Les expressions «cinéma coquin», «tueur à gages» et «lance des oeufs» ont un point commun. Si vous tapez l'une d'entre elles dans une version spéciale de Skype utilisée en Chine qui permet d'espionner des conversations, vous pourriez vous retrouver sous surveillance.
C'est ce qu'affirme un projet de recherche de Jeffrey Knockel, un étudiant en master de sciences de l'informatique à l'université de New Mexico, à Albuquerque. Comme le rapporte Bloomberg Businessweek, Knockel a récemment trouvé le moyen de contourner l'encodage d'une version de Skype créée spécifiquement pour les utilisateurs chinois. Ce faisant, il a découvert des listes secrètes de mots-clés utilisés en Chine pour surveiller les communications des utilisateurs de Skype.
D'après le chercheur de 27 ans, le logiciel possède une liste noire de surveillance intégrée, qui scanne les messages envoyés par ses utilisateurs à la recherche de mots ou d'expression spécifiques. Si un utilisateur tape l'une de ces expressions choquantes dans la fenêtre de chat de Skype, une alerte est déclenchée –qui envoie une copie à un serveur informatique centralisé et note qui a envoyé le message et quand.
Tian'anmen, Amnesty international et manifestations
Certains des milliers de termes inclus dans la liste que Knockel a mise au point, et qu'il met à jour quotidiennement, sont évidemment politiques. En les traduisant, on voit qu'ils incluent «manifestations étudiantes», «manifestations sur l'essence», «massacre de Tian'anmen», «Amnesty International» et «Reporters sans Frontières».
Mais un large nombre d'entre eux sont liés au sexe ou à la pornographie –comme «chat sexuel», «service de chat nu en direct» ou «cinéma coquin». Certains parlent de violence, comme «cocktails molotov» ou «tueur à gage». Et ce n'est pas tout.
Le logiciel recherche des références à des drogues telles que l'ecstasy, la methamphetamine et la ketamine –tandis que des termes étranges qui, traduits en anglais, donnent «vieille recette de cheval» ou «jette des oeufs», pourraient aussi faire atterrir des utilisateurs sur une liste de surveillance. Je n'ai aucune idée de ce que signifient ces expressions, mais elles pourraient être codées, un peu comme le célèbre «cheval de l'herbe et de la boue».
Tom-Skype et la surveillance en Chine
La version de Skype utilisée en Chine est connue sous le nom de Tom-Skype, une joint-venture formée par Skype en 2005 avec en propriétaire majoritaire Tom Online, un fournisseur d'accès à Internet basé à Hong Kong. En 2008, Tom-Skype a été liée à «un énorme système de surveillance en Chine qui monitore et archive certaines conversations par texte sur Internet qui contiennent des mots politiques».
Skype, qui a été acheté par Microsoft en 2011, a du coup été accusé d'être complice de censure et de surveillance. Une lettre ouverte que je soutenais appelait en janvier l'entreprise à, parmi d'autres choses, publier des informations sur Tom-Skype et ses capacités d'espionnage et de blocage de contenu.
Skype a affirmé dans des communiqués passés être impliqué dans la promotion de «politiques publiques efficaces qui aident à protéger la vie privée et la sécurité des gens sur Internet». Mais l'échelle de la surveillance de mots-clés intégrée dans sa plateforme chinoise remet ces affirmations en cause.
J'ai contacté Skype, mais n'ai pas encore eu de retour. L'entreprise a fourni un communiqué à Businessweek disant que sa mission «est de briser les barrières des communications, et de permettre à des conversations d'avoir lieu partout dans le monde. Skype s'implique pour améliorer continuellement la transparence pour l'utilisateur final, où que notre logiciel soit utilisé».
Avec 96 millions d'utilisateurs en Chine, Tom-Skype permet sans aucun doute à des conversations d'avoir lieu. Mais le logiciel semble également aider une forme extreme d'espionnage de masse –surtout si le sujet de la conversation porte sur le sexe, la drogue, la politique, ou les droits de l'Homme.
Ryan Gallagher
Ryan Gallagher est un journaliste qui travaille sur l'intersection entre espionnage, sécurité nationale et vie privée pour le blog Future Tense de Slate.com.
Traduit par Cécile Dehesdin