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En Egypte, manifestation au Caire contre Morsi, avec l'armée en arbitre

Temps de lecture : 5 min

Journée de tous les dangers en Egypte, où partis d'opposition et partisans des Frères Musulmans ont prévu de manifester.

Manifestation anti-Morsi à Alexandrie, le 30 juin. REUTERS/Asmaa Waguih.
Manifestation anti-Morsi à Alexandrie, le 30 juin. REUTERS/Asmaa Waguih.

Ce dimanche 30 juin est une journée de tous les dangers en Egypte. La majorité des partis et des mouvements non islamistes ont prévu de participer à une manifestation pour réclamer la destitution du président Morsi, qu’ils accusent d’avoir trahi les idéaux de la révolution et de «ne pas avoir mis en œuvre des politiques pour améliorer la vie des gens ordinaires», un an tout juste après le début de son mandat.

Les partisans du régime ont décidé de s’opposer à cette contestation dans un face-à-face et il est à craindre que les deux camps dépassent le terrain de la simple joute verbale et en viennent à un affrontement qui se transformerait en un combat entre laïcs et islamistes.

Ces derniers jours ont d’ailleurs ressemblé à la préfiguration de ce qui pourrait être craint ce dimanche. Des troubles ont déjà été signalés dans la ville de Mahala, forçant l’armée à séparer des manifestants et des éléments du parti salafiste Ennour, dont le siège a été envahi et incendié par des inconnus. Dans le gouvernorat de Kafr Echeikh, au nord de l’Égypte, les habitants ont incendié des locaux des Frères musulmans et retenu sept d’entre eux dans l’une des mosquées de la ville à la suite de l’agression dont a été victime un membre de l’opposition. Vendredi, ce sont trois personnes qui ont été tuées dans des manifestations à Alexandrie, la seconde ville du pays.

Mainmise insidieuse des Frères

Les contestataires, issus de toutes les couches de la population, s’élèvent contre un pouvoir qui veut imposer par la force son idéologie islamique mais aussi contre la crise économique que traverse le pays. Les réserves de devises s’écroulent, le prix des denrées alimentaires a augmenté de 10% en un an, le pays subit des coupures d’électricité régulières et un prêt de 4,8 milliards de dollars du FMI n’est toujours pas parvenu à l’Égypte. Selon Al-Ahram, «à ce jour, il n’y a pas eu la moindre réalisation des revendications de la révolution. Aucun de ces dossiers n’a été réellement traité par la présidence».

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Les révolutionnaires de 2011 ont perdu le peu de liberté d’expression qu’ils avaient acquise. De très nombreuses procédures judiciaires ont été engagées contre des journalistes et contre les médias.

En fait, les Frères musulmans ont fait illusion en parvenant au pouvoir. Ils avaient une expérience d’aide sociale aux populations défavorisées mais en aucun cas une expérience de gestion politique et économique d’un État. Selon l’expert des médias Yasser Abdelaziz, «les Frères ne comprennent pas ce que pluralisme politique signifie, que ce soit sur le plan intérieur ou extérieur du pays. Les Frères croient qu’ils vont résoudre les problèmes qui émergent de leur mauvaise gestion des affaires non pas en modifiant leur politique, mais en faisant taire l’opposition».

Jusque-là insidieuse, la mainmise générale des Frères musulmans sur tous les aspects de la vie s’affirme ouvertement à présent au sein du gouvernement. Le ministre égyptien de la Culture, Alaa Abdel-Aziz, s’est donné pour tâche de «purifier» les courants culturels et intellectuels du pays pour «éliminer les mécréants et pour redonner à son peuple son identité perdue».

L’introduction de la nouvelle pensée islamiste passe par l’exclusion puisque le ministre a écarté ceux qui ne sont pas dans le droit fil culturel des Frères musulmans. Les mesures décidées par le ministre touchent tous les secteurs: ont été limogés Inas Abdel-Dayem, directrice de l’Opéra, Ahmed Megahed, directeur de l’Organisme du livre, et Salah Al-Meligui, directeur du secteur des arts plastiques.

Des armes partout

Les soutiens du régime assimilent ces manifestations à «un vestige de l’ancien régime» et ont annoncé qu’ils iraient jusqu’au bout pour défendre le président, sous-entendu, par la force s’il le fallait. Les menaces sont claires.

Assem Abdel-Maged, membre du mouvement ultraconservateur Al-Djamaa Al-Islamiya, a précisé qu’il «n’y a pas de limite à ce qui peut être fait pour protéger la légitimité du président et celle de l’État». Il n’est pas le seul à utiliser cette dialectique puisque Mohamad Al-Zawahiri (frère du numéro un d’al-Qaida Ayman Al-Zawahri) a affirmé, lui, que «la lutte armée pouvait être acceptable dans certaines circonstances». Le groupe islamiste Hazemoun, dirigé par le prédicateur salafiste Hazem Abou-Ismaïl, a décidé de se joindre aux brigades des Frères musulmans pour défendre le président Morsi et son organisation.

Les deux camps se haïssent et sont prêts à s’affronter même si le chaos doit s’installer dans le pays. Fait nouveau depuis la révolution, les armes circulent de manière illégale chez les civils et elles pourraient être la cause de guerres de rues d’autant plus meurtrières que la police manque d’efficacité. Le ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, a déjà prévenu qu’il n’est pas dans les intentions de la police de contrer les manifestations du 30 juin et que sa fonction consiste uniquement à protéger les «institutions étatiques».

Reste à savoir si les bâtiments des Frères musulmans et des partis politiques entrent dans cette catégorie. En revanche, la garde présidentielle est la seule force efficace chargée de la protection du palais présidentiel. Cette volonté de la police de ne pas être impliquée dans l’un ou l’autre camp risque de mener en fait à la déflagration générale.

L’armée avait choisi, dans un premier temps et par intérêt personnel, de se cantonner dans une stricte neutralité. Mais il semble que Mohamed Morsi a réussi à persuader le général Abdel Fatah al-Sissi, ministre de la Défense, de donner des ordres pour assurer la sécurité:

«Les forces armées ont le devoir d'intervenir pour empêcher l’Égypte de plonger dans un tunnel sombre de conflit et de troubles.»

Le ministre a appelé les Égyptiens à oublier leurs querelles et à se rassembler dans l’intérêt de la nation:

«Il est du devoir national et moral de l'armée d'intervenir pour empêcher les violences confessionnelles ou l'effondrement des institutions de l'État.»

Il a par ailleurs mis en garde tous ceux, quel que soit leur bord, qui s’aventureraient à critiquer l’armée:

«Ceux qui croient que nous ignorons les dangers qui attendent la nation égyptienne se trompent. Nous ne resterons pas silencieux face à la plongée du pays dans la violence.»

Le président Morsi, rassuré par la position engagée des militaires, a donné des «directives pour mettre en place rapidement toutes les mesures nécessaires afin d'assurer la sécurité de toutes les structures vitales et stratégiques du pays en coordination avec le ministère de l'Intérieur». Mais si la situation dégénérait, l’armée pourrait mettre à profit les évènements pour occuper à nouveau le devant de la scène et, pourquoi pas, pour revenir aux affaires, d’où elle a été exclue à la chute de Moubarak. En restant à l’écart du tumulte depuis la révolution, les généraux ont acquis une stature d’arbitres et de sages.

Jacques Benillouche

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