Comme beaucoup d'Américains, le sergent Sean Murphy a été choqué et excédé par le magazine Rolling Stone, qui a choisi pour illustrer une passionnante enquête sur le suspect des attentats de Boston Dzhokhar Tsarnaev un portrait «de rêve» du jeune homme. Mais contrairement à beaucoup d'Américains, Sean Murphy est un photographe de la police d'Etat du Massachusetts, et il a couvert les opérations des forces de l'ordre pour retrouver Dzhokhar Tsarnaev après sa fuite.
Il a décidé de publier dans le Boston Magazine plusieurs images prises lors de cette traque et de la capture du jeune homme. Images jamais diffusées auparavant. En sang, sale, bref, dans un état loin du beau gosse dylanien représenté en couverture de Rolling Stone. Il voulait ainsi «que le monde sache que le Tsarnaev qu'il a pris en photo cette nuit là –vaincu et à peine vivant, avec les points rouges des fusils des snipers sur son front– est le vrai visage du terrorisme, et non pas le jeune homme beau et confiant montré en une du magazine», explique le Boston Magazine.
Sean Murphy ajoute:
«Ce qu'a fait Rolling Stone est mal. Ce type est mauvais. C'est le vrai poseur de bombes de Boston. Pas quelqu'un d'arrangé et d'apprêté pour la une de Rolling Stone.»
Murphy a été suspendu par ses supérieurs pour avoir communiqué ces photos et parlé à la presse. Pas sûr non plus que Murphy ait atteint son but avec ses images. Car celles où Dzhokhar Tsarnaev sont encore plus impressionnantes et symboliques, voire christiques, que la couverture du magazine:
Voir toutes les photos sur le site du Boston Magazine
Comme le dit le journaliste Tom Scocca:
How dare they publish a pretty-boy selfie of Dzhokhar? Here! Behold the true terrorist, skinny and bloodied in dramatic chiaroscuro!
— Tom Scocca (@tomscocca) July 18, 2013
«Comment osent-ils publier une photo de beau gosse prise par Dzhokhar lui-même? Tenez! Voilà le vrai terroriste, mince et sanglant dans un clair-obscur théâtral!»
On peut comprendre les sentiments de Sean Murphy sans les partager. Et estimer que le jeune homme beau gosse, «arrangé et apprêté pour la une de Rolling Stone» est mauvais, qu'il est le vrai poseur de Boston. Et que c'est justement parce qu'il semble si inoffensif et mignon qu'il est important de le représenter ainsi dans les médias.
Comme l'expliquait sur Slate Mark Joseph Stern:
La une présente un contraste saisissant avec notre perception habituelle des terroristes. Ça nous demande:
«Qu'est-ce que je m'attendais à voir en Tsarnaev? Qu'est-ce que j'espérais voir?»
La réponse la plus probable est un monstre, un abruti grossier avec une apparence diabolique. Ce que l'on obtient à la place, c'est la plus alarmante des visions: un garçon qui ressemble à quelqu'un que l'on pourrait connaître.
[...] On peut souhaiter que les médias nous confirment que les psyhopathes sont des reclus fous, timbrés et flippants que l'on peut facilement identifier et donc éviter. Mais, comme cette histoire nous le rappelle, ce n'est tout simplement pas le cas. Certains psychopathes pointent une arme sur un objectif, d'autres se prennent en photo en T-shirt. Comme les nombreux amis de Tsarnaev pourraient en témoigner, on n'est pas aussi bons qu'on le croit pour repérer le mal qui se cache en dessous de la surface.
C.D.