Grâce au Spiegel ce week-end, on a pu apprendre que la NSA a espionné, dans le cadre de son programme Prism, les bureaux de l’Union européenne et a intercepté des appels et emails de hauts responsables communautaires.
Dimanche, The Guardian complétait l'information en révélant que, parmi les «cibles» des Américains figuraient la représentation de l'UE à Washington, ses bureaux au siège de l'ONU à New York mais aussi les ambassades de France, d’Italie et de Grèce à Washington. La NSA serait allée jusqu'à espionner le siège du Conseil de l’Union européenne à Bruxelles.
Or les négociations autour d'un accord extrêmement important de libre-échange entre les deux zones économiques doivent s’ouvrir en ce mois de juillet. Il s'agit pour l'Union d'un marché potentiel de 119 milliards d'euros par an, et pour l'économie américaine de 95 milliards d'euros.
Les révélations de la presse européenne arrivent donc à point nommé pour peser sur ces négociations. Martin Schultz, le président du Parlement européen, n’y est pas allé par quatre chemins. Interrogé sur France 2 dimanche 30 juin, il a affirmé qu’il fallait demander deux choses aux Américains:
«Pourquoi vous traitez un allié comme un ennemi? Et deux, quelle est votre justification?»
Si l’authenticité en était confirmée, ces écoutes pèseraient sur la confiance nécessaire pour entreprendre une négociation si complexe et ambitieuse, a jugé Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, poursuit le Financial Times. «Des partenaires ne s’espionnent pas les uns les autres», a-t-elle rappelé.
«Nous ne pouvons pas négocier un vaste marché transatlantique s’il y a le moindre doute autour d’activités d’espionnage de nos bureaux et de nos négociateurs par nos partenaires. Les autorités américaines devraient éliminer au plus vite un tel doute.»
Mêmes réticences, plus affirmées encore, du côté d’Elmar Brok, ancien président de la commission des Affaires étrangères du parlement européen:
«Comment pouvons-nous encore négocier si nous devons craindre que notre position dans la négociation est écoutée à l’avance?»
Un secret de polichinelle?
Robert Madelin, directeur général de la DG des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission, a affirmé que les négociateurs européens avaient toujours agi comme s'ils étaient écoutés, relate The Guardian. Le journal affirme par ailleurs que dans les cercles bruxellois, on pense depuis longtemps que les Américains se branchent au trafic électronique de l'Union. Certains estiment que des Etats membres font de même et écoutent les Américains...
La députée néerlandaise (libéral) du Parlement européen Marietje Schaake a par ailleurs demandé à ce que le secrétaire d'Etat américain John Kerry, en voyage au Moyen-Orient, fasse un détour par Bruxelles à son retour. «C'est essentiel pour l'alliance transatlantique. Les Etats-Unis devraient donner l'exemple, et respecter les libertés qu'ils proclament protéger contre les attaques de l'extérieur.»
Les Verts européens, tout comme le président du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon, vont jusqu’à demander que l’asile politique soit accordé à l’ancien employé de la NSA à l’origine des fuites du scandale Prism, Edward Snowden. Mélenchon voit dans le scandale une occasion de demander l'arrêt immédiat des discussions autour de l'accord de libre-échange, tout comme Daniel Cohn-Bendit.
Espionnage économique
Le Belge Lode Vanoost affirme par ailleurs au site Russia Today qu’il pense que l’objectif principal de ce programme de surveillance est «l’espionnage économique» de l’UE.
«Sur le plan économique, les Etats-Unis perdent du terrain partout […] L’UE a des liens plus forts avec la Russie, l’Afrique, l’Amérique latine. Et les Etats-Unis n’arrivent plus à imposer leurs priorités économiques comme avant.»
Disclose.tv - Bugging Brussels: New Snowden leak claims NSA spies on EU diplomats [Lode Vanoost @ RT]
Mais si l'Europe est sur écoute, The Guardian mentionne dans son article l'importance stratégique aux yeux des Américains d'écouter plutôt les Etats membres. «Les Américains s'intéressent plus à ce que pensent les gouvernements qu'à la Commission européenne», affirme un responsable de l'Union. L'Allemagne en particulier, avec 15 millions d'appels téléphoniques qui seraient écoutés par jour contre «seulement» 2 millions en France, est le pays européen le plus surveillé. Un reflet de son poids politique au sein de l'Union...