Monde / Politique

En Virginie, pour Obama, des votes enthousiastes et d'autres par défaut

Temps de lecture : 6 min

Le Président et Bill Clinton étaient à Bristow, à trois jours de l’élection, pour convaincre cet Etat-clé de voter démocrate.

Barack Obama à Bristow, en Virginie, le samedi 3 novembre 2012 / Ferdous Al-Faruque
Barack Obama à Bristow, en Virginie, le samedi 3 novembre 2012 / Ferdous Al-Faruque

On se les caille sévère ce samedi 3 novembre à Bristow, en Virginie. Il n’est pas encore 19h, heure officielle de l’ouverture des portes pour le meeting géant de Barack Obama et Bill Clinton, que les voitures avancent au ralenti et des milliers de personnes sont déjà rassemblées dans des espèces de tas informes, censés être des lignes.

Les électeurs venus en voiture prennent leur mal en patience / Ferdous Al-Faruque

«Je ne fais pas partie de la campagne», prévient un moustachu dans un gilet fluo quand on lui demande dans quelle file se placer, «je ne suis pas en charge de ce bordel».

Au final, 24.000 personnes réussissent à rentrer dans l’amphithéâtre du Jiffy Lube Live, armés de moufles et de couvertures (n’étant pas du coin, j’ai fait confiance aux organisateur qui parlaient d’un meeting à l’intérieur, quand la salle de concert est en extérieur, mais couverte), et le meeting est plus que plein.

Quatre heures dans le froid / Ferdous Al-Faruque

Il était prévu pour le week-end précédent, mais avait dû être annulé pour cause de tempête Sandy, que Bill Clinton évoquera pour souligner le dévouement de Barack Obama à ses concitoyens et rappeler au passage les compliments sur la gestion de la crise du gouverneur du New Jersey Républicain Chris Christie, ainsi que le soutien officiel de l’indépendant Michael Bloomberg.

Trois femmes, trois comtés-clés

Ansley, Emily, Leyla, Debby, et Patty French / Cécile Dehesdin

Bien emmitouflées dans des polaires, trois générations de femmes de la famille French (promis, je ne l’ai pas fait exprès), attendent de voir parler les Présidents. Patty French, sa fille Debby et sa belle-fille Ansley viennent toutes de comtés différents, mais ô combien importants, de Virginie:

La Virginie est en effet essentielle, et pas que pour Mitt Romney. En 2008, Obama a été le premier candidat démocrate présidentiel à remporter cet Etat en 60 ans et 10 Présidents. Il l’avait en plus gagné avec 6,3 points d’avance sur John McCain. Mais cette année, les sondages le donnent au coude à coude avec Romney avec un léger avantage au Républicain (0,3 points d’après la moyenne des sondages locaux réalisée par Real Clear Politics).

Debby veut voir dans la fausse élection tenue à l’école de Loudoun County de sa fille de neuf ans, Emily, une bonne nouvelle: «Les enfants votent généralement comme leurs parents», estime-t-elle. En 2008, Emily et ses camarades ont élus McCain, mais cette année, c’est Obama qui a gagné, à sa grande surprise. Sauf que dans l’indice des élections scolaires, il faut prendre en compte celle que la maîtresse Kara French, l’autre fille de Patty et sœur de Debby, a tenu dans sa classe de maternelle: «11-11», résume Patty, soit le cauchemar d’Obama et Romney.

Très touchés par la crise

La famille French a été très touchée par la crise. Le mari et le frère de Debby ont perdu deux fois leur emploi, dans l’immobilier et l’automobile, et Patty a perdu son travail de vente d'assurances pour les entreprises du bâtiment. Elles n’en veulent pas à Obama, au contraire, estimant qu’il a dû gérer la situation que George W. Bush lui avait laissée. «On ne peut pas tout faire en quatre ans», assure Debby, «en plus il a dû faire une partie de son mandat avec un Congrès contre lui».

Chez les Démocrates aussi on parle beaucoup d’Obamacare, en bien, évidemment. La matriarche des French, la mère de Patty, doit payer 150 dollars par mois pour complémenter Medicare, l’assurance sociale dédiée aux personnes âgées. Ansley, la belle-fille de Patty, est infirmière, et elle apprécie l’Affordable Care Act, après avoir vu dans son métier tant de gens arriver aux urgences pour des problèmes qui auraient pu être traités par des généralistes de ville. (Fin septembre, Romney estimait que les urgences étaient une bonne option pour les gens sans assurance, une position étrange).

