Aux-Etats-Unis, les élections se jouent aussi en cuisine. A la fin de l'été, la recette de cookies de Michelle Obama, testée et approuvée par des millions de ménagères américaines, a remporté le «Presidential Cookie Debate» —une tradition initiée par le magazine Family Circle en 1992, qui avait alors vu Barbara Bush et Hillary Clinton s'affronter dans la première «guerre des spatules».
Certaines chaînes de fast-food avouent une coloration politique: on se souvient de la récente prise de position contre le mariage gay de Chick-fil-A, ou de l'augmentation du prix de la pizza chez Papa John's, son directeur incriminant la réforme du programme de santé d'Obama. Pour acheter en fonction de ses affinités politiques, le consommateur américain peut se référer à la liste des marques établie par Shop Your Politics.
Le blog Desigrub colle lui sur l'âne démocrate et l'éléphant républicain les étiquettes des marques soutenant les deux partis: Starbucks, Whole Food Market ou Costco pour le premier, McDonald' ou Wendy's rejoignant Chick-fil-A ou Papa John's pour le second. Et plus récemment, c'est Pizza Hut qui avait proposé aux participants du deuxième débat présidentiel de gagner une pizza par semaine pendant trente ans, avant de renoncer après avoir été accusé de tourner en dérision le système démocratique américain.
Simple coup de pub des marques ou réel intérêt et impact mesurable? L'expérience pratiquée depuis plus d'une décennie par la chaîne de supérettes 7-Eleven, qui compte 180 millions de clients mensuels, s'inscrit en partie dans la seconde catégorie.
En France, les élections présidentielles se débattent accoudé au comptoir, devant une tasse de «petit noir» bien serré. Chez 7-Eleven, on emporte son café –plus de 1 million par jour—, mais cela n'empêche personne de donner son avis.
«Dans les années 1990, nous nous étions amusés à imprimer nos tasses jetables de questions plutôt orientées vers la culture populaire: nos clients étaient invités à donner leur avis en votant pour ou contre», explique la responsable de la communication de la chaîne, Margret Chabris. En 2000, les têtes pensantes de l'entreprise texane ont eu l'idée de proposer une forme de sondage «non officiel, non scientifique», le «7-Election Presidential Coffee Cup Poll»: tout au long du mois de septembre, les consommateurs étaient invités à verser leur boisson dans un récipient annonçant «I Vote for Bush» ou «I Vote for Gore». Une version neutre était également proposée.
Obama très largement devant
Les résultats obtenus par les millions de consommateurs qui s'étaient prêtés au jeu (la chaîne est présente dans 34 Etats) se sont avérés particulièrement proches de ceux des élections, avec les deux candidats au coude-à-coude. Quatre ans plus tard, l'opération était renouvelée et révélait un résultat de 51% des voix pour Bush contre 48% pour Kerry, exacte prévision des chiffres à venir. Décortiqué, le pourcentage de «voix» obtenues dans chaque Etat ne s'éloignait que de quelques points des résultats officiels. Idem en 2008, où Obama l'emportait avec 52% contre 46% à McCain, quasiment le score national.
La campagne de cette année gagne en ampleur: étalée sur deux mois, elle s'enrichit d'un site Internet proposant widgets et gadgets variés, affichant les mises à jour régulières des résultats, affinés par états et par villes (un système fruit de la collaboration entre les départements marketing & information de 7-Eleven et les publicistes d'Omnicom). «Les tasses 7-Elections représentent 20% des achats de nos boissons chaudes –goûts et tailles confondus—; nous avons fait fabriquer un nombre égal de tasses bleues et rouges, en quantité suffisante pour ne pas avoir à lancer de réassort» , explique Margret Chabris.
Le 1er novembre, à cinq jours de l'élection, l'écart était encore de 59% contre 41% en faveur du président, pourtant au coude-à-coude avec son adversaire dans les vrais sondages nationaux; et dans les swing states, Obama n'était à la peine que dans le Wisconsin et le New Hampshire, et remportait facilement le Colorado, l'Iowa, la Floride, l'Ohio ou la Virginie. Romney n'était donné devant que dans l'Idaho et en Virginie occidentale, deux Etats qu'il devrait facilement remporter le 6 novembre.
«Non-officielle et non scientifique»
Est-ce à dire que le sondage 7-Eleven aurait perdu de son pouvoir magique, et que sa clientèle serait devenue exagérément démocrate? Il faut pointer que les résultats nationaux ne portent donc que sur 34 Etats, et que sur les seize où la chaîne n'est pas présente, quinze avaient voté républicain en 2008; ou encore que les résultats ne tiennent pas compte des tasses neutres, étiquetées «No Opinion/Another Party/Undecided/None-of-Your-Business», alors que «l'abstention» du sondage est souvent plus forte que la moyenne (59% en 2000 ou 65% en 2004, par exemple).
Mais ces deux facteurs existaient déjà les fois précédente. Nancy Smith, vice-présidente du marketing de la chaîne, note elle que «l'âge moyen de notre clientèle se situe en dessous de la moyenne nationale. Certaines sources ont récemment suggéré que cette tranche de population, qui communique principalement par téléphone portable, pourrait être sous-estimée par les sondeurs». Un avis partagé par Will Oremus de Slate.com, qui s'est étonné que des campagnes de sondages politiques puissent être exclusivement menées par le biais de téléphones filaires, en sachant que seul un foyer sur trois en est équipé aux Etats-Unis.
De là à expliquer un écart de quasiment vingt points entre 7-Eleven et les instituts de sondage, et à croire le premier plus fiable, il y a bien sûr une marge énorme... «Impossible de spéculer sur la question. Nous insistons sur le fait que la campagne 7-Election est non-officielle et non scientifique, rappelle Margret Chabris. Tout ce qui nous intéresse, c'est que nos consommateurs se divertissent. Le fait qu'à trois reprises les résultats aient reflété à un ou deux points près les résultats de vote à l'échelle de la nation ne rend l'opération que plus attirante.»
Elodie Palasse-Leroux
>> A lire également: «Elections américaines: qui gagne dans les sondages alimentaires?», sur Quand l'appétit va, le blog bien-manger de Slate.