Barack Obama s’est félicité, dimanche 15 septembre dans la soirée, dans un entretien à la chaîne de télévision américaine ABC, de l’accord trouvé entre les Etats-Unis et la Russie sur le démantèlement de l’arsenal chimique du régime syrien de Bachar el-Assad.
Le président américain s’est réjoui d’avoir amené Vladimir Poutine à «pousser» son «client». «M. Poutine et moi-même avons de grands désaccords sur tout un éventail de problèmes… Mais je peux lui parler. Nous avons travaillé ensemble sur des questions importantes… Ce n'est pas la guerre froide», a notamment expliqué Barack Obama.
Selon l'accord, annoncé samedi par les chefs de la diplomatie américaine et russe, John Kerry et Sergueï Lavrov, Damas a une semaine pour présenter une liste de ses armes chimiques et celles-ci devront être enlevées et détruites d’ici la fin du premier semestre 2014. Le processus sera encadré par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU mentionnant le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui ouvre la voie à de possibles sanctions, y compris un recours à la force, en cas de manquement du régime syrien à ses engagements. Mais cette dernière partie de l’accord n’est pas présentée de la même façon à Washington et à Moscou.
«Récompensé pour avoir utilisé des armes chimiques»
Et si les Etats-Unis, la France, par la voix de François Hollande dimanche soir sur TF1, et le Royaume-Uni se félicitent d’avoir contraint le régime syrien à renoncer officiellement à ses armes chimiques, les observateurs soulignent la victoire de Poutine, qui a remis la Russie au cœur du jeu diplomatique planétaire, et surtout d’Assad, qui peut continuer à massacrer sa population… à condition de le faire autrement qu’avec des armes chimiques.
C’est la tonalité de l’analyse, chez The Atlantic, de Shadi Amid, directeur de recherche de la Brookings Institution, un think tank spécialisé dans la politique internationale. Il reconnaît que Barack Obama est parvenu «à éviter une guerre qu’il cherchait désespérément à éviter» mais affirme que la question que la communauté internationale a soigneusement évité depuis deux ans, celle de la guerre civile provoquée par une réponse violente du régime Assad a des manifestations pacifiques, n’est pas tranchée, au contraire:
«Bachar el-Assad est récompensé pour avoir utilisé des armes chimiques plutôt que "puni"… Le débat des dernières semaines a passé sous silence le fait que les armes chimiques n’ont jamais été centrales dans la stratégie militaire du régime syrien. Il n’a pas besoin d’utiliser des armes chimiques.»
Bachar el-Assad se retrouve ainsi aujourd’hui dans une position bien plus forte qu’il y a un mois. Maintenant, il peut faire à peu près ce qui lui plaît à condition de ne pas utiliser des armes chimiques. Shadi Amid juge même «obscène» l’accent mis sur les armes chimiques:
«La ligne rouge annoncée par l’administration Obama envoie un message perturbant, elle signifie que le massacre en masse de civils par d’autres moyens que les armes chimiques est, en fait, permis.»
Un argument repris par Jeffrey Goldberg de Bloomberg:
«Aussi longtemps qu’il n’utilise pas d’armes chimiques contre son propre peuple, il [Bachar el-Assad] est à l’abri d’une intervention armée occidentale. Comme environ 98% des gens qui sont morts dans la guerre civile syrienne n’ont pas été tués par des armes chimiques, manifestement Assad et son régime ont trouvé le moyen de massacrer en masse avec des armes conventionnelles. On peut assumer sans trop de risques qu’il va augmenter l’intensité de ses attaques contre les rebelles et les civils sachant qu’il peut le faire en toute impunité.»
Et le chroniqueur de Bloomberg d’ajouter que Bachar el-Assad s’est même rendu indispensable pour la mise en place de l’accord de destruction des armes chimiques et qu’il n’est donc plus question de demander son départ comme ont pu le faire Washington et Paris il y a encore quelques mois.
Shadi Amid conclut qu’il est en plus maintenant inimaginable de voir Barack Obama demander dans quelques mois au Congrès l’autorisation d’utiliser la force contre le régime syrien parce qu’il commet des exactions insupportables.