Pour quelles raisons précises le ministère japonais de la Santé a-t-il suspendu ses recommandations officielles sur la vaccination contre le cancer du l’utérus? Annoncée le 17 juin, cette décision est une énigme pour les responsables sanitaires occidentaux. L’Agence européenne du médicament (EMA) et l’Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM) n’ont pas d’informations précises à communiquer et les démarches entreprises ne devraient pas permettre d’en savoir plus avant plusieurs semaines.
Pour des raisons réglementaires, les investigations européennes auprès des autorités japonaises sont conduites ici par la Suède et la Belgique. La Food and Drug Administration (FDA) américaine n’a pas officiellement réagi. Sur le Vieux Continent, la surprise est d’autant plus grande que les éléments médicaux disponibles ne correspondent nullement aux observations de pharmacovigilance effectuées sur les effets secondaires indésirables des deux vaccins recommandés contre le cancer du col de l'utérus: le Gardasil et le Cervarix des multinationales pharmaceutiques américaine et britannique Merck et GlaxoSmithKline.
De quelles informations dispose aujourd’hui l’ANSM?
«Nous savons que 42 cas d’un effet secondaire indésirable bien particulier ont été observés ces derniers temps au Japon chez des jeunes filles qui venaient d’être vaccinées contre les infections dues à certains papillomavirus humains, a précisé à Slate.fr la direction de l’ANSM. Il s’agit d’un syndrome peu banal fait de douleurs chroniques, complexes et persistantes à type de brûlures [“complex regional pain syndrome”] qui sont ressenties à distance du point d’injection de la dose vaccinale. En toute hypothèse, il s’agit pour nous d’un cluster qui nécessite une série d’investigations afin d’en comprendre la fréquence et les causes.»
Or ni l’ANSM ni l’EMA ne connaissent le nombre des personnes vaccinées chez lesquelles ce phénomène a été observé pas plus que les dates et les personnes concernées. Comment dès lors situer l’importance et en comprendre les causes? Aucune donnée n’est disponible quant à la marque ou au lot de vaccin impliqués. De plus et ni Merck ni GlaxoSmithKline n’ont encore fourni d’informations aux instances occidentales en charge de la surveillance du médicament.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées, la première concernant une malfaçon dans la fabrication des lots vaccinaux utilisés au Japon. Mais la décision du ministère japonais de la Santé de suspendre les recommandations de vaccination (et non la vaccination elle-même) ne plaide pas en ce sens.
Cette situation paradoxale (ne plus recommander un vaccin tout en le laissant le laisser sur le marché) ressemble à ce qui s’est passé en France en 1998 quand Bernard Kouchner alors ministre de la Santé avait décidé de suspendre la vaccination contre l’hépatite B en milieu scolaire sur la foi d’informations (jamais confirmées) concernant des liens entre cette vaccination et des cas de sclérose en plaques.
Le syndrome douloureux observé au Japon n’a semble-t-il jamais été identifié en Europe où les autorités sanitaires disposent pourtant d’un recul important de pharmacovigilance. En France, la surveillance porte désormais sur 225.000 doses de vaccin Cervarix (commercialisé depuis septembre 2007) et plus de 5 millions de doses de Gardasil (septembre 2006).
En France, au vu de la controverse récurrente sur l’innocuité du vaccin contre l’hépatite B, une surveillance toute particulière avait été mise en place. Plus des 80% des 2.000 notifications de pharmacovigilance ayant en France concerné le Gardasil concernaient «des effets indésirables connus bénins et transitoires avec une prédominance de douleurs au site d’injection, fièvres, éruption de type urticaire et syncopes vasovagales».
Dans tous les cas, les syndromes fébriles, céphalées et syncopes ont été sans suite.
«Le nombre total de manifestations auto-immunes recueillies (démyélinisations aiguës centrales, arthrites, lupus érythémateux systémique, thyroïdite, diabète insulino-dépendant et thrombopénies) reste faible et inférieur à celui attendu dans la population générale sur la base des données d’incidence et de prévalence disponibles, souligne l’ANSM. L’analyse de chaque cas déclaré n’a pas permis d’établir un lien de causalité entre la vaccination et les complications observées.»
Le bilan est similaire avec le Cervarix.
Comment expliquer l’apparition de ce cluster nippon d’un syndrome fait de manifestations douloureuses complexes et chroniques à distance du point d’injection vaccinal? Au Japon, ce vaccin venait seulement d’être recommandé par les autorités sanitaires et son coût pris en charge par la collectivité. Il doit, autant que faire se peut, être administré chez les jeunes filles avant le début de leur vie sexuelle afin de prévenir chez elles des infections virales transmises par des hommes qui pourraient induire des lésions génitales cancéreuses.
J.-Y.N.