«Citus, Altius, Fortius» (plus vite, plus haut, plus fort). La devise olympique convient sans aucun doute aux athlètes qui s'entraînent pour les Jeux, mais toute nation en quête de gloire olympique serait bien avisée de s'inspirer de celle-ci: «Maior, Ditiores, Communistarum» (plus grand, plus riche, communiste).
La défaite est certes toujours possible, quel que soit l'événement sportif, mais les facteurs distinctifs des grandes puissances olympiques sont clairement identifiables, et il est étonnamment facile de prédire quels pays seront les grands favoris des Jeux.
Peu avant les Jeux olympiques de Sydney (2000) , deux articles de recherche en économie sont parus à quelques jours d'intervalles; tous deux s'intéressaient aux facteurs déterminants l'obtention d'une médaille d'or. Fait remarquable, les chercheurs sont pour l'essentiel parvenus à la même conclusion quant aux caractéristiques propres aux nations championnes olympiques. Depuis, les principaux auteurs de ces articles, Andrew Bernard (Tuck School of Business de Dartmouth) et Daniel Johnson (Colorado College) ont utilisé ces facteurs pour prédire l'issue de chacun des Jeux; et ce avec une précision pour le moins étonnante.
PIB et population
Johnson explique:
«En 2000, lorsque nous avons comparé [l'attribution de médailles] aux résultats escomptés, nous pensions avoir commis une effroyable erreur. Le coefficient de corrélation était de 0,96. Un modèle économique standard ne permet pas d'obtenir de tels résultats»
Mais ce chercheur a vite compris que sa surprise n'était pas justifiée, car il est particulièrement simple de prédire les résultats olympiques dans leur ensemble. Les facteurs les plus importants sont -de loin- la population du pays et son produit intérieur brut (PIB) par habitant.
Ces modèles ne s'appuient pas sur les athlètes ou sur les disciplines, mais sur les performances des équipes nationales dans leur ensemble. Emily Williams, titulaire d'un MBA (obtenu à la Tuck School of Business) et doctorante à la London Business School précise:
«Les athlètes olympiques sont semblables à des machines sophistiquées. Plus il y a de personnes, plus il y a de machines. Et plus il y a de ressources par habitant, plus le pays concerné peut investir dans ces machines pour en faire des athlètes olympiques»
Elle a repris les rênes des recherches portant sur le modèle d'Andrew Bernard, et cherche à prédire les résultats des Jeux de Londres. C'est avant tout en raison du PIB que les Etats-Unis occupent une position presque insurmontable dans le classement du nombre de médailles (2.296 en tout) –tandis que le deuxième pays de la liste (la Russie/Union soviétique) n'en totalise que 1.327. (La performance historique de la Russie pourrait être jugée plus impressionnante, son PIB et sa population étant bien inférieurs à ceux des Etats-Unis –et elle pourrait nous permettre de comprendre comment certaines nations parviennent à rivaliser avec des adversaires disposant d'un meilleur potentiel).
Ces facteurs de réussite peuvent sembler évidents, mais un pays dispose toutefois d'autres moyens de prendre le dessus sur ses adversaires. Organiser les Jeux, par exemple. Jouer à domicile comporte des avantages (moins de voyages, bonne connaissance des infrastructures), et les pays organisateurs présentent généralement plus d'athlètes; ils ont par ailleurs tendance à investir plus d'argent dans le sport, toutes disciplines confondues.
Que les Jeux s'avèrent profitables ou non, ils peuvent faire figure de signal fort pour un pays désirant prouver qu'il a lui aussi sa place parmi les grandes puissances économiques mondiales. Et outre la construction de stades resplendissants, ce signal passe par la qualification d'athlètes de haut niveau. Ainsi la Grèce a gagné seize médailles lorsqu'elle a organisé les jeux (2004), mais seulement quatre à Pékin (2008).
Le communisme forme des champions
Les deux articles de recherche cités plus haut ont mis en exergue un autre facteur permettant de figurer en bonne place au tableau des médailles, et il est un peu plus surprenant: le communisme. Pendant la Guerre froide, du temps où les médailles n'étaient pas seulement une question de fierté nationale mais aussi de supériorité idéologique, les gouvernements communistes (Union soviétique, Allemagne de l'Est) se montraient beaucoup plus efficaces dans l'allocation des ressources de l'Etat à leurs équipes sportives, qu'ils transformaient en véritables écuries à champions. Ils dépassaient ainsi systématiquement les prévisions se basant sur le nombre d'habitants et sur le PIB. Et ce phénomène n'était pas l'apanage du Bloc de l'est. Cuba a gagné plus de deux fois plus de médailles olympiques que le Brésil, tout en ne disposant, en proportion, que d'une fraction de sa richesse et de sa population.
Etant donné ces facteurs -taille, richesse, organisation des Jeux, communisme (ou parti unique)- l'impressionnante performance de la Chine aux Jeux de 2008 (cent médailles, dont cinquante-et-une en or) n'a rien de bien surprenant. «On s'attendait presque à ce qu'ils fassent carton plein», souligne Johnson. La Chine a d'ailleurs surpassé les prévisions des chercheurs. Le modèle de Johnson prévoyait soixante-dix-neuf médailles pour la Chine en 2008; celui de Bernard, quatre-vingt-une. Selon Johnson, la Chine «a toujours été le pays le plus imprévisible».
Le sport: une question de priorités
Le seul pays rivalisant avec la Chine en termes de population (l'Inde) a toujours fait partie des nations olympiques les moins performantes, avec un total de vingt médailles gagnées aux Jeux d'été. Elle égale la Slovaquie, pays indépendant depuis 1993 seulement, et dont la population ne représente que 0,4% de celle de l'Inde. La plus grande démocratie du monde n'a jamais fait du sport une priorité budgétaire. Par ailleurs, les sports dans lesquels les Indiens excellent au niveau international, comme le cricket ou le squash, ne sont pas pratiqués aux Jeux olympiques. Le modèle de Johnson prévoit sept médailles indiennes en 2012; le pays n'en a toutefois gagné que trois à Pékin.
Un pays surpasse systématiquement les prévisions: l'Australie, qui est arrivée en tête du classement des médailles par habitants lors des trois derniers Jeux. Certes, le sport a toujours fait partie de la culture australienne, et 85% des habitants du pays vivent à moins de cinquante kilomètres de l'océan, ce qui pourrait expliquer leurs nombreuses victoires dans les disciplines de la natation.
Mais il existe une autre explication, qui n'étonnera sans doute personne: en 1976, aux termes de Jeux particulièrement décevants (aucune médaille d'or), le gouvernement australien a lancé un programme centralisé d'entraînement de très grande envergure (directement inspiré des académies de jeunes sportifs du Bloc de l'Est); il s'agissait de renouer avec la gloire olympique. En prévision des Jeux de Sydney (2000), le pays a investi vingt millions de dollars dans des recherches destinées à améliorer les performances de ses athlètes. L'Australie est une démocratie, mais depuis les années 1980, son approche de la préparation olympique est presque soviétique. Elle compte parmi les dix premières nations au tableau des médailles depuis 1992, et elle s'est dépassée lors des Jeux de Sydney (cinquante-huit médailles).
Alors qui remportera les Jeux de Londres?
Reste à savoir quelles sont les prévisions des modèles pour les Jeux de Londres. Johnson table sur les Etats-Unis pour la première place, avec 99 médailles. La Russie, à qui il a attribué onze médailles de trop lors des derniers Jeux, retrouvera selon lui la deuxième place avec 82 récompenses. La Chine prendra la troisième place avec 67 médailles, mais remportera plus d'or que la Russie (ce chiffre serait néanmoins décevant après l'exploit des Jeux de Pékin).
La Grande-Bretagne sera avantagée par son statut d’organisatrice, et prendra la quatrième place avec quarante-cinq médailles. Cette année, le communisme occupe une place moins importante dans l'équation de Johnson, car il juge l'échantillon trop réduit dans le monde de l'après Guerre froide; il pourrait être intéressant d'observer les sportifs cubains et vietnamiens afin de savoir si leurs performances vont s'en ressentir.
Williams utilise la formule mise au point par Bernard, qui s'est avérée plus précise par le passé (parce qu'elle tient compte des vainqueurs de l'année précédente, ce qui est de loin le meilleur indicateur du nombre potentiel de médailles). Elle classe les mêmes pays aux quatre premières places, mais dans un ordre différent. Williams attribue cent-trois médailles aux Etats-Unis, suivis par la Chine (quatre-ving-quatorze) et la Russie (soixante-sept).
Ses prévisions sont plus optimistes quant à la Grande-Bretagne (dont elle est originaire) avec soixante-deux médailles, ce qui constituerait son meilleur résultat depuis les Jeux de Londres de 1908 (où elle avait raflé la moitié des médailles).
Un petit nouveau vient par ailleurs de faire son apparition dans le monde des prévisions de médailles: un groupe d'économistes de Goldman Sachs. Ils ont élaboré leur propre tableau des médailles potentielles en utilisant une série de facteurs tels que «les conditions politiques, la stabilité macro-économique, les conditions macro-économique, le capital humain, la technologie et l’environnement micro-économique». Eux ont attribué cent-huit médailles aux Etats-Unis, quatre-vingt-dix-huit à la Chine, soixante-quatorze à la Russie et soixante-cinq à la Grande-Bretagne.
Le classement des médailles, actualisé après chaque médaille, ici
Aussi précis ces modèles soient-ils, c’est toujours l’imprévu qui pimente les Jeux. Voir Michael Phelps écraser le reste des nageurs du monde dans une piscine olympique est divertissant pour un temps –mais sans la possibilité d’une défaite, qui prendrait encore la peine de regarder l’épreuve? Pour Williams, le phénomène le plus intéressant des Jeux des prochaines années ne sera pas forcément l’essor de la Chine; elle table sur la progression de petits pays en développement dans la course aux médailles.
Joshua E. Keating
Traduit par Jean-Clément Nau