Ison devait être la comète de Noël. Le cadeau des astronomes qui auraient passé les fêtes l’œil rivé à leur lunette. Un replay de l’étoile des rois mages. Rien de tout cela ne devrait se produire. Le Père Noël retire Ison de sa hotte de cadeaux. On range les télescopes avant de tirer des plans... sur d’autres comètes.
Que s’est-il passé? Comment a-t-on pu annoncer, il y a quelques mois, l’arrivée d’Ison en comète du siècle? Que s’est-il passé à l’approche du Soleil, la fameuse épreuve du périhélie, ce passage à environ un million de km de la surface de notre étoile? Qu’est-il resté ensuite, au sortir de la fournaise solaire? Pourquoi Ison est-elle réapparue? Et comment a-t-elle fini par s’éteindre comme une vulgaire étoile filante dans un coin de ciel?
Après la soirée gâchée de Thanksgiving, le 28 novembre, les astronomes avaient déjà la mine des mauvais jours. Peu avant son arrivée au plus près du Soleil, Ison avait disparu des écrans radar ou, plutôt, des objectifs de certains télescopes braqués sur elle. Un instant, on a cru que la comète avait succombé à l’une de ces bouffées de magnétisme dont notre étoile est coutumière. Le choc aurait coupé la queue d’Ison avant de la disloquer, lui ôtant toute chance de survie.
Pas de trace d'Ison... La croix blanche désigne le point où la comète devrait se trouver. Image: Nasa/SDO
Et puis, la voilà qui réapparaît, de l’autre côté ! Beaucoup plus pâle, certes. Avec une queue nettement moins longue, brillante et fière. Pourtant, pas de doute, c’est bien Ison qui reprend sa route vers les confins du système solaire d’où elle vient, c’est-à-dire vers le nuage d’Oort situé à environ 154.000 fois la distance qui sépare la Terre du Soleil (unité astronomique ou UA). Soit 154.000 fois 150 millions de km. C’est-à-dire très loin. Plus de deux années lumière. Là où l’homme n’ira jamais. Sans doute.
Aujourd’hui, les astronomes de la Nasa, qui observent Ison depuis un an, tentent d’expliquer ce scénario imprévu et ses rebondissements. Ils indiquent d’abord que la déception n’est pas totale. La batterie d’instruments braqués sur Ison, sur Terre et dans l’espace, a permis de collecter la plus grande base de données sur une comète jamais enregistrée. Avec des années d’études et d’analyses à la clef.
Le 10 décembre 2013, les chercheurs ont présenté leurs conclusions scientifiques sur les derniers jours d’Ison lors du congrès d’automne de l’American Geophysical Union qui se tient à San Francisco. Karl Battams, du Naval Research Lab à Washington, a d’abord rappelé que les boules de neige sale que l’on nomme comètes se sont formées en même temps que le système solaire. D’où leur intérêt en tant que témoins de cette époque, il y a 4,6 milliards d’années, qui a vu naître toutes les planètes, dont la Terre (4,54 milliards d’années).
Normalement, Ison aurait dû rester dans le nuage d’Oort. Mais, il y a quelques millions d’années, une anomalie de gravité, telle que le passage d’une étoile à proximité, l’a faite sortir de son orbite pour la précipiter vers l’irrésistible attracteur situé au centre de notre système, le Soleil. La comète a été découverte en septembre 2012 par deux astronomes russes, Vitali Nevski and Artyom Novichonok. En octobre 2013, la sonde Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) a détourné son télescope HiRiSe de son travail de prise de vues fabuleuses de la planète rouge dont nous avons parlé le 7 décembre. A cette époque, Ison est en effet passée non loin de Mars.
La taille du noyau de la comète a alors été évaluée à 800 mètres, voire moins. Peut-être la moitié seulement, selon Alfred McEwen, responsable de l’instrument HiRiSe à l’université d’Arizona. Avec une taille de seulement 5 ou 6 terrains de football, Ison se trouvait à la limite du nécessaire pour espérer survivre à son tour de Soleil. Geraint Jones, de l’University College de Londres, s’est concentré sur la poussière constituant la queue de la comète afin d’élucider ce qui a pu se produire lors du passage d’Ison près de notre étoile. Il a étudié les observations réalisées par deux instruments, le Solar Terrestrial Observatory (Stereo) de la Nasa et le Solar Heliospheric Observarory (Soho), commun à l’ESA et à la Nasa. En entrant ces données dans des modèles informatiques, Geraint Jones a confirmé que très peu de poussières ont été produites par Ison après sa périhélie. Ce qui suggère une rupture du noyau avant la réapparition de la comète.
Autre indice, tandis qu’Ison était visible sur les images prises par Stereo et Soho juste avant le périhélie, elle n’apparaissait pas, au même moment, sur celles du Solar Dynamics Observatory (SDO) de la Nasa. Or, SDO est réglé pour détecter les longueurs d’onde de la lumière qui indiquent la présence d’oxygène, un élément très présent dans les comètes. L’absence d’émission d’oxygène donne une indication sur la température d’évaporation des matériaux constituant la comète. Et limite leur diversité. Les chercheurs pourront, grâce à la masse de données collectées, affiner la composition d’Ison.
Sa masse trop faible, ou sa composition, pourrait donc avoir scellé le sort de la comète pour laquelle la luminosité importante, lors de sa découverte en 2012, avait laissé espérer un autre destin. Près du Soleil, elle s’est brisée et seule une partie de son noyau a survécu. Mais il n’était pas en mesure de s’éloigner du Soleil en restant intact. Après un dernier éclat, Ison a disparu dans l’espace. Nous ne la verrons plus et elle ne retournera pas vers son nuage d’Oort natal.
Michel Alberganti