A 16 ans, Jimmy Sévigny pesait plus de 180 kg. L’adolescent canadien subissait intimidation et railleries incessantes. Le regard méprisant des autres, la peur de se rendre dans un lieu public, les rencontres amicales et amoureuses si rares… Toutes ces situations ont contribué à enfermer le jeune homme dans une spirale autodestructrice. «Je me tuais avec la nourriture», raconte-t-il aujourd’hui. À 19 ans et alors qu’il pesait 205 kg, Jimmy a fait un infarctus. Si son état d’obésité morbide a joué un rôle clé dans la survenue de l’accident cardiaque, la dimension psychologique a également contribué de façon significative.
Le rôle des facteurs psychologiques
Stress, dé pression, angoisse… Il est aujourd’hui reconnu que les facteurs psychologiques augmentent les risques de maladies cardiovasculaires. En étudiant des patients équipés de holters (dispositif portable qui permet d’enregistrer l’électrocardiogramme), avant et après un tremblement de terre, des chercheurs de Taïwan ont montré une augmentation de leur fréquence cardiaque qui a mis plusieurs jours à redevenir normale. De même, en France, la catastrophe d’AZF à Toulouse a multiplié par trois la survenue de syndromes coronaires aigus. La Société canadienne de psychologie rappelle, pour sa part, qu’un «cardiaque sur cinq manifeste des symptômes importants d’anxiété qui lui nuisent dans son quotidien : inquiétude, agitation, irritabilité, maux de tête, sommeil perturbé, etc.»
Des symptômes qui sont associés à d’autres facteurs de risque, dont certains pour lesquels on ne peut rien (âge, sexe, hérédité) et d’autres comportementaux, donc modifiables (sédentarité, mauvaise alimentation, tabagisme). La composante psychologique reste toutefois difficile à évaluer précisément. «La relation entre le stress et/ou la dépression et les maladies cardiovasculaires n’est pas facile à faire», estime Julian H. Lombard, du département de psychologie de la faculté de médecine du Wisconsin, aux États-Unis, dans le Journal of Applied Physiology. «Il y a de bonnes preuves que la présence d’une maladie cardiovasculaire peut conduire à la dépression.» Autrement dit, les facteurs psychologiques peuvent être soit une cause soit une conséquence de la maladie coronarienne… Soit les deux à la fois !
Et le « type A » ?
Si certaines pathologies associées à des fragilités psychologiques accroissent le risque d’accident coronarien ou vasculaire cérébral, certains profils de personnalité pourraient également avoir un impact non négligeable. Depuis le milieu du XXe siècle, les scientifiques s’intéressent aux personnalités dites de « type A ». Individualiste, ambitieux, compétitif, très actif, vivant dans une urgence permanente, le « type A » – très souvent un homme – développe «une sorte de stress chronique qui le rend plus susceptible d’avoir une maladie coronarienne», explique Élaine Kennedy, psychologue clinicienne à l’institut de cardiologie de Montréal. L’hyperactivité du «type A» peut ainsi entraîner des réactions sur le plan physiologique qui favorisent la tension artérielle ou l’athérosclérose : activité accrue du système neuroendocrinien, taux élevé d’adrénaline ou de dopamine dans le sang ou encore propension aux réactions inflammatoires… Paradoxalement, «les “type A” sont beaucoup plus faciles à réadapter après un événement », remarque le docteur Georges Honos, chef du service de cardiologie du centre hospitalier de l’université de Montréal. « Ils sont pressés de retourner à leur entreprise, reprennent des activités plus aisément. Ce sont des formes de stress utiles, avec lesquelles on peut travailler pour aider le patient.»
Relaxation et méditation
Apprendre à identifier les facteurs de stress et être capable de les gérer peut permettre de réduire sensiblement le risque cardiaque. Aujourd’hui âgé de 30 ans, Jimmy Sévigny reconnaît que ses émotions « ont toujours été reliées à la nourriture » et il sait qu’il devra faire face à cette situation tout au long de sa vie. Mais, dit-il, «j’ai appris à identifier les situations stressantes et à maîtriser mes réactions dans ces moments-là». En onze ans, il a perdu 125 kg. Diplômé en éducation physique, il pratique aujourd’hui le triathlon de façon régulière. La pratique d’une activité physique, la relaxation et la méditation ont «des effets cardioprotecteurs», rappelle Élaine Kennedy. De nombreux programmes de réadaptation cardiaque intègrent désormais une approche psychologique en plus de médicaments. Relations interpersonnelles, isolement, estime de soi… autant de nœuds à démêler pour trouver ou retrouver un équilibre.
R.L.
Attention, dépression
Dépression et maladie cardiovasculaire sont deux affections fréquemment liées. « Nous savons qu’il y a une association entre les deux, mais leurs liens ne sont pas encore bien définis, commente le Dr Georges Honos, cardiologue au centre hospitalier de Montréal. C’est important de prendre en compte la dépression mais c’est beaucoup plus compliqué de la mesurer, car les différents états psychologiques du patient sont difficilement objectivables. » Une étude parue en 2010 dans le journal médical Heart établissait, toutefois, que les patients cardiaques qui sont en même temps dépressifs étaient environ quatre fois plus susceptibles de décéder des suites d’une maladie cardiovasculaire que les personnes mentalement et physiquement en bonne santé. Il y a probablement des raisons biologiques : on sait par exemple qu’un individu déprimé subit un stress chronique qui peut déclencher des réactions inflammatoires, qui vont favoriser un durcissement des artères. Une autre étude, fin 2011, a fait le lien entre problèmes cardiaques et dépression des jeunes adultes (moins de 40 ans), normalement moins touchés en raison de leur âge. Or, leur risque d’affection cardiaque est trois fois plus élevé que la moyenne.