Il existe aujourd’hui deux méthodes pour rendre quelque chose invisible. Si l’on veut faire disparaître un objet, il faut le recouvrir de méta-matériaux qui font faire aux rayons de la lumière le tour de l’obstacle, comme l’eau d’une rivière autour d’un rocher au milieu de son lit. L’observateur ne voit plus alors que ce qui se trouve derrière l’objet. Et le tour est joué, façon Harry Potter. Cela marche...
En 2007, Costas Soukoulis, physicien grec du laboratoire américain Ames (Iowa) avait ainsi proposé une cape d’invisibilité capable de faire disparaître un tank, par exemple. Enfin, pas tout à fait, puisque le phénomène ne fonctionne, pour l’instant, qu’avec des longueurs d’ondes du spectre de l’infrarouge lointain ou des radiofréquences. Et pas encore pour celles du spectre visible auquel l’œil humain est sensible. Harry devra donc encore patienter pour passer de la fiction à la réalité.
Si ce que l’on veut masquer est une information, un signal ou un message, les chercheurs font appel au trou temporel. La technique, aussi subtile que sophistiquée, fait appel à deux méthodes au moins. Celle dont nous avions parlé début 2012 a été développée à l’université de Cornell par l’équipe d’Alexander Gaeta. Elle consiste à séparer un faisceau laser en deux gammes de fréquences. En faisant passer chacun des deux faisceaux dans des milieux qui les ralentissent différemment, on crée un décalage.
Ni vi, ni connu
Si un message, inscrit dans un éclair de lumière, coupe le faisceau au moment exact où se produit le trou temporel engendré par ce décalage, aucune perturbation du laser ne sera enregistrée. Le message passera ni vu ni connu. Seul problème: la missive doit être extraordinairement courte. En effet, les chercheurs qui ont mis au point ce processus annonce une durée du trou temporel de... 15 picosecondes, soit 15 10-12 seconde, 15 millième de nanoseconde ou encore 15 millième de milliardième de seconde. Vraiment très court, même à l’époque du tweet.
Il n’est donc pas facile de faire disparaître un bref morceau de temps. En 2010, à l’Imperial College de Londres, Martin Mc Call a théorisé les différentes possibilités de réalisation de cape d’invisibilité spatio-temporelle (CST) en combinant lumière lente et métamatériaux.
Aujourd’hui, c’est Joseph Lukens, ingénieur électricien de l’université de Purdue (Indiana) qui reprend l’idée avec l’objectif de créer un système proposant «un tout nouveau niveau de sécurité» pour la transmission de données dans les fibres optiques.
«Cela n’évite pas seulement les écoutes indiscrètes, cela les empêchent de savoir qu’il existe des informations à pirater.»
La carpette de Talbot
Comment souvent en science, c’est avec du vieux que l’on fait du neuf. L’équipe de Joseph Lukens s’est tournée vers un phénomène observé en 1836 par l’inventeur anglais Henry Fox Talbot, par ailleurs pionnier de la photographie.
Lorsqu’une onde de lumière passe à travers une succession de fentes de diffraction, elle se divise. Les rayons qui sortent des fentes se recombinent pour former un réseau complexe d’interférences avec des pics et des trous. Henry Talbot a montré que ce réseau se reproduit à intervalle régulier pour former ce qui a été baptisé l’effet Talbot (ou Talbot Carpet représenté ci-dessous).
Joseph Lukens a exploité une version temporelle de l’effet Talbot. La lumière passe alors, un peu comme le courant alternatif, par une valeur d’intensité nulle. C’est là, dans ce trou temporel, qu’il a cherché à cacher des informations. Grâce à un système de modulateur de phase d’’un laser, il a obtenu des fenêtres temporelles de 36 picosecondes, soit plus du double de la durée atteinte par Alexander Gaeta.
Un message effacé de l'histoire
En introduisant, au bon moment, un signal de données à 12,7 gigabits par seconde, les chercheurs ont pu constater qu’il n’en subsistait pas la moindre trace à la sortie du rayon laser. En fait, il ne restait pas la moindre trace du message... nulle part.
«Nous avons entièrement effacé de l’histoire les données introduites, reconnaît Joseph Lukens. Il n’y a donc aucune possibilité d’envoyer un message utile à quiconque, y compris au bon destinataire.»
Le secret ultime: la disparition pure et simple. C’est ce que l’on appelle un système à améliorer. Il fait néanmoins l'objet d'un article publié par Nature le 5 juin 2013.
A la suite de ces travaux, Martin Mc Call reste confiant et estime qu’il sera bientôt possible d’envoyer des messages secrets grâce à cette méthode. Et de pouvoir les récupérer.
En attendant, la cape d’effacement total de Joseph Lukens pourrait trouver des applications moins sulfureuses. Le phénomène de disparition des données introduites dans un faisceau laser serait utilisé pour éviter les perturbations d’un flux de données dans une fibre optique qui en achemine plusieurs. La cape rendrait ainsi invisible non plus des données secrètes, mais des interférences, du bruit ou des parasites. C’est moins glorieux, mais c’est utile et ce n’est qu’un début...
M.A.