Bienvenue dans Anaïs regarde la télé. Le principe de cette chronique hebdomadaire est simple: son autrice s'appelle Anaïs Bordages et parfois, elle regarde la télé.
En France, on n'a peut-être pas de pétrole, mais on a de très bonnes drag queens. Performant une vision exagérée et extravagante de la féminité, ces figures fabuleuses de la communauté LGBT+ sont là pour nous rappeler que le genre est une construction –et nous en mettre plein la vue.
Créatives, drôles, et impertinentes, elles sont le plus souvent perchées sur des talons de dix-huit centimètres, et affublées de perruques plus lourdes qu'un spectacle de Michel Leeb. Elles multiplient les talents (comédie, mode, maquillage, danse) et les références à la pop culture, se moquent malicieusement des conventions et n'hésitent pas à faire passer des messages politiques à travers leurs performances.
«Elles» sont bien souvent des hommes trentenaires (même si l'on compte aussi beaucoup de femmes trans et personnes non-binaires dans la communauté) capables d'être plus bonnasses que je ne le serai jamais. Elles se transforment en œuvres d'art vivantes et maîtrisent parfaitement leurs cinquante-huit couches de maquillage alors que je ne sais même pas faire un (1) trait d'eyeliner droit. Bref, les drag queens ont plus de talents que Picasso, Coluche et Coco Chanel réunis.
Créée en 2009 et présentée par RuPaul, la télé-réalité américaine «RuPaul's Drag Race» a propulsé ces artistes habitués des bars gays en icônes de la pop culture mainstream. Dans cette compétition, les queens s'affrontent semaine après semaine lors d'épreuves faisant appel à leurs divers talents. En pleine expansion, le programme a récemment fait essaimer tout un tas de nouvelles versions internationales: après la Thaïlande, les Pays-Bas, le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie ou l'Espagne, c'est enfin à notre tour.
Depuis le 20 juin, la mouture hexagonale «Drag Race France» met ainsi en compétition des drag queens 100% bleu blanc rouge (et Lolita Banana, qui est mexicaine), venues de différentes régions françaises. Étant obsédée par la franchise depuis longtemps, j'ai trouvé en «Drag Race France» tous mes vœux exaucés. C'est l'alliage[1] du spectacle à l'américaine, et de tout ce qu'il y a de plus beau dans notre culture franchouillarde. C'est comme trouver un resto au Texas qui fait des burgers à la fourme d'Ambert. C'est comme la fois où les Plastiscines ont joué dans Gossip Girl, mais en vachement, vachement mieux.
Rayonnement du génie français
Soyons honnêtes, si «Drag Race France» avait été nulle, je l'aurais sans doute défendue par pur chauvinisme. Mais quel soulagement de constater que l'émission est en fait de très bonne facture, mêlant habilement la structure emblématique de la version originale avec des références purement françaises. Lorsque j'ai entendu la Big Bertha prononcer les mots «pet furtif», j'ai versé des larmes de joie. Et lorsque le premier lip sync (où s'affrontent les deux moins bonnes queens de l'épisode) s'est fait sur «Prière païenne» de Céline Dion, j'ai su que l'émission de télé parfaite existait, et que j'étais en train de la regarder.
«Drag Race France», c'est la preuve irréfutable de notre génie gaulois.
Le jury, composé de Kiddy Smile, de Daphné Bürki, et de la drag queen et présentatrice Nicky Doll, est pointu et exigeant. Dans la tradition de «Drag Race US», il nous sert des jeux de mots merveilleusement nazes comme «Elle Martinique tout», ou «Pour certaines on dit oui, pour d'autres on diverge». Je ne m'en remets toujours pas.
Côté invités, l'émission s'assure également de faire rayonner le génie français: Jean-Paul Gaultier, Marianne James, Chantal Thomass ou encore Bilal Hassani. Et ça ne fait que commencer: imaginez si l'émission invitait Amanda Lear, Christiane Taubira, ou même Mylène Farmer!! Imaginez un crossover entre «Drag Race» et la «Star Ac'», avec Armande Altaï et Kamel Ouali dans le jury!!!
Fierté nationale
Certains sont fiers d'être français pour la gastronomie, la richesse de la langue, la mode… Moi, je suis fière d'être française pour «Drag Race France», une des rares émissions de la franchise à faire participer une drag queen à barbe (La Big Bertha), une queen trans (La Briochée), et la première à avoir invité des drag kings.
«Drag Race France», c'est la preuve irréfutable de notre génie gaulois. Dans l'épisode 3, la jeune et talentueuse Kam Hugh, fashion queen jusqu'au bout des faux ongles, présente un superbe costume faisant référence aux pigeons parisiens. Tandis qu'Elips, queen bordelaise, défile avec une douzaine de verres de vin rouge sur son chapeau. C'est ça, la vraie fierté nationale.
Des pigeons et du vin: la France dans toute sa splendeur.
Les trois premiers épisodes vous mettront certainement des paillettes plein les yeux (attention ça gratte). Mais c'est l'épisode 4 de «Drag Race France», qui met en scène certaines des épreuves les plus mythiques de la franchise, qui devrait achever de vous convaincre. Tout commence avec le «reading challenge», où les queens se lancent des piques et doivent redoubler d'inventivité et de répartie. Si même la personne dont on se moque rit, tellement c'est bien trouvé, on sait que c'est réussi.
Par exemple, Elips qui dit à la Big Bertha: «T'as le drag dans le sang… C'est dommage qu'il ait une mauvaise circulation.» Ou La Grande Dame qui sort à Paloma: «T'as tellement une tête de cul que la dernière fois que t'as fait un test PCR, on t'a diagnostiqué un cancer colorectal.» Baudelaire is shook.
On s'extasie devant le style stratosphérique des candidates.
Mais le clou du spectacle, c'est évidemment le Snatch Game. Parodie du jeu télévisé américain «Match Game», cette épreuve exige des queens qu'elles imitent une personnalité célèbre, et improvisent des blagues qui fassent rire le jury. L'objectif, c'est un peu d'être le Nadal de l'humour: il s'agit d'un exercice périlleux, qui exige d'avoir l'esprit vif, d'enchaîner les réparties, et de ne jamais s'avouer vaincu. C'est comme «Qui veut gagner des millions?»: on croit que c'est simple quand on regarde ça depuis notre canapé, mais en fait, c'est très dur (apparemment –je n'ai participé à aucune des deux émissions).
Mireille Mathieu contre Félindra
Encore une fois, on ne peut que glousser en imaginant des téléspectateurs étrangers face aux imitations choisies par les candidates: Paloma, après avoir hésité à faire Roselyne Bachelot, opte pour Fanny Ardant (et livre une performance digne d'un César), tandis que Soa décide de se transformer… en Félindra tête de tigre! Oui, la meuf de Fort Boyard!! Forcément, on note les occasions manquées: pourquoi personne n'a fait Christine Boutin, Geneviève de Fontenay, Mylène Farmer? Ressaisissez-vous, s'il vous plaît, l'honneur de notre pays est en jeu.
Comme dans chaque Snatch Game de la franchise, ça ne rate pas: il y a les naufrages, comme Kam Hugh qui essaie d'imiter Mireille Mathieu mais manque de répartie et se laisse intimider, ou Lolita Banana qui, ayant un fort accent mexicain, a choisi d'imiter la seule célébrité hispanophone qui parle aussi français: Rossy de Palma. C'est finalement la Grande Dame qui remporte l'épreuve, grâce à son interprétation formidablement teubée d'Alexandra Rosenfeld, qui répond «du ju de frui» aux questions qu'elle ne comprend pas. Maintenant à chaque fois qu'on me demandera un truc relou, je répondrai «du ju de frui».
Sortez couverts!
Enfin, les queens sont départagées sur le podium, avec des tenues toutes plus inventives les unes que les autres, sur le thème «Lendemain de soirée». Là encore, on s'extasie devant le style stratosphérique des candidates: l'une défile avec une tenue de soirée constituée de sacs-poubelle, l'autre avec une boule à facettes sanglante collée à sa perruque. Mais ce défilé nous rappelle surtout qu'avec «Drag Race France», tout est possible. Comme le fait de voir un homme travesti en femme et déguisé en capote usagé, sur France 2 le dimanche soir. Liberté, égalité, et surtout immense fierté.
1 — D'ailleurs: à quand un lip sync sur sur Alliage? Retourner à l'article
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