Monde / Politique

USA 2012: Le grand soir de Romney

Temps de lecture : 7 min

Le candidat républicain a connu son premier succès lors du premier débat présidentiel. Obama a intérêt à se ressaisir et à briser la glace.

Mitt Romney, son épouse Ann et son fils Matt, avant le débat le 3 octobre 2012. REUTERS/Brian Snyder
Mitt Romney, son épouse Ann et son fils Matt, avant le débat le 3 octobre 2012. REUTERS/Brian Snyder

Quand Barack Obama a fait son entrée dans la salle des débats de l’université de Denver mercredi soir, l’air était calme, il faisait bon. Quand il en est ressorti, le vent était déchaîné et la température avait dégringolé de 20°C. Coïncidence, cela correspond justement au pourcentage d’électeurs indécis qui ont trouvé que le président s’était sorti du débat de façon honorable.

Deux sondages différents menés par CNN et CBS auprès d’électeurs indécis montrent qu’Obama n’a pas convaincu. Dans le celui de CBS, 46% des personnes interrogées estiment que Romney s’en est mieux tiré. Seules 22% trouvent qu’Obama a tiré son épingle du jeu.

Selon le sondage de CNN, 67% considèrent que la performance de Romney était bonne. Seuls 25% des sondés ont pu en dire autant d’Obama. Dans une autre enquête conduite auprès d’un groupe de «Wal-Mart Moms» [mères au foyer] de Las Vegas, Romney fait également un excellent score.

En termes d’image il a gagné 20 points, contre 5 seulement pour Obama. Beaucoup de femmes avaient «en quelque sorte ignoré Mitt Romneyselon l'analyse d'une équipe de sondage bipartisane.

«Après l’avoir vu ce soir, beaucoup se sont repenchées sur le sujet et veulent en savoir plus sur lui. Elles ont été un peu déçues par la performance du président Obama. Il n’a pas réussi à les convaincre que les quatre prochaines années pourraient être différentes ou meilleures.»

Les sondages sur le vif ne représentent qu’un petit échantillon de population et ne reflètent qu’une impression momentanée, mais c’est exactement ce dont avait besoin le camp de Romney. Ce débat ponctuait pour le candidat républicain trois longues et difficiles semaines. Ses conseillers cherchaient simplement une pause dans la course –un moment qui permettrait aux électeurs de se faire une nouvelle opinion de leur poulain. Ils l’ont eu mercredi soir.

Agressif, mais...

Romney avait deux défis à relever. Il lui fallait expliquer pourquoi le président avait échoué, tout en paraissant assez séduisant pour convaincre les électeurs que ses politiques à lui avaient des chances de réussir. Le risque était qu’il s’emmêle les pinceaux. Il aurait pu paraître trop agressif et rebuter les gens. Romney a sans conteste été agressif. «Vous avez eu quatre ans», a-t-il asséné au président pendant le débat sur la réduction du déficit.

«Vous aviez annoncé que vous réduiriez le déficit de moitié. Quatre ans ont passé. Nous avons toujours des déficits de plusieurs billions de dollars. Vous avez trouvé 4 000 milliards de dollars pour réduire ou pour vous rapprocher d’un budget équilibré, sauf que nous avons toujours des déficits de plusieurs billions chaque année. Le travail n’a pas été pas fait.»

Ce défi a semblé galvaniser Romney, presque comme s’il y prenait du plaisir. Il avait l’air d’être aux manettes, comme si sa place était là, sur scène, aux côtés du président. Les électeurs interrogés par CBS après le débat ont été considérablement plus nombreux à estimer que Romney se souciait d’eux.

«Oui, je peux vous aider»

Avant le débat, seulement 30% avaient déclaré penser que Romney «s’intéresse à vos besoins et à vos problèmes». Après, 63% estimaient qu’il éprouvait plus d’empathie pour les autres.

Il était clair dès le début du débat que Romney avait opté pour plus de gentillesse et de douceur. Il a évoqué sa rencontre avec deux électrices en grandes difficultés économiques.

«J’étais à Dayton, Ohio, et une femme m’a attrapé par le bras et m’a dit: “Je suis au chômage depuis mai. Pouvez-vous m’aider?” Ann hier était à un meeting à Denver, et une femme est venue la voir avec un bébé dans les bras et lui a dit: “Ann, mon mari a eu quatre emplois en trois ans, à mi-temps. Il a perdu son dernier emploi, et nous venons juste de perdre notre maison. Pouvez-vous nous aider?” Et la réponse est oui, nous pouvons faire quelque chose, mais il faudra prendre un autre chemin.»

Les électeurs à qui CBS a demandé si le président se souciait davantage des gens ont été plus nombreux à répondre oui. Ils étaient 53% en début de soirée, et 69% à la fin à estimer qu’Obama se souciait d’eux. Cela a été l’unique moment où Obama, qui le reste du temps a semblé mou et indifférent, a été à son avantage.

Le syndrome du Président

Quand Romney parlait, Obama regardait ses notes et souriait, ce qui faisait passer un message quelque part entre une perplexité sans conviction et «Je n’arrive pas à croire que je doive écouter ce type

C’est peut-être ce qui se passe quand on est président et qu’on n’a pas l’habitude de s’entendre dire qu’on se trompe.

Dans les débats portant sur le projet fiscal de Romney, sur le système de santé et sur Medicare, Obama n’a pas imposé ses arguments avec autant de force que son rival.

Parfois, le président semblait croire qu’il lui suffirait pour convaincre de faire appel à la capacité de déduction des électeurs.

«Est-ce que quelqu’un pense que notre gros problème a été trop de surveillance et de régulation de Wall Street? Dans ce cas, le gouverneur Romney est votre candidat

Un moyen plutôt tortueux d’exprimer une chose assez simple. Obama n’a pas cessé de le faire.

Le président a paru troublé par le fait que Mitt Romney était bien plus proche de l’homme qui avait remporté le poste de gouverneur du Massachusetts que du vainqueur des primaires républicaines.

Lors d’une discussion sur les réductions d’impôts, Romney n’a eu de cesse de nier que les réductions qu’il propose se monteraient à 5.000 milliards de dollars.

Mais est-ce que les Républicains ne devraient pas se targuer de réduire les impôts? Ce que Romney voulait dire, c’était que ses réductions de 20% à tous les niveaux seraient une opération blanche du point de vue des recettes et n’augmenteraient en rien le déficit. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’y aura pas aussi de grandes réductions d’impôts.

Romney a aussi paru modérer son point de vue sur la régulation, particulièrement au sujet de la loi Dodd-Frank.

Il s’était montré extrêmement critique à l’égard de cette loi, mais à Denver mercredi soir, il semblait vouloir dire que son gros problème ne concernait pas tant la régulation en soi que le fait qu’elle manquait de clarté.

Une soirée «au petit goût de victoire»

Romney s’est vanté d’avoir mis en place le système de santé du Massachusetts, de savoir travailler avec les démocrates, a accusé Obama d’avoir «fait une fleur aux banques de New York» et a insisté sur le fait qu’il ne réduirait pas les impôts des riches.

«Je n’ai pas l’intention de mettre en place d’immenses réductions d’impôts et de réduire les –les recettes de l’Etat» a expliqué Romney, peu fidèle à l’image du «sévère conservateur» autoproclamé des 18 derniers mois.

A une époque, cela aurait pu contrarier les conservateurs, mais comme le dit le stratège républicain Michael Murphy, ceux-ci «ont connu le goût de l’échec ces deux dernières semaines».

Ils ne vont pas se plaindre à présent après une soirée «au petit goût de victoire».

L’argument d’Obama –qu’il ne manquera pas d’expliciter largement ces prochains jours– a été que les calculs de Romney ne tiennent pas debout, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas entré dans les détails.

Romney promet de réduire les impôts et d’augmenter le budget de la défense tout en équilibrant le budget. Comment résout-il cette équation? Il ne le dit pas vraiment.

Si le président avait été au mieux de sa forme, il aurait pu rétorquer que Romney aurait obtenu la différence en essorant les 47% d’Américains de qui il parlait avec tant de dérision dans cette fameuse vidéo.

La réplique probable d'Obama

Mais le président n’a pas très clairement usé de cet argument. Le moment où il s’en est le plus rapproché est lorsqu’il a été question de déléguer [l’administration du système de soin] Medicare aux Etats, lorsqu’il a déclaré:

«Maintenant, vous savez, cela peut sembler sans grande importance quand c’est juste –vous savez, des chiffres sur le papier, mais si on parle d’une famille qui a un enfant autiste et qui dépend de Medicaid, alors c’est un gros problème. Et les gouverneurs sont inventifs

Franchement pas un plan d’attaque.

L’équipe du président va immédiatement commencer à matraquer Romney sur son manque de précision.

Romney a promis la lune, mais quand on examine les détails (ou l’absence de détails), il n’y a aucun moyen de faire aboutir le calcul.

Là encore, le président a marqué un point en s’appuyant sur cette faiblesse.

«Je crois que les Américains devraient se demander, est-ce que le gouverneur Romney garde secrets tous ces plans de remplacement parce qu’ils sont trop bons? Est-ce –est-ce parce que quelque part, les familles de la classe moyenne vont en tirer trop de bénéfices? Non, la –la raison est que quand nous réformons Wall Street, quand nous nous attaquons au problème des maladies préexistantes [à la contraction d’une assurance-santé], eh bien vous savez, ce sont des problèmes difficiles, et il nous faut faire des choix. Et les choix que nous avons faits ont été ceux qui, au final, bénéficient aux familles de la classe moyenne de tout le pays

Cela fut la meilleure soirée de la campagne de Mitt Romney. Maintenant, il va devoir surfer sur cette vague.

Dans le passé, les débats n’ont pas fait une impression très pérenne sur les électeurs. Et il n’y a pas eu de «moment Romney» que les électeurs ont pu garder en mémoire et se repasser le lendemain au bureau.

Romney a paru compétent et maître de la situation, mais comment faire passer le message aux autres électeurs?

Peut-être le simple fait que beaucoup d’Américains qui le regardaient pour la première fois aient vu autre chose qu’un millionnaire blasé suffira.

Mais sa réputation de malléabilité idéologique pourrait bien aider l’équipe d’Obama à accuser Romney d’être une nouvelle fois en train de se réinventer un personnage.

Ce qui débouchera sans doute sur une série d’accusations brutales sur son aptitude à dire la vérité.

A mesure que la campagne s’avance dans le mois d’octobre, le président va devoir se ressaisir, briser la glace et faire monter la température.

John Dickerson

Traduit par Bérengère Viennot

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