Trois mois après avoir envoyé une circulaire à ses ministres en guise de piqûre de rappel sur la nécessité d’ouvrir les données de leur ministère, Jean-Marc Ayrault inaugure ce 18 décembre la nouvelle version de data.gouv.fr.
Ce site gouvernemental, conduit par la mission Etalab, est chargé depuis 2011 de nous faire progresser en «open data». Il rassemblait déjà des milliers de données publiques de tous les ministères (ça va des subventions reçues de l'Etat par les associations à la liste des bâtiments historiques en passant par l'adresse de toutes les bibliothèques publiques ou la masse salariale des cabinets ministériels).
La version 2 se veut le terrain d’entente numérique entre une administration –qui ne veut pas toujours lâcher ses données–, des passionnés –qui trouvent souvent que l’Etat ne va pas assez loin en la matière–, et le grand public –qui ne comprend pas nécessairement les applications concrètes de cette ouverture numérique.
La conférence de presse de lancement était à cette image, avec une intervention du directeur de la Cada pour l'administration, de celui de l'Open Knowledge Foundation France pour les passionnés, et de Kel Quartier, représentant les entrepreneurs qui cherchent à faire parler concrètement les données publiques (ici, un site qui vous aide à choisir où vivre).
Il a fallu vaincre «quelques résistances» pour avoir accès aux données, avoue Jean-Marc Ayrault, «il y a toujours une réticence de l'administration au départ», à diffuser ses données ou à le faire gratuitement. Le directeur de la Cada l'a volontiers confirmé, disant dans un sourire que ce n'était «pas facile» pour un homme de sa génération d'être convaincu par Etalab et son site, mais qu'il trouvait au final que c'était du «grand art».
«L’open data n’est pas encore très grand public», m'a dit Henri Verdier, patron d’Etalab depuis décembre 2012, quand je l'ai rencontré il y a quelques jours. «Nous pensons qu’avec un site où il y a un peu plus de sens, où on voit mieux les nombreuses réutilisations, ça va prendre une nouvelle dimension.»
Le nouveau site est du coup beaucoup plus éditorialisé et met en avant les jeux de données les plus recherchés, ceux qui sont dans l'actualité, les réussis. Il s'agit de montrer concrètement à quoi peuvent servir les données.
«La donnée c’est froid, assez abstrait. Le grand public ne peut pas s’intéresser durablement à un site rempli de fichiers .csv et .json. Donc il fallait un site où le lien entre la donnée et les réutilisations soit très fort.»
On y retrouve un lien vers des choses aussi variées que la carte du métro parisien selon le trafic entrant par stations, créée par Data Publica, le géoportail gouvernemental, ou encore un article de Slate sur la vraie carte de France du football, à partir du pourcentage de licenciés en foot de chaque commune.
L'ancienne version de data.gouv.fr:
Et la nouvelle version:
Un lien vers cet article a été rajouté sur data.gouv.fr par Henri Verdier, mais il aurait tout aussi bien pu l’être par vous ou moi. C’est l’autre nouveauté du nouveau data.gouv.fr: le participatif. Tout le monde peut se créer un compte, proposer des liens vers des réutilisations ou même des jeux de données. Le tout avec «les outils et les codes narratifs du web social», explique Henri Verdier:
«Une logique de contrôle a posteriori, de pair à pair, tout le monde pouvant signaler des contenus problématiques.»
Pas sûr que tout le monde aura l’envie ou l’idée de partager des données, mais on en aura la possibilité, ainsi que celle de compléter ou d’enrichir des données déposées par d’autres.
L’Etalab d’Henri Verdier –comme l’Etalab de son prédécesseur Séverin Naudet d’ailleurs– repose de toute façon largement sur la communauté très vivante des passionnés d’open data. Data.gouv.fr a été testé auprès de ces derniers sur plusieurs évènements, dont un récent open data camp où la lutte contre les inégalités hommes-femmes était à l’honneur. Chaque exercice de ce type permet au passage d’enrichir les données proposées au grand public par Etalab, et la liste de leurs réutilisations.
Le nouveau site a aussi été construit à partir d’un code open source, amélioré par l’équipe d’Etalab. C’est un signal envoyé à la communauté –d’autant que le code amélioré sera mis en ligne, comme l’administration Obama l’a fait pour data.gov.
Toutes ces bonnes résolutions suffiront-elles à faire remonter la France au classement de l’Open Knowledge Foundation, où nous avons dernièrement finis 16e, derrière la Moldavie, l’Italie ou la Bulgarie? «Ce classement ne reflète pas la réalité», estime Henri Verdier, qui voit plutôt la France dans les cinq premiers:
«C’est comme le classement des universités de Shanghai, qui est fait en fonction du nombre d’articles publiés dans les revues en valeur absolue, et ne reflète qu’un point de vue sur le réel. De la même manière, l’Open Knowledge Foundation s'est concentrée sur certains jeux de données.»
Le Comité interministériel de la modernisation de l'action publique vient d'annoncer la fin d'une dizaine de redevances qu’il fallait jusque-là payer pour obtenir ou utiliser certains jeux de données. Ça nous permettra sûrement remonter quelques places dans le classement, mais «il est facile d’arracher des "petites" victoires avec l’Open Data», croit Henri Verdier.
«Le plus important, c'est de changer la manière dont l’Etat travaille et dont il échange avec les citoyens.»
Cécile Dehesdin