Monde / Santé

J'ai découvert le gène BRCA1. Et je suis ravie que la Cour suprême rende son brevetage impossible

Temps de lecture : 5 min

Mary-Claire King, la généticienne qui a découvert le gène BRCA1, responsable de certains cancers du sein, est très satisfaite de la décision de la Cour suprême américaine rendant illégal son brevetage.

«Olympia» (1863), Edouard Manet, exposé au musée d'Orsay
«Olympia» (1863), Edouard Manet, exposé au musée d'Orsay

Le 13 juin 2013, la Cour suprême américaine a pris une très importante décision concernant l'ADN humain. L'ADN humain est un produit de la nature et ne peut pas être breveté, seul l'ADN complémentaire (donc synthétisé, celui qui n'est donc pas produit naturellement) peut l'être.

La décision de la Cour suprême concernait un litige impliquant Myriad Genetics, société américaine de biotechnologie qui a déposé des brevets sur deux gènes liés aux cancers de l'ovaire et du sein, BRCA1 et BRCA2. Le grand public connaît le BRCA1 notamment depuis qu'Angelina Jolie a annoncé qu'elle avait décidé de subir une ablation des deux seins pour prévenir un risque très élevé de cancer.

Mary-Claire King, la généticienne qui a découvert le gène BRCA1, est très satisfaite de la décision de la Cour suprême américaine rendant illégal son brevetage. Ses travaux ont inspiré le film Decoding Annie Parker qui sortira prochainement au cinéma. Son personnage y est incarné par Helen Hunt.

Vous avez découvert le gène BRCA1 au début des années 1990. Peu de temps après, Myriad Genetics isolait et brevetait ses séquences. Avez-vous été surprise à l'époque?

Mary-Claire King: Ce n'était pas la première fois qu'on brevetait des gènes; c'était déjà le cas avec la mucoviscidose, par exemple. Mais je pense que personne –que ce soit aux NIH (National Institutes of Health, institutions gouvernementales américaines qui s'occupent de la recherche médicale et biomédicale, NDLE) ou ailleurs– n'avait anticipé le niveau de protection qu'envisageait Myriad.

La différence avec Myriad, c'était qu'ils voulaient absolument être les seuls à fournir les tests de dépistage et qu'ils ont voulu contraindre, avec une agressivité incroyable, tous les autres laboratoires. Ce qui explique la plainte déposée en 2009 par l'Union américaine pour les libertés civiles et qui vient aujourd'hui d'aboutir auprès de la Cour Suprême. Ils ont porté plainte au nom des gens qui avaient besoin des tests, sans pouvoir obtenir de second avis.

Le 13 juin, la Cour suprême a statué que les gènes présents dans la nature ne pouvaient pas être brevetés. Comment réagissez-vous à cette décision?

Je suis ravie. C'est une décision fabuleuse, que ce soit pour les malades, les médecins, les scientifiques ou le bon sens. Quand je travaillais sur ce gène, entre 1974 et 1994, jamais je n'ai pensé que mes travaux pouvaient avoir comme conséquence une procédure judiciaire qui allait remonter jusqu'à la Cour suprême. Mais c'est parfois ce qui arrive quand vous défrichez un nouveau territoire scientifique. Cette décision, après tant d'années, arrive comme un soulagement, et je suis tellement satisfaite qu'elle ait été rendue à l'unanimité...

Après ce jugement, à quoi devons-nous nous attendre avec le dépistage génétique?

Mettre au point des examens multigéniques –des tests tout-en-un pour dépister des susceptibilités aux cancers du sein et de l'ovaire et ce sur plusieurs gènes– est l'une des premières priorités. Nous avons mis au point ce genre de test, le test BROCA, que nous utilisons depuis des mois, mais jusqu'à présent, nous devions masquer les gènes BRCA1 et BRCA2. La décision de la Cour suprême met fin à cette situation absurde où nous étions capables de tester tous les gènes, mais où nous étions obligés d'en masquer certains. Aujourd'hui, les gens pourront accéder à des tests multigéniques conçus par plusieurs entreprises. De fait, je pense qu'ils arriveront sur le marché sans attendre.

Les gènes BRCA ont aussi fait les gros titres avec la double mastectomie d'Angelina Jolie, qui a pris cette décision en apprenant qu'elle était porteuse d'une mutation délétère de BRCA1. Cette publicité est-elle la bienvenue?

Son article dans le New York Times était merveilleux; on voit qu'elle a très bien compris les tenants et les aboutissants d'une telle procédure. J'espère que la clarté de cette tribune, et la mise au point de tests de nouvelle génération, inciteront davantage de femmes à se faire dépister. La plupart des cancers ne sont pas hérités, mais il existe des tests simples pour ces formes-là et si une femme est concernée, alors elle pourra le savoir. J'aimerais voir des femmes trentenaires se faire dépister plus fréquemment, que cela devienne un examen de routine, car c'est à ce moment-là que les mesures préventives sont les plus efficaces.

Vos découvertes sont le sujet d'un film bientôt en salles, Decoding Annie Parker. Quel effet cela fait de voir vos travaux portés à l'écran?

Je n'ai rien à voir avec ce film et je n'en ai eu connaissance qu'une fois terminé. Je l'ai appris par hasard. Une des mes étudiantes est venue me voir et m'a dit «Vous m'aviez caché qu'un film allait sortir sur vous!» J'ai simplement répondu «il n'y a pas de film sur moi» et j'ai continué ce que j'étais en train de faire. Elle m'a donc montré sur son ordinateur portable et j'ai pensé «Ouais, c'est ça». Puis j'ai vérifié par moi-même un peu plus tard et en effet...

Le film laisse entendre que vous avez eu toutes les peines du monde, dans les années 1980, à convaincre les gens que certains cancers avaient une composante génétique. Expliquez-nous...

Ce qu'il y a à retenir de cette époque, c'est que les gens m'ignoraient complètement. On ne me voyait pas comme une scientifique, mais comme une jeune femme qui travaillait dans son coin avec un modeste soutien des NIH.

Certains groupes étaient très hostiles. Mais j'ai pu aussi compter sur un soutien incroyable de la part de médecins qui, parmi leurs patients, avaient des femmes dont la famille comptait de nombreux cas de cancers du sein et de l'ovaire. Ils savaient que quelque chose clochait à ce niveau-là. J'ai été beaucoup soutenue par des oncologues et sans eux, je n'aurais jamais pu mener mes projets à bien.

Aujourd'hui, bien sûr, la génétique des cancers est un domaine en plein essor. Est-ce grâce aux gènes BRCA?

Je pense que l'intérêt en a été énormément accru. Cela a confirmé l'idée d'une prédisposition au cancer. Mes travaux ont montré qu'on pouvait utiliser les outils de l'analyse génétique pour prouver l'existence de gènes responsables d'une forme héritée d'une maladie très fréquente et que vous pouviez isoler les séquences héritées.

La plupart des cancers ne sont pas hérités, mais quand ils le sont, ils sont dévastateurs. Aujourd'hui, on sait que même si la maladie est génétique chez la plupart des gens, la mutation spécifique présente chez un malade précis sera probablement très rare.

Chaque malade peut donc être porteur d'une mutation différente d'un gène spécifique de prédisposition au cancer. Comment arrivez-vous à un tel niveau de détail dans vos dépistages? La tâche semble très ardue.

Le test BROCA utilise une technologie de séquençage nouvelle génération qui identifie toutes les classes de mutations sur tous les gènes connus de prédisposition aux cancer du sein et de l'ovaire, et ce dans un seul tube. C'est un test simple et bien plus économique que ceux qui sont actuellement disponibles dans le commerce. Nous aimerions le rendre accessible le plus largement possible.

D'où vient son nom, BROCA?

D'un chirurgien et pathologiste français du XIXe siècle, Paul Broca, qui fut le premier à décrire de manière systématique les cancers du sein familiaux. En reprenant ses travaux, nous essayons actuellement de retrouver les descendants des familles qu'il étudia dans les années 1860, pour voir s'ils sont porteurs de BRCA1 ou de BRCA2.

Depuis vos premiers travaux sur la génétique du cancer, il y a plusieurs dizaines d'années, de quelle manière la médecine a-t-elle changé?

A mon avis, nous sommes aujourd'hui dans un environnement complètement différent. En 35 ans, ce qui a changé le plus, c'est la technologie. Les questions que se posent les gens sur la génétique ou leurs origines sont les mêmes depuis des centaines d'années. Mais ce qui a changé, c'est notre capacité à y répondre. Ce que nous avons étudié dans nos laboratoires de recherche pendant toutes ces années, aujourd'hui, nous pouvons l'appliquer aux soins des malades.

Sara Reardon

Traduit par Peggy Sastre

Cet article a d'abord été publié dans le New Scientist.

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