Alors que nous aimons penser que nous vivons dans une ère moderne et tolérante, l'info selon laquelle Kate Winslet va bientôt avoir trois enfants de trois pères différents a été accueillie par un niveau plutôt choquant d'indignation moralisatrice.
Dans une dénonciation virulente des «choix désastreux» de Kate Winslet, Judith Woods écrit, dans The Telegraph que «trois enfants avec trois pères différents ne semble bon pour personne» et que «les retombées pour ces petits êtres que vous mettez au monde sont trop horribles à envisager» (et on se demande immédiatement: comment savez-vous que ces petits êtres humains ne sont pas épanouis?).
Cela n'est pas sans rappeler la désapprobation publique qu'avait subi la présentatrice britannique Ulrika Jonsson il y a quelques années parce qu'elle avait eu quatre enfants de quatre pères différents (ce que les tabloïds britanniques avaient appelé le «4x4»).
A cette époque, Ulrika Jonsson avait écrit un article très clair et très précis pour se défendre contre tout ce vitriol dingue qui se déversait sur elle. Elle soulignait à raison, que lorsque des célébrités masculines comme Rod Stewart ont plein d'enfants avec plein de femmes différentes, on les regarde affectueusement comme des êtres sexuellement puissants, mais que quand des femmes font la même chose, on les traite sauvagement de salopes ou d'irresponsables.
Néanmoins, l'article d'Ulrika Jonsson avait ce je ne sais quoi qui ressemble à des excuses. Ulrika Jonsson ressentait le besoin de s'excuser de ses choix, à cause des forces du conformisme qui sont enracinées, des préjugés profonds. Elle écrivait:
«Je tiens à souligner qu'avoir quatre enfants de quatre pères différents n'a jamais fait partie d'un grand plan.»
Mais, pourquoi devrait-elle avoir à expliquer à quiconque, à de complets étrangers, pourquoi elle a eu un enfant ou pourquoi telle relation n'a pas duré? Pourquoi devrait-elle rendre compte de ses choix amoureux ou de reproduction de cette façon si particulière?
Que les gens qui l'attaquent essaient de nourrir et de lire des histoires le soir à quatre enfants qui ont quatre pères différents, et on verra s'ils ont le temps de tellement se soucier de ce que les autres font de leur vie.
En quoi cela vous menace-t-il?
Aucune de ces commères moralisatrices ne sont dans la cuisine de Kate Winslet ou d'Ulrika Jonsson pour les regarder servir des céréales à leur scandaleuse progéniture, et nul ne peut dire si elles sont de bonnes mères ou combien l'amour est moins présent dans leurs foyers, moins chaleureux, moins débrouillard que dans leurs mornes maisons (pour ma part, je pense que ce n'est pas le cas).
La véhémence des attaques contre Kate Winslet, Ulrika Jonsson ou les autres mères célibataires qui ont des enfants de pères différents moins célèbres dans le cadre de leur vie quotidienne soulève une interrogation: pourquoi une femme vivant en dehors des structures familiales traditionnelles est si menaçante? Pourquoi le prenons-nous si personnellement si les aventures sexuelles d'une femme ne se limitent pas à un seul mariage? Si une mère a une vie amoureuse compliquée ou désordonnée?
Il me semble que l'on voit ces mères non-conventionnelles comme une attaque, qu'elles représentent une forme dangereuse de l'anarchie sexuelle, comme le dit Daniel Bergner dans son livre sur la libido féminine, qui devrait être contenue, condamnée, et pourquoi pas, mériter du goudron et des plumes.
Tous ces experts, ces commentateurs, ces commères sur Twitter font semblant d'être inquiets pour les enfants, mais je pense que sur ce point, les féministes ont raison. Ce sont les femmes dont la sexualité défie ou remet en question les structures habituelles qui les inquiètent.
Un esprit plus sympa ou rationnel pourrait se demander: comment peut-on savoir si Kate Winslet a fait des «choix désastreux»? Comme le souligne Cristina Nehring dans son livre brillant, A Vindication of Love, le seul fait qu'une relation ne dure pas ne signifie pas qu'il s'agit d'un «échec». Certaines des grandes passions sont éphémères et notre obsession pour les mariages qui durent cinquante ans, qu'ils soient ou non heureux, comme seule image du «succès» romantique est perverse.
Pourquoi, pourrait-on demander, est-ce que quelqu'un se préoccupe de la façon dont les ménages des autres sont structurés? Pourquoi, précisément, Ms Judith Woods, êtes-vous tellement sur la défensive, pourquoi désapprouvez-vous si lubriquement les choix les plus intimes de Kate Winslet? Quel malheur personnel fait que vous vous intéressiez si farouchement aux fascinantes histoires d'amour de Kate Winslet? Quelle monotonie ou quel manque dans votre propre vie compensez-vous?
Vous remarquerez peut-être que celles d'entre nous qui avons des enfants de pères différents écrivent rarement des articles sur celles qui ont deux ou trois enfants avec l'homme avec lequel elles sont toujours mariées en leur disant qu'elles sont ennuyeuses, frileuses, qu'elles manquent d'imagination par rapport aux possibilités qu'offre la vie, qu'elles tournent le dos à la plénitude, à la vivacité et à la variété des expériences humaines.
Je pense que la seule réponse appropriée à l'annonce de la nouvelle grossesse de Kate Winslet, c'est: félicitations, et bonne chance.
Katie Roiphe
Traduit par Cécile Chalancon