendions le convoi présidentiel (j'ai perdu la balle dans le caniveau. Plus tard, des tenants de la théorie du complot ont affirmé qu'un tireur y était peut-être dissimulé). La foule était davantage dense plus loin, le long de la route, et il n'y avait pas beaucoup de monde autour de nous.
Alors que la voiture du président approchait, il y a eu comme une onde sonore –je pouvais entendre des acclamations de plus en plus fortes venant de plus bas sur la route. Quand la voiture a pris un virage serré, les gens ont commencé à marcher, voire courir sur la butte où nous étions pour voir passer le convoi une seconde fois.
Le ciel était limpide et le soleil brillait au-dessus de nos épaules. La voiture est alors passée devant nous et j'ai entendu les trois détonations. J'ai pensé que c'était des feux d'artifices –dans une parade, cela paraissait logique pour moi.
Je regardais la voiture présidentielle quand, après les détonations, j'ai aperçu ce que je pensais être des confettis. C'était le coup de feu qui avait fait exploser la tête du président.
Ma mère a hurlé:
«Oh, mon Dieu.»
J'étais donc là en train de regarder, j'ai entendu des détonations, aperçu ce que je croyais être des confettis, entendu ma mère crier et je me suis rendu compte que quelque chose allait vraiment de travers.
La voiture a ensuite ralenti et un type s'y est précipité: c'était l'agent chargé de la protection du président. Mme Kennedy était en train de grimper sur l'arrière de la voiture, le gars a sauté dessus et s'est accroché alors que le chauffeur accélérait pour filer de là.
Ensuite, c'était la pagaille: des gens en train de courir partout, une nuée de motos de la police s'abattant sur les lieux. Un policier s'est planté en moto juste devant nous.
Mon père qui, comme JFK, avait servi dans le Pacifique Sud pendant la Seconde Guerre mondiale, était suffisamment conscient de ce qui se passait pour agripper ma mère et moi et nous faire allonger sur le sol, son corps placé au-dessus pour nous protéger. J'ai appris plus tard que nous nous trouvions directement dans la ligne de feu.
A ce moment-là, les gens placés le long du cortège et qui l'avaient déjà vu passer réalisaient ce qui était arrivé, et la foule a commencé à devenir importante. Peu après cela, nous sommes partis.
Je ne me rappelle pas avoir été effrayé. Mes amis m'ont posé la question, tout au long de ces années, en me disant que j'avais dû être perturbé par ce que j'ai vu. Je ne l'étais pas. Je n'ai pas compris –j'avais 6 ans, je n'ai juste pas réalisé.
Mon père connaissait bien Dallas et nous a emmené à un bureau où il avait travaillé. Il a appelé le FBI et quelqu'un est venu nous interroger.
Il n'a jamais cessé de raconter que, quand un agent du FBI m'a demandé:
«Est-ce que tu as vu quelqu'un avec une arme à feu?»
J'ai répondu:
«Oui, j'ai vu beaucoup de gens avec des armes!»
Je voulais parler des policiers en train de courir partout. Nous n'avions pas vu Oswald.
Quand nous sommes finalement retournés chez nous, tout le monde était très triste, très calme, comme si quelqu'un était mort dans notre propre maison.
A peu près deux semaines plus tard, j'étais à la maison avec ma mère quand des agents du FBI sont passés. Ils nous ont montré leurs badges et elle leur a répondu qu'ils devaient être là pour l'assassinat de Kennedy.
Ils semblaient surpris qu'elle sache pourquoi ils étaient là. Elle leur a dit que nous avions été témoins des faits.
Mais en fait, ils étaient là parce que le nom de mon père était apparu parmi les clients d'un des clubs de Jack Ruby. Mais après tout, c'était un promoteur immobilier de Dallas.
Jeff Franzen
Traduit par Jean-Marie Pottier