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Le soutien d'une célébrité à Obama ou Romney influence-t-il le vote?

Temps de lecture : 7 min

Les célébrités et les élections, c’est comme le café et la santé: les études sur le sujet disent tout et leur contraire.

Scarlett Johansson parle à la convention démocrate à Charlotte, en Caroline du Nord, le 6 septembre 2012. REUTERS/Jason Reed
Scarlett Johansson parle à la convention démocrate à Charlotte, en Caroline du Nord, le 6 septembre 2012. REUTERS/Jason Reed

La créatrice de la superbe série Girls, Lena Dunham, est apparue, jeudi 25 octobre, dans une vidéo humoristique où elle affirme que sa «première fois ne devrait pas être avec n'importe qui» mais avec un «gars unique». La première fois qu'on vote, bien sûr (qu'est-ce qui se passe cette année avec les comparaisons entre le sexe et les élections?)

Dix jours plus tôt, c’étaient Scarlett Johansson, Kerry Washington et Eva Longoria qui demandaient aux femmes de voter Obama, leur rappelant les projets de Mitt Romney pour le planning familial (arrêter son financement), l’avortement (casser la décision Roe vs. Wade), etc.

De son côté, Mitt Romney a droit au soutien de Clint Eastwood, qui s'est rattrapé de son discours gênant à la convention républicaine avec une pub:

Le candidat républicain peut également compter entre autres sur Cindy Crawford, Sylvester Stallone, Jon Voight, Tom Selleck ou Andy Garcia et, depuis le 25 octobre, sur le rockeur Meat Loaf.

Mais le 6 novembre (ou avant pour tous les Américains qui votent «par anticipation»), l’appui de Chuck Norris à Mitt Romney ou les chansons de Bruce Springsteen pour Barack Obama auront-ils un impact sur le vote des Américains?

De nombreuses études ont été réalisées sur le sujet, et en les parcourant, on s’aperçoit rapidement que l’effet des stars sur le vote, c’est un peu comme ceux du café ou du vin sur la santé: les études disent tout et leur contraire.

Ça dépend des études…

Dans un sondage de 2007, le Pew Research Center a demandé aux personnes interrogées si elles seraient plus à même de voter pour un candidat s’il était soutenu par Angelina Jolie, Bill Gates, Jon Stewart, Kanye West ou Tiger Woods, par exemple. Entre 71% et 79% (en fonction de la célébrité) des sondés ont répondu qu’un tel soutien ne ferait aucune différence sur leur vote.

Dans une étude menée sur 800 étudiants en 2010, Michael Cobb, de la North Carolina State University, a lui trouvé que le soutien d’une célébrité n’avait soit pas d’effet sur le score du candidat soutenu, soit un effet négatif.

…et des célébrités

Cette année, en revanche, Anthony J. Nownes, chercheur en sciences politiques à l’université du Tennessee, conclut dans une étude qu’une célébrité contribuant à une campagne politique peut faire aimer davantage un parti, ou le faire moins aimer, en fonction de ce que les électeurs pensent d'elle (n'est-ce pas Lindsay Lohan –qui semble de toute façon faire elle aussi partie des électeurs indécis).

Comme l’explique le site de l’université, Nownes a dit à des électeurs que Jennifer Aniston avait donné une grosse somme d’argent aux Démocrates et le quaterback Peyton Manning aux Républicains, puis étudié leurs réactions. Résultat: le soutien de l’actrice a nui au Parti démocrate dans l’opinion des étudiants, tandis que celui du footballeur américain (qui, il est vrai, est un ancien de la fac) a eu l’effet contraire envers le Parti républicain.

Pour lui, explique-t-il, «si on envisage les partis comme des marques, ces résultats suggèrent qu’une information sur quelle célébrité utilise quelle marque peut affecter l’attitude des gens par rapport à ces marques». Et qu’il faut faire attention à la popularité de la célébrité en question avant de s’adjoindre ses services…

Ce qu’Oprah a changé

Dans le cas d’Oprah Winfrey, ça a été tout bénéf' pour Barack Obama. D’après Craig Garthwaite et Tim Moore, de l’université du Maryland, le soutien d’Oprah au candidat lui a apporté un million de voix [PDF] lors des primaires démocrates de 2008.

Les chercheurs ont observé que les endroits du pays où l'on trouve le plus grand nombre d’abonnements au magazine de la superstar de la télévision américaine étaient ceux qui avaient davantage voté pour Obama aux primaires. Ils ont étudié les mêmes paramètres pour les primaires du Sénat de 2004 dans l’Illinois, pour lesquelles Obama n’avait pas le soutien d’Oprah, sans retrouver cette même corrélation, ce qui suggère un véritable effet Oprah.

Craig Garthwaite donne une piste qui pourrait expliquer les différences entre toutes ces études: après une élection, il est difficile de savoir si le gagnant l'aurait remporté sans le soutien d'une star, ou combien de voix ce soutien a rapporté, autrement qu'en posant la question aux gens, qui peuvent mentir ou rationnaliser leur choix. Oprah étant un cas particulier vu son statut de superstar, sans compter que son magazine a permis d'étudier l'impact de son soutien sans passer par des questionnaires.

De la même manière, leur étude ne s’applique qu’à Oprah, explique-t-il à Kellog Insight:

«On ne peut pas tester [d’autres célébrités]. La question qui se pose est de savoir si la super célébrité d’Oprah veut dire que l’ampleur de son soutien est plus importante que celle d’autres stars, ou que son soutien, et seul le sien, aurait un effet.»

Moi non, mais les autres oui

En même temps, à quel point peut-on faire confiance à ce que les personnes interrogées disent d’elles-mêmes pendant ces sondages?

Dans une étude du Pew Research Center s’intéressant, elle aussi, à Oprah, 69% des sondés affirmaient que son soutien à Obama n’aurait pas d’impact sur leur vote, et seulement 15% qu’elle en aurait un positif, mais 60% pensaient qu'il aiderait la candidature du démocrate.

La chercheuse Jennifer Brubaker s’est elle aperçue que les étudiants se considérant comme républicains ou démocrates estimaient qu'une célébrité n’aurait pas d’influence sur eux, mais en aurait sur une autre personne: c'est le third-person effect. D’après elle, cela peut venir du stigma associé aux célébrités s’ingérant en politique: des Démocrates peuvent soutenir Obama ou Kerry et être d’accord avec des publicités portant leur message, mais trouver que l’ingérence des stars est inutile, et donc prendre leurs distances avec le militantisme de Ben Affleck.

Dans le même temps, «même s’ils savent qu’ils sont au-dessus de ce que Ben pense, ils ne croient pas que les autres le soient aussi. Et donc les autres, qu’ils soient convaincus ou pas par les Démocrates, sont plus impressionnables», analyse-t-elle.

Valerie O’Regan, de la California State University, parvient à la même conclusion: selon son enquête, les jeunes adultes disent qu’ils feront moins confiance au soutien d’une star pour un candidat ou un sujet qu’à celui d’un homme ou d’une femme politique, ou d’une personne qu’ils connaissent. Dans le même temps, ils pensent que le citoyen moyen va plus avoir tendance à écouter une célébrité qu’un homme ou une femme politique, un chercheur ou un expert.

Une utilité autre

Mais si les stars continuent de s’engager en politique, et les candidats de rechercher leur soutien, c’est bien qu’elles doivent servir à quelque chose. D’après l’enquête de Valerie O’Regan, les jeunes pensent que les célébrités ont une influence en ce qu’elles permettent d’attirer davantage l’attention sur un candidat ou un sujet.

Elles permettent également de booster le nombre de personnes assistant à un meeting, d’après l’étude de Michael Cobb, qui avait notamment demandé aux sondés s'ils auraient plus tendance à se rendre à un événement politique si le candidat devait apparaître seul ou avec Madonna.

C'est à ça qu'a servi Katy Perry, qui a donné un concert pour un meeting d'Obama à Las Vegas, dans le Nevada, l'un des swing states de cette élection, vêtue d'une robe-bulletin de vote géant:

Elles peuvent même servir de surrogates, ce rôle d’émissaire personnel du candidat plus souvent endossé par ses lieutenants, ses soutiens politiques locaux ou sa famille, encourageant des gens à venir à un événement de campagne qu’ils auraient laissé filer sans cela, explique The Root. C’est le rôle qu’a cette année Tatyana Ali, alias Ashley Banks dans Le Prince de Bel-Air, pour la campagne Obama: elle a tenu plusieurs meetings sur des campus universitaires, s’adressant notamment aux Africains-Américains.

Professeure de communication à l’université du Maryland, Kathleen E. Kendall a elle expliqué au site The Diamondback que les stars servent également à aider les électeurs à s’identifier au candidat:

«On trouve agréable le fait que le candidat aime l’acteur et que l’acteur aime le candidat, parce que désormais on sait qu’on a quelque chose en commun.»

Les stars servent aussi, et peut-être surtout, à doper les finances des candidats. Soit par des dons conséquents –1 million de dollars de Morgan Freeman pour la campagne d’Obama–, soit en organisant ou participant à des dîners de levée de fonds. 2 millions ont ainsi été récoltés lors d’un dîner chez l’actrice Sarah Jessica Parker (le ticket d’entrée était de 40.000 dollars), près de 15 millions lors d’un autre dîner avec George Clooney...

Le backlash antistars

Si les études ont donc des avis divergents sur l’effet du soutien d’une star sur la candidature d’un politique, elles se rejoignent sur l’effet de ce soutien sur la star elle-même: négatif.

Dans l’étude d’Anthony J. Nownes sur Jennifer Aniston ou Peyton Manning, le chercheur du Tennessee a trouvé que les gens qui n’étaient pas républicains n’ont pas aimé le soutien de Manning au parti, et ont changé d’opinion sur lui en conséquence. Pareil pour Jennifer Aniston, d’où Nownes concluait que le conseil à tirer de son enquête pour les stars serait de «se faire discrètes».

Michael Cobb est parvenu au même résultat, confirmé expérimentalement par Eva Longoria récemment. L’actrice tient un rôle important dans la campagne Obama, pour laquelle elle participe notamment à de nombreux évènements dédiés aux électrices ou aux Latinos. Mi-octobre, elle a retweeté un tweet qui lui était adressé et disait:

«Je ne comprends pas pourquoi une femme ou un membre d’une minorité peut voter pour Romney. Il faut être stupide pour voter pour un con aussi raciste et misogyne.»

Elle a rapidement annulé son RT, mais pas avant que les médias conservateurs s’en saisissent pour la dénoncer. L’actrice a ensuite tweeté pour s’excuser:

«Désolée si des gens ont été offensés par ce retweet. Clairement ce ne sont pas mes mots ni mon point de vue personnel. Je respecte tous les Américains #Libertéd’opinion»

Elle a précisé ensuite qu’elle trouvait les femmes républicaines «belles, fortes et intelligentes».

L’actrice Mila Kunis a remis les choses en perspective lors d’une récente interview avec Esquire, magazine qui l’a élue «femme la plus sexy de 2012». Elle explique qu’elle s’intéresse beaucoup à la politique, et que «la façon dont les Républicains attaquent les femmes» est très insultante. Le journaliste finit par lui dire que «certaines personnes n’aiment pas entendre des célébrités parler de politique», et Kunis répond:

«Je ne pense pas être une célébrité. Je travaille comme actrice. Je pense qu’il y a une différence.»

Cécile Dehesdin

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