En octobre dernier, «21 Embarrassing Reasons Why French People Are Way Trashier Than Americans», un article américain sur la culture «trashy» des Français, a provoqué des réactions très violentes sur Internet.
Chelsea Fagan, son auteure, mène une discussion transatlantique sur le sujet, en français dans le texte, avec une journaliste française, Anaïs Bordages.
De: Anaïs Bordages
A: Chelsea Fagan
Re: Les Français se prennent-ils trop au sérieux?
Chère Chelsea,
Tout d’abord, je tiens à m’excuser au nom des Français pour toutes les insultes que l’on t’a faites après la publication de ton article. Je ne sais pas pour les Etats-Unis, mais chez nous le troll est particulièrement vorace, et j’espère que ces réactions démesurées ne t’ont pas trop dégoûtée de notre charmant pays.
S’attaquer aux stéréotypes, de notre côté comme du vôtre, est toujours délicat. En 2011, Slate avait déjà tenté d’expliquer pourquoi nous détestons les Américains –réponse: ce sont des sauvages incultes, puritains et décérébrés. Quant à nous, nous ne sommes aux yeux des Américains que des capitulards efféminés, blasés et élitistes.
Ton article mélangeait beaucoup d’éléments très hétéroclites de l’identité française: le 21 avril 2002 et l’affaire DSK, qui ont beaucoup marqué notre culture politique récente, mais aussi Fatal Bazooka et Les Chtis à Las Vegas, qui sont du divertissement pur et dur. Mais peut-on vraiment qualifier le 21 avril 2002 de «trashy»? Quant au choix de placer Jean-Marie Le Pen et Francky Vincent au même niveau, c'était sans doute maladroit, et je peux comprendre que cela ait choqué.
A mon avis, si certains lecteurs français ont été vexés par tes références, c’est peut-être aussi parce qu’il y a certaines vérités qu’ils ne sont pas prêts à entendre. Les Etats-Unis sont un pays plus récent que le nôtre, mais aussi très cosmopolite, fondé sur l’idée même de brassage culturel –chez nous, on ne parle de «salad bowl» qu’à l’heure du déjeuner. Peut-être est-ce pour ça que vous adoptez une attitude plus décomplexée face à votre culture, et que vous en acceptez même les aspects les plus «trashy» –Jersey Shore, Miley Cyrus, les corn dogs (un hot-dog enroulé dans une sorte de pancake)?
Pendant ce temps-là en France, nous nous voyons encore comme le pays de Molière et de Victor Hugo, celui des droits de l’homme et de Mai-68. Bien sûr, nous sommes toutes ces choses-là, et nous le revendiquons à juste titre. Mais il serait peut-être temps de reconnaître aussi que oui, on pisse dans la rue –parfois parce qu’il y a trop la queue aux toilettes du bar– que oui, Sexion d’Assaut vend des centaines de milliers de disques, et que si Secret Story est renouvelé tous les ans, c’est parce qu’il y a encore des millions de gens (y compris moi) qui se délectent de ce genre d’émissions.
En fait, on critique beaucoup les Américains, mais c’est parce qu’on est taquins. En réalité, on vous aime beaucoup. La «food-truckisation» rampante de notre pays n’en est qu’une preuve parmi tant d’autres. Même si ce n’est pas très «chic», il faut donc arrêter de nier notre amour pour certains aspects de la culture américaine –les burgers, surtout. On adore les burgers.
Ce que je trouve intéressant, c’est que ce les aspects de votre culture que nous importons en France sont souvent ceux que l’on pourrait considérer comme «trashy» –les burgers, la télé-réalité et les séries– alors que ceux que les Américains importent de la culture française sont souvent ceux que l’on pourrait qualifier de «chic» –la mode, la gastronomie.
Ce qui m’amène à la question suivante: au final, est-ce que tout ce ressentiment ne serait pas un peu de votre faute? A force de nous répéter que la France est le summum du raffinement, peut-être nous avez-vous poussé à renier n’importe quel autre type d’identité. Quand je vivais aux Etats-Unis, il m’arrivait parfois de pousser quelques jurons français bien sentis. A chaque fois, la réaction de mes amis américains était la même: «Je sais que ce que tu viens de dire est sans doute hautement insultant, mais ça sonne tellement délicat et raffiné.» A force, j’ai fini par me dire que j’étais vraiment une princesse. Vous avez créé un monstre.
Anaïs
LA RÉPONSE DE CHELSEA: Les Américains ne connaissent rien à la France