Un dimanche après-midi à Istanbul, Alyson Neel part à la recherche pour Roads and Kingdom de ce qui se présente comme un phénomène bien particulier: un sex-shop pensé pour les femmes et tenu par une femme.
A quoi cela peut-il bien ressembler, dans un pays où les sex-shops n’ont pas le droit de s’installer en rez-de-chaussée, et où la sexualité féminine est présentée par les autorités comme une activité purement reproductive (incitations des femmes à avoir au moins trois enfants, remise en cause du droit à l’avortement, volonté du ministre de la Santé de ne plus vendre la pilule du lendemain que sur ordonnance, etc.)?
En tout cas, pas aux autres sex-shops, espère la journaliste, qui garde un assez mauvais souvenir des premiers qu’elle a visités, et dont les propriétaires semblaient considérer son entrée dans leurs boutiques comme une autorisation au harcèlement.
De fait, Eromega ne ressemble pas aux autres sex-shops stambouliotes. D’abord parce que contrairement à eux, il n’ouvre qu’à des heures normales pour une boutique, c’est-à-dire ni la nuit, ni le dimanche. La journaliste remet donc sa visite au lendemain.
«Je ne suis pas certaine de ce à quoi je m’attendais en rencontrant une propriétaire de sex-shop turque, mais je ne m’attendais pas à ce que j’ai trouvé: une personne qui ressemble à ma mère.»
Coopérative mais discrète, la personne en question lui donne son prénom, mais pas son nom de famille, et ne répondra plus à ses messages après leur unique entretien. Comme l’explique le Docteur Guluk Bacanak, de l’Institut turque de santé sexuelle, à la journaliste, la sexualité reste un réel tabou en Turquie:
«(…) Vous ne pouvez pas parler explicitement de sex-shop, c’est considéré comme honteux, explique-t-elle, ajoutant que beaucoup de ses patients expriment de la curiosité à ce sujet, mais n’osent pas aller voir par eux-mêmes. Quand la société turque commencera à voir la sexualité comme une part normale de l’existence, on acceptera de parler de sex-shop ouvertement.»
Eromega est composé de deux pièces, une pièce d’exposition et un bureau, pour la gestion. Comme l’espérait la visiteuse, la principale différence avec les autres sex-shops est que les femmes peuvent s’y rendre sans se faire harceler. Une réussite pour la propriétaire, qui rêve d’un jour où hommes et femmes se rendront dans un sex-shop comme dans n’importe quelle autre boutique.