«Ils peuvent presque littéralement regarder vos idées à mesure que vous les écrivez», a lâché Edward Snowden, l’homme des révélations du scandale Prism, au Washington Post, rappelle le site Mother Jones. L’immense scandale relayé par The Guardian et The Washington Post, qui a révélé que la NSA avait accès aux communications en ligne des internautes utilisateurs de Skype, Google, Yahoo, Microsoft ou Facebook, a provoqué un émoi sans précédent dans l’histoire de la défense des libertés individuelles.
«Big Brother is watching you», le célèbre slogan martelé par les autorités dans le roman 1984 de George Orwell, est à nouveau sur toutes les lèvres. Comme lors de chaque polémique sur l’utilisation par des puissances étatiques ou économiques de données privées, la métaphore orwélienne est citée à tout va. 1984 bénéficie même d’un énorme rebond de ses ventes sur Amazon depuis la révélation de l’affaire.
Sauf que premièrement, Big Brother a sans doute autre chose à faire que d’espionner vos likes de la semaine, vos activités sur le groupe Si toi aussi ça t’énerve les étiquettes mal décollées ou vos chats sur Gmail. Et que même s’il le faisait, cela n’inhiberait pas les comportements concernés.
Après tout, écrit The Atlantic, les informations qui concernent l’hôtel où vous descendez, la voiture que vous avez louée ou le type de boisson que vous préférez, ne sont pas particulièrement sensibles. La plupart des gens continueraient d’aller à l’hôtel ou de boire tel soda même s’ils savaient que Big Data-Brother les observait.... C’est tout le contraire du Big Brother d’Orwell qui, grâce à son accès direct au cerveau du citoyen, est en mesure de d’inhiber certains actes et même certaines pensées. La majorité des Américains a d’ailleurs déjà accepté, selon un sondage, cet échange entre intrusion possible dans leur vie privée et garantie d’une meilleure prévention de la menace terroriste, justification du gouvernement pour procéder de la sorte.
Là n’est pas la question principale, selon le juriste Daniel J. Solove, auteur de The Digital Person. Comme l’explique The Atlantic, Solove est persuadé que la bonne comparaison littéraire est à chercher du côté du Procès de Franz Kafka.
Car Kafka ne parle pas vraiment de surveillance, écrit Solove, ni de l’inhibition des comportements qui peut en résulter, mais plutôt de l’usage qui est fait par la bureaucratie des données collectées. Dans Le Procès, l’accusé K ne sait pas de quoi il est accusé, il n’a pas d’accès aux données collectées sur lui. Le terme «kafkaien» se rapporte donc à des situations de dépossession et d’impuissance du citoyen face à l’institution.
Le débat ne doit donc pas se focaliser autour du fameux argument «Si vous n’avez rien à cacher, de quoi avez-vous peur?»
«L’enjeu n’est pas de savoir si les informations récoltées sont celles que les gens veulent cacher ou pas, mais plutôt le pouvoir et la structure du gouvernement.»
«C’est un problème structurel qui implique la façon dont les gens sont traités par les institutions gouvernementales, écrit-il. De plus, cela crée un problème de disymétrie de pouvoir entre les individus et le gouvernement.»
Un gouvernement qui s’intéresse de très près à ses citoyens sans que ces derniers en aient conscience. Du moins jusqu’à présent.
L'article de Mother Jones permet quant à lui de rappeler quelques vérités simples. Si quelqu'un est bien en mesure de littéralement voir vos idées prendre forme à mesure que vous les écrivez, cette entité est une entreprise privée, et son nom est Google. Chaque touche de clavier pressée sur Google Search génère des données transmises à des serveurs, et ces comportements en ligne seront plus tard utilisés pour contextualiser les propositions commerciales du programme de publicités de Google. Les serveurs du géant du web lisent d'ailleurs le contenu des emails des utilisateurs Gmail depuis que ce service existe, rappelle pour sa part The Economist. Mais c'est un autre débat...