Enthousiasme, jeunes et femmes

Après deux heures et demie d’attente, (quatre heures et demie depuis l’ouverture des portes), ponctuées par des vidéos sur les militants de Virginie et l’importance du Get out the Vote effort, Bill Clinton arrive sur scène à 22h30, accueilli par une ovation digne d’une rockstar.

Bill Clinton fait le show / Ferdous Al-Faruque

La foule est enthousiaste pour tous les interlocuteurs, depuis Clinton et Obama jusqu’à deux jeunes activistes locaux, avec des cris particulièrement forts dès que sont évoquées les prêts étudiants, le droit à l’avortement et la loi passée sur l’égalité des salaires («Les femmes constituent la moitié de notre pays et la moitié de l’économie. Vous n’arriverez jamais à construire l’économie en leur retirant leurs droits en même temps», martèle le candidat au Sénat Tim Kaine).

Un premier vote contre Romney

Mais tout le monde n’est pas aussi surexcité. A quelques rangées de la famille French, on vote plus contre Romney que pour Obama. A 36 ans, c’est la première fois qu’Henok Stephanos, tout juste devenu citoyen américain, va voter. Avant d’emménager en Virginie, il vivait à Boston dans le Massachusetts, dont Romney était gouverneur:

«C’est une personne totalement différente maintenant par rapport à avant. Il était un Républicain modéré, mais il a complètement changé et il le nie.»

Henok Stephanos, pour qui l'élection est une affaire de confiance / Cécile Dehesdin

Pour lui, la présidence est une affaire de confiance:

«Je ne veux pas que quelqu’un dise quelque chose parce qu’il pense que c’est ce que je veux entendre. Je ne suis pas toujours d’accord avec Obama, mais au moins il dit ce qu’il pense être juste.»

Comme les French, il estime qu’Obama «ne peut pas changer une décennie en seulement quatre ans, donc il faut lui donner plus de temps».

Le même message que Bill Clinton a tenté de faire passer avec une voix enrouée –«J’ai donné ma voix au service de mon Président»–, estimant que le Démocrate a «fait du bon boulot avec des mauvaises cartes».

Bill Clinton passe le relais à Barack Obama / Ferdous Al-Faruque

Ingénieur en systèmes informatiques pour une entreprise de téléphonie, Henok ne se considère pas vraiment comme Démocrate ni comme Républicain, même si cette année il s’est engagé auprès de la campagne du président-sortant.

Vote noir et mariage gay

A 36 ans, Jeanenne –qui a demandé à ce que je n’utilise pas son nom de famille parce qu’elle travaille comme analyste de budget avec le gouvernement– se considère carrément comme une électrice «indépendante», comprendre ni démocrate ni républicaine, alors qu’elle était plutôt démocrate jusqu’à récemment.

Son principal problème, c’est le mariage gay. «Des unions civiles, d’accord», mais le mariage pour tous, ça la gêne, pour des raisons religieuses.

Dans son église baptiste, où elle va en moyenne une fois par mois, on ne parle généralement pas politique, mais on a quand même abordé une fois le mariage homosexuel. Pour dire quoi?

«On suit ce que dit la Bible! On n’a rien contre Obama, mais on écoute la Bible.»

Elle compte tout de même voter démocrate, comme elle l’a toujours fait, parce qu’en plus de penser que Romney n’arrangera pas l’économie, elle n’apprécie pas ses positions sociétales et sociales:

«Il veut faire des coupes dans trop de programmes [sociaux] dont on a besoins, il est contre le planning familial, j’ai entendu qu’il voulait revenir en arrière sur Roe vs. Wade [la décision de la Cour Suprême rendant légal l’avortement], et je ne suis pas d’accord avec l’idée que l’avortement ne soit pas légal.»

Reste à savoir si les autres noirs américains trouveront, comme Jeanenne, les positions de Romney encore moins appréciables que celles d’Obama. En 2008, Obama avait été choisi par 98% d’entre eux. Les Afro-américains représentent 20% des habitants et des électeurs de Virginie, et dans cet Etat-clé comme dans le reste des Etats-Unis, Obama aura du mal à gagner sans eux.

Cécile Dehesdin

Edit du 5/11: Henok Stephanos a 36 ans, pas 46.

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