Le Figaro a publié mercredi une analyse du langage corporel (synergologie) du futur ex-patron de l’UMP Jean-François Copé lors de son passage au journal télévisé pour s'expliquer sur l'affaire Bygmalion. Le journal avait déjà tenté de faire analyser d'Anne Sinclair quelques semaines auparavant. Mais peut-on réellement considérer la synergologie comme une science?
Non, en aucun cas, et elle peut même être considérée comme une arnaque.
La synergologie est créée en 1996 par Philippe Turchet, consultant qui se dit spécialiste du langage non-verbal. Il s'agit, selon le site officiel, «d'une discipline dont l'objet est de mieux décrypter le fonctionnement de l'esprit humain à partir de son langage corporel». Mais jusqu'à présent, elle n'a que rarement fait l'objet de colloques, n'est enseignée dans aucune université et n'a aucune validité épistémologique, ce qui est la base de toute science. Et ce sont bien ces manquements qui ont amené de nombreux professeurs-chercheurs à reléguer la synergologie au rang de pseudo-science, quitte, parfois, à la qualifier d'arnaque, puisqu'elle est vendue aux entreprise en tant que discipline, sous-entendue «scientifique».
Ni une science, ni une discipline
Sur le site officiel de la synergologie, les mots «bases scientifiques», «recherche» et «discipline» apparaissent à plusieurs reprises. Pourtant, elle ne peut être qualifiée ainsi. Car pour être considérée comme une science –ce qu'elle prétend être, il faut avant tout produire des connaissances reconnues comme telles par ses pairs, avoir été validé sur le plan épistémologique, et avoir pu prouver d'une méthodologie et d'une théorie intangibles. Et surtout, ses lois doivent être vérifiées par des méthodes expérimentales approuvées par les scientifiques.
On ne peut pas non plus la qualifier de discipline. Pour cela, il faudrait au moins qu'elle ait une existence institutionnelle. Or ce n'est pas le cas.
D'ailleurs, aucune université n'enseigne la synergologie et cette pseudo-science (car c'est ainsi qu'il faut la qualifier) n'a fait l'objet d'aucune publication dans des revues scientifiques reconnues.
Une méthode basée sur des bribes d'autres disciplines
En revanche, la synergologie est bel et bien basée sur d'autres disciplines rattachées aux domaines de la communication et de l'information.
Il existe par exemple des chercheurs qui travaillent sur la communication des messages. La plupart du temps, ils sont rattachés aux sciences de l'information et de la communication, une discipline qui existe aussi bien à l'université que dans les laboratoires de recherche. Idem pour les chercheurs qui travaillent sur le discours, souvent au sein des département de linguistique et de socio-linguistique.
Le non-verbal peut être étudié par l'une ou l'autre de ces disciplines, en sciences du langage par exemple, et être mis en relation avec d'autres disciplines, telles que la psychologie, l'anthropologie, ou même l'éthologie, une discipline qui étudie le comportement des espèces animales.
Le manque de contextualisation
Ce qui l'empêche, en grande partie, d'être considérée par ses pairs est son manque cruel de contextualisation. Car tous les codes utilisés par la synergologie sont universalisés.
On le voit d'ailleurs sur le site officiel de cette pseudo-science: il suffit de cliquer sur «le sourcil droit levé» pour découvrir une description de ce qu'une personne ressent quand elle fait ce geste, à savoir un désaccord ou un malaise. Idem lorsqu'on clique sur «se caresser l'oreille gauche». Il ne suffit que de quelques instants pour se rendre compte que ces gestes ne peuvent être attribués de manière aussi systématique à un sentiment. Encore moins quand on prend en compte un contexte, et des paroles.
Car la gestuelle est bien associée à un contexte, à une culture et à de nombreuses subtilités qui n'apparaissent qu'au moment de la conversation et dépendent des interlocuteurs. Ici, les expressions sont analysées lorsqu'elles sont figées. Pourtant, une expression ne signifie rien si l'on ne prend pas en compte le début du mouvement, les paroles prononcés ou encore le nombre de personnes dans la salle.
En réalité, il ne s'agit que d'hypothèses. Et ce qui est vendu aux entreprises n'est, en rien, une stratégie de communication à valeur sûre.
Aude Deraedt
L'explication remercie Pascal Lardellier, professeur des universités en sciences de l'information et de la communication à l'université de Bourgogne, et Alice Krieg-Planque, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-Est Créteil.