Égalités / Life

François Ozon, les femmes et la prostitution, ou le petit réalisateur français contre le reste du monde

Temps de lecture : 3 min

Le réalisateur rétropédale, mais ce n'est pas la première fois qu'il affirme, presque comme une exception sexuelle française, un supposé fantasme de prostitution chez les femmes.

Francois Ozon à Cannes, le 16 mai 2013. REUTERS/Regis Duvignau
Francois Ozon à Cannes, le 16 mai 2013. REUTERS/Regis Duvignau

Dans une interview donnée au Hollywood Reporter, François Ozon, le réalisateur de Jeune et Jolie, un film sur une adolescente qui décide de se prostituer, a déclaré à Rhonda Richford:

«Je pense que les femmes peuvent sentir une véritable connexion avec cette fille parce que c’est un fantasme de beaucoup de femmes de se prostituer. Ça ne veut pas dire qu’elles le font, mais le fait d’être payée pour avoir des relations sexuelles est quelque chose de très évident dans la sexualité féminine.»

Quand la journaliste lui demande d’où il tient cette croyance, avec laquelle elle n’est pas d’accord, il persiste:

«Je pense qu’être un objet sexuel est quelque chose de très évident, vous savez, être désiré, être utilisé. Il y a une sorte de passivité que les femmes recherchent.»

A nouveau, la journaliste lui demande comment il en est arrivé à cette conclusion –on notera sa capacité à rester calme face à un homme en train de lui expliquer la sexualité des femmes (ou on imaginera la tête qu’elle devait tirer). Elle tente même avec ces deux relances de lui laisser une chance de se nuancer, de dire que c’est ce qu’il ressent, ce dont il a l’impression pour telle ou telle raison.

Mais non, à la question:

«Comment en êtes-vous arrivé à la conclusion que c’est un thème de la sexualité féminine?»

Ozon répond:

«C’est la réalité. Parlez à beaucoup de femmes, à des psys, tout le monde sait ça. Enfin, peut-être pas les Américains!»

Le problème n’est pas ici d’évoquer un fantasme. Il y a sûrement des femmes qui ont ce fantasme de la prostitution, comme d’autres ont celui du viol. Il est dans la généralisation à laquelle se livre le réalisateur, qui finit en apothéose sur «la» sexualité féminine (comme s’il y avait une seule sexualité féminine!).

On note d’ailleurs la montée en puissance d’Ozon: d’abord la prostitution est un fantasme «de beaucoup de femmes» –une affirmation péremptoire discutable en soi–, puis on passe au paiement comme «évident dans la sexualité féminine» en général, avant d’arriver à la réification sexuelle et la «passivité que les femmes recherchent», puis enfin l’implacable «c’est la réalité / tout le monde sait ça» (il ne manque plus que «la fâââmme»).

L’argument d’autorité est imbattable: François Ozon sait que les femmes cherchent à être passives et fantasment la prostitution parce que tout le monde le sait et la journaliste est bien bête si elle ne le sait pas.

Sur Twitter, le cinéaste rétropédale en disant que ses propos ont été «maladroits et mal compris», qu'il ne cherchait pas à parler des femmes en général mais simplement de ses personