Le 1er janvier 1958, après une dispute avec son épouse, le psychiatre de l'US Army Douglas Kelley attrape une pilule de cyanure, la glisse dans sa bouche et l’avale. Douze ans seulement après la fin du procès de Nuremberg, il se donne la mort avec le même poison que l’un de ses patients, Hermann Goering. Voilà comment commence l’enquête du journaliste Jack El-Hai, qui a voulu découvrir, dans son livre Le Nazi et le psychiatre, ce qu’il se passait dans la tête de l’homme qui fut le psychiatre des dirigeants nazis.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Kelley, alors chef du service de psychiatrie d’un hôpital militaire, fut chargé d’une mission qui allait bouleverser sa vie: évaluer la santé mentale des dirigeants nazis détenus à la prison de Nuremberg dans l’attente de leur procès. Kelley espérait identifier les traits de personnalité ou les troubles mentaux qu’ils avaient en commun —définir une «personnalité nazie» qui permettrait de comprendre ces criminels.
Pendant plusieurs mois, le médecin a passé des dizaines d’heures à échanger avec l’un des plus intrigants de ses patients, Hermann Goering, le plus haut gradé nazi aux mains des Alliés. Leurs sujets de conversation: la Seconde Guerre mondiale, les politiques mises en place par le régime nazi et les perspectives de cet homme désormais capturé. En plus d’entretiens approfondis, le psychiatre a fait un usage intensif de différents outils de diagnostic, dont le test de Rorschach ou le TAT.
Ce qu’il a découvert l’a violemment perturbé. Le bras droit d’Hitler n’était ni fou, ni anormal. Les dignitaires nazis n’étaient atteints d’aucune pathologie psychiatrique. Kelley a identifié deux traits de personnalité qu’ils partagaient: c'étaient des ambitieux rigides et des workaholics infatigables. Science News cite ses conclusions manuscrites, retrouvées par El-Hai:
«Des personnalités semblables se trouvent très facilement en Amérique.»
Dans son livre, El-Hai, qui a eu un accès complet aux notes de Kelley, suggère que c’est cette découverte qui a conduit au suicide l'ambitieux psychiatre, aspiré dans une relation malade et dangereuse avec le bras droit d’Hitler. Ses travaux l’ont convaincu que des personnalités banales avec des traits similaires, combinés à une ambition excessive et un patriotisme exacerbé, pourraient basculer de la même façon.
Hanté, le psychiatre a commencé à méditer sur sa propre capacité à faire le mal. Petit à petit, il est devenu dépendant au travail et à l’alcool, incapable de gérer la colère qui le rongeait. Conclusion du Scientific American:
«Les examens psychologiques que Kelley a mené sur les nazis ont fait éclater au grand jour les propres failles de sa personnalité.»