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Typhon Haiyan: des «développeurs sans frontières» au secours des Philippines

Temps de lecture : 4 min

L'action humanitaire ne se déploie plus seulement sur le terrain: elle se construit aussi dans le réseau. Depuis vendredi, une poignée de développeurs travaille à des outils permettant de mieux gérer l'après-Haiyan. Du coding d'urgence.

Tacloban city, le 10 novembre. REUTERS/Erik De Castro
Tacloban city, le 10 novembre. REUTERS/Erik De Castro

«Jusqu'à l'âge de 19 ans, avant de venir en France, j'aidais des organisations humanitaires à récolter et distribuer des denrées alimentaires suite à des typhons, explique Kat Borlongan. Je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas ce travail aujourd'hui, même de mon salon à Paris.»

Vendredi, avant même le passage du super typhon Haiyan sur les Philippines, la jeune dirigeante de Five by Five –une startup spécialisée dans l'utilisation des données ouvertes– a lancé un appel à la mobilisation des «codeurs civiques». Appel auquel ont répondu aussi bien La Fonderie, l'agence numérique francilienne, que Catherine Bracy, l'une des membres de la «dream team digitale» de la campagne Obama en 2012.

«Développeurs contre typhon», l'initiative repose au départ sur une tête d'épingle – et sur trois continents. À San Francisco, Reuben Katz, le fondateur de Geeklist, un réseau social de codeurs qui compte à l'heure actuelle une centaine de milliers d'utilisateurs; à Manille, Gia Banaag, une jeune femme qui travaille au bureau de la porte-parole de la présidence; et entre les deux, à Paris, Kat Borlongan:

«Reuben coordonne le site qui permet aux gens de collaborer, Gia fait l'interface avec les différentes entités du palais présidentiel, pour faire remonter les besoins et délivrer les produits finis, et moi, je continue à recruter des codeurs civiques prêts à nous aider. Ça évolue de manière très organique, on avance en marchant.»

Rendre l'intervention d'urgence plus efficace

À quoi peuvent bien servir des lignes de code quand le décompte des morts, selon la police régionale, se monterait à plus de 10.000 personnes? Pour l'essentiel, à rendre l'intervention d'urgence plus efficace. Par exemple, en agrégeant les mises à jour des différents comptes Twitter utilisés par les autorités centrales ou les gouvernements locaux, en géolocalisant les appels à l'aide, pour orienter les bénévoles, ou en mettant sur pied une plate-forme de coordination des différents acteurs présents sur le terrain, pour répartir au mieux les ressources. Au plus près des besoins, insiste Kat Borlongan:

«Être en contact avec le palais présidentiel nous permet de répondre à des problèmes précis, avec une idée claire du contexte. Le but n'est pas de créer l'application la plus cool, avec plein de fonctionnalités et un design qui claque, mais une application qui résout les problèmes réels sur place.»

Depuis vendredi, quelque 80 développeurs sont donc passés en mode «hackathon», un marathon de programmation – initialement calé sur le week-end, mais sans véritable date limite. Une page web dédiée liste les besoins, les idées qui fusent, les projets en cours. Un test grandeur nature pour un projet lancé il y a un mois environ par Reuben Katz: mettre sur pied un «corps de développeurs» à vocation humanitaire, capable de se mobiliser rapidement en cas d'urgence.

L'émergence du numérique solidaire

L'initiative s'inscrit dans le droit fil d'une série d'événements intitulés «Hack4Good», qui visent à faire se rencontrer les besoins exprimés par les ONG et les compétences de codeurs soucieux de donner du sens à leur travail. Reuben Katz cite ainsi une application permettant de mieux suivre les patients sous traitements antirétroviraux, développée à la demande du Fonds mondial de lutte contre le sida.

Ou une autre pour retrouver des personnes ensevelies sous des décombres, grâce à la recherche automatique de signaux wifi par les smartphones: imaginée par deux Londoniens de 16 et 19 ans, elle va être testée au Honduras par Goal, une ONG irlandaise. Et Geeklist fait la passerelle:

«On met en rapport les ONG et les équipes de développeurs, de manière à ce qu'ils puissent continuer à travailler ensemble. C'est déjà le cas pour plusieurs dizaines d'applications. Par exemple, Amnesty International, à Londres, travaille avec une équipe qui a répondu à l'un de leurs challenges.»

Hack4Good, mais aussi la communauté CrisisCamp, active autour du tremblement de terre en Haïti ou du tsunami au Japon, ou encore le Social Good Summit qui s'est tenu à New York fin septembre: autant d'initiatives témoignant de l'émergence du «numérique solidaire», qui rassemble à la fois des individus, des entreprises et des mouvements plus informels. Ancien de l'agence de communication responsable Limite, aujourd'hui à Change, la plate-forme d'hébergement de pétitions en ligne, et coauteur d'Anonymous, Nicolas Danet observe depuis plusieurs années les passerelles qui se construisent entre communautés techniques, action humanitaire et économie sociale et solidaire:

«Il y a de plus en plus d'initiatives de part et d'autre. Les ONG apprennent à utiliser de nouveaux outils, à intégrer des compétences techniques ou à valoriser ceux qui les ont. On voit apparaître des acteurs hybrides, sensibles à la fois à la technologie et à l'action sociale. C'est un terreau propice à des réactions rapides en cas de catastrophe, par exemple.»

De nouvelles formes d'engagement

Pour les gouvernements ou les organisations humanitaires, il y a un intérêt certain à s'appuyer sur ces nouvelles forces vives, inventives, rodées à la communication en réseau et au travail «agile». Et pour les «codeurs civiques», travailler avec les institutions peut permettre de pérenniser les projets, comme l'explique Kat Borlongan:

«Mon rêve, c'est de mettre en place un programme de soutien dans mon pays. Les Philippines sont frappées par six ou sept typhons par an, il y a moyen d'améliorer au fur et à mesure les modalités de collaboration. L'idéal étant que le code de tous ces projets soit ouvert, pour permettre à d'autres de les améliorer ou de les adapter pour leur propre pays.»

«La “pollinisation numérique” est à un stade avancé, juge Nicolas Danet, même si ce n'est que le début de nouvelles formes de structuration de l'engagement. À l'avenir, ces réseaux devront être de plus en plus réactifs, et ils peuvent aussi apprendre des ONG à s'organiser.» L'échange de compétences marche dans les deux sens.

Et rien ne vaut l'expérience pour ajuster son mode de fonctionnement. Kat Borlongan cherche aujourd'hui d'autres bonnes volontés, du côté des chefs de produit cette fois: «Mon premier appel était destiné aux codeurs, mais on se rend compte très vite que même s'il y a beaucoup de bonnes volontés, sans chef d'orchestre, c'est difficile d'avancer.» On apprend en marchant, comme toujours.

Amaelle Guiton

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