Jamais l'Allemagne n'a semblé aussi près de franchir le pas vers l'instauration d'un salaire minimum, qui a été un des thèmes forts, si ce n'est le plus rassembleur, de la campagne électorale. Selon le baromètre politique de la chaîne de télévision ZDF, 83% des Allemands sont pour l'introduction d'un salaire horaire minimum de 8,50 euros, le chiffre avancé par le SPD comme par les Verts.
Pour un pays à l'économie si solide, cela reste tout de même bien peu comparé au taux horaire de 9,43 euros du Smic français... Mais du point de vue de la CDU, c'est déjà beaucoup trop.
Le parti d'Angela Merkel préconise de laisser le soin à chaque branche professionnelle de fixer un salaire minimum, comme c'est déjà le cas dans une douzaine de branches, par crainte que son instauration généralisée ne nuise à l'économie. «Nous devons faire attention à ne pas détruire des emplois», a rappelé Angela Merkel cette semaine lors d'un déplacement à Hanovre, comme le rapporte le quotidien Die Welt.
Pas étonnant donc que ce soit précisément sur ce point-là que coincent les rencontres de concertation entre la CDU et le SPD cette semaine. Sigmar Gabriel, le président du parti social-démocrate, semble même en faire la condition sine qua non de la formation d'une grande coalition, explique Der Spiegel.
Sans surprise, la perspective de l'instauration d'un salaire minimum effraie le patronat allemand. Mais plusieurs instituts économiques tirent également la sonnette d'alarme. Un rapport publié cette semaine par le DIW, l'institut allemand pour la recherche économique, estime à 5 millions le nombre de travailleurs qui sont payés moins de 8,50 euros de l'heure en Allemagne.
À l'Est, ils représenteraient plus d'un quart des travailleurs, tandis qu'à l'Ouest ils ne seraient «que» 15%. Une PME sur trois serait concernée par l'instauration d'un salaire minimum, ce qui risque de coûter leur emploi aux travailleurs les plus mal payés.
D'après les estimations de l'Institut de recherche économique Ifo, qui avait calculé en 2007 l'impact que pourrait avoir l'instauration d'un salaire minimum sur le marché de l'emploi allemand, 1 million de postes seraient menacés... De quoi largement nuancer le taux de chômage si peu élevé qu'affiche l'Allemagne vis-à-vis de la France : 6,6% contre 10,5%... Et remettre en cause le bon bilan économique d'Angela Merkel après huit années passées au pouvoir.
Au milieu de ces prévisions alarmistes, seule l'OCDE voit les choses de manière plus sereine, comme le fait remarquer le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui rapporte les propos de l'économiste Mark Keese: ce dernier estime que «la proposition de 8,50 euros de l'heure est tout à fait raisonnable.»