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Les vignerons bio enfin condamnés à lutter contre les épidémies

Temps de lecture : 3 min

Pourquoi la décision du tribunal de Dijon de condamner l'un d'entre eux à 1.000 euros d'amende pour avoir refusé de traiter ses vignes est justifiée.

REUTERS/ Régis Duvignau.
REUTERS/ Régis Duvignau.

Ce sera donc 1.000 euros d’amende, dont 500 avec sursis. Plus que le montant de la peine, c’est le symbole qui compte –et l’appel annoncé ne change rien à l’affaire.

Le tribunal correctionnel de Dijon a condamné, lundi 7 avril, Emmanuel Giboulot, vigneron bourguignon qui avait refusé, durant l’été 2013, de traiter ses vignes contre une maladie épidémique qui menaçait l’ensemble du vignoble de la Côte d’Or. Le tribunal a suivi le réquisitoire du parquet. Emmanuel Giboulot encourait jusqu'à six mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.

A l’annonce du jugement, le condamné a estimé que cette condamnation, quoique «symbolique», n’était «pas juste». En faisant appel, il espère obtenir la relaxe. «Une relaxe serait un signal fort adressé à tous les viticulteurs, a-t-il déclaré. A chaque fois que nous pouvons ne pas utiliser de pesticides, c'est une victoire pour la santé de tous.»

Parmi ses très nombreux soutiens figurent des élus et militants d'Europe Ecologie-Les Verts, le NPA, Greenpeace et Attac; ainsi que des sympathisants non politisés des différentes viticultures dites «biologique».

Mais on compte aussi, dans cette affaire, des militants venus de courants de pensée opposés, adversaires de la «médecine officielle». C’est notamment le cas des adeptes de l’Institut pour la protection de la santé naturelle (IPSN), qui ont largement aidé ces derniers mois Emmanuel Giboulot à médiatiser son action et son procès, comme on peut le voir ici.

Flavescence dorée

Cette affaire bourguignonne est assez simple à résumer. Emmanuel Giboulot, 51 ans, travaille une dizaine d’hectares en côte-de-beaune et en hautes-côtes-de-nuits. Il les travaille en «biodynamie», une pratique culturale extrême développée en France depuis plus de trente ans par le charismatique Nicolas Joly dans son angevine Coulée de Serrant.

En juin 2013, les vignes du département de la Côte d’or sont menacées par une épidémie de flavescence dorée, grave maladie bactérienne transmise par un insecte, la cicadelle. Le préfet prend alors un arrêté qui impose de protéger contre l’ennemie toutes les célèbres vignes (pinot noir et chardonnay) de Côte-d’Or. Nul besoin d’avoir recours à des insecticides produits par l’industrie chimique, il existe un produit compatible avec la démarche bio: le Pyrevert.

Emmanuel Giboulot préfère alors déserter plutôt que de se battre. «La biodynamie, explique-t-il, consiste à créer un équilibre global au sein d’un milieu naturel, un écosystème qui fonctionne en autonomie. L’insecticide, même autorisé en agriculture biologique, n’est pas sélectif: il aurait détruit la cicadelle mais aussi une partie de la faune auxiliaire sur laquelle je m’appuie pour réguler cet écosystème. Cela aurait réduit à néant tous mes efforts de développer des approches alternatives depuis que je me suis lancé en 1985.»

Emmanuel Giboulot ajoutait en février qu’il allait être jugé «pour avoir refusé d’empoisonner [ses] propres terres». C’est là une vision parcellaire de l’affaire.

On peut la raconter sous un autre angle: il a délibérément pris le risque de voir son vignoble atteint, mais aussi celui de propager la contagion. A l’inverse, on peut soutenir que son vignoble n’a pas été atteint précisément parce que ses voisins avaient pris soin de traiter de manière préventive.

Tout se passe ici comme dans le cas des vaccinations humaines: les militants anti-vaccinaux ne sont pas atteints parce qu’ils vivent au sein d’une communauté qui, dans son immense majorité, est immunisée. A l’inverse, en cas de maladie très contagieuse (la rougeole par exemple), le non-vacciné devient un vecteur privilégié de diffusion du virus. Opération de prévention individuelle, la vaccination est aussi un geste solidaire. Il peut en aller de même dans le vignoble.

Une condamnation qui dépasse la seule Bourgogne

La condamnation d'Emmanuel Giboulot par le tribunal correctionnel de Dijon dépasse de beaucoup la seule Bourgogne. C’est la première décision de justice qui, en France, cristallise les tensions croissantes existant entre une fraction de la profession viticole et les militants écologistes.

Lors de l’audience du 24 février devant le tribunal correctionnel militaire de Dijon, Emmanuel Giboulot avait été porté en liesse par une foule de plusieurs ecntaines de ses partisans. Icône éphémère des réseaux sociaux, il ne résume pourtant pas la viticulture «biologique», loin s’en faut.

Il en est un rameau extrême, loin du courant de pratiques culturales raisonnées qui s’éloignent des outrances du productivisme de la génération précédente –à commencer par l’abandon des rendements outranciers et des produits phyto-sanitaires. C’est tout particulièrement vrai en Bourgogne, où de grands et prestigieux domaines évoluent loin des outrances et d’un militantisme stérile. Dans ce contexte, la décision du tribunal de Dijon vient rappeler, au-delà des chapelles, la nécessité d’une lutte commune et solidaire contre les ennemis communs à la vigne, insectes, bactéries, champignons et virus.

De ce point de vue, l’affaire Giboulot n’est pas ce que beaucoup de vrais ou faux naïfs voudraient qu’elle soit: la quintessence de l’opposition entre les dépassés et les modernes, entre la profession viticole et les militants écologistes, entre la recherche du profit et le respect de la nature. Vigne ou pas, la protection de cette même nature n’est pas toujours assurée par ceux qui en font profession.

Jean-Yves Nau

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