C'est le tabou dans le tabou: presque toujours, l'inceste est tu, parce que personne n'a envie d'en entendre parler. Pourtant, les viols ou attouchements sexuels incestueux sont légion: on estime que 7 à 10% des enfants âgés de 9 ans en ont déjà été victimes, soit deux à trois enfants par classe de CM2. Pourquoi ces histoires sont-elles étouffées par un silence quasi-systématique? C'est la question que pose la journaliste Charlotte Pudlowski (ancienne rédactrice en chef de Slate.fr) dans la deuxième saison du podcast Injustices, intitulée Ou peut-être une nuit et produite par le studio Louie Media.
La découverte
L'histoire commence lorsque la mère de Charlotte Pudlowski lui confie au détour d'une conversation avoir été violée par son propre père dans sa jeunesse. «Pendant des semaines, je ne lui ai posé aucune question. Je ne savais pas encore que c'était le destin de toutes les histoires d'inceste. Personne ne veut les entendre. Le tabou de l'inceste n'est pas de le commettre mais de le dire. Et ce qui m'a fait taire d'abord, je crois, c'est la répugnance. J'avais honte. J'avais peur qu'une perversion coule en nous, que ça me salisse», raconte Charlotte Pudlowski.
Mais très vite, le silence devient insupportable pour celle qui a fait de la parole son métier. Alors elle questionne sa mère, ses proches, les amis d'amis croisés dans des dîners en ville: absolument tous ont une histoire d'inceste à raconter, à propos d'eux-mêmes ou de leurs proches. Au même moment, Charlotte Pudlowski réalise que l'inceste habite presque toutes les œuvres artistiques qu'elle lit, regarde ou écoute, elles sont partout et viennent à elle sans cesse. C'est la stupéfaction. Il lui faut enquêter pour comprendre comment ce phénomène peut se produire à une si grande échelle sans que le cercle de la violence et de la domination ne soit jamais vraiment brisé, sans que ces histoires soient racontées.
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Les mécanismes du silence
Pendant deux ans, la journaliste interroge des victimes d'inceste et des expertes comme la psychiatre et psychotraumatologue Muriel Salmona, l'anthropologue Dorothée Dussy –autrice du Berceau des dominations, ouvrage de référence sur les mécanismes liés à l'inceste– ou encore Isabelle Aubry, présidente de l'association Face à l'inceste, anciennement association internationale des victimes de l'inceste.
Toutes racontent, expliquent, décortiquent les mécanismes du silence autour de la question de l'inceste et les obstacles qui empêchent les victimes de parler: peur d'avoir inventé l'agression, de ne pas être crue, de perdre ce qu'elles croient être de l'amour de la part du père, du grand-père ou du frère qui a commis le viol, peur aussi d'aller contre la loi du silence instaurée par la reste de la famille, qui souvent n'ignore pas complètement ce qu'il se passe. Peur enfin d'une justice qui remet en cause la parole des enfants depuis le fiasco de l'affaire Outreau.
«C'est tout ce silence qui cimente les murs de solitude des victimes. Si personne ne parle, elles ne peuvent pas s'unir», formule joliment Charlotte Pudlowski dans ce documentaire bouleversant, à la mise en son toute en subtilité de la réalisatrice Anna Buy et du compositeur Jean Thevenin. À la fois difficile à écouter et absolument nécessaire, cette série en six épisodes questionne notre propre aveuglement autour de l'inceste et interroge puissamment l'ordre social. Il faut à tout prix dépasser sa peur de se confronter au sujet de l'inceste et faire ce premier pas de l'écoute pour briser le cercle vicieux du silence et de la honte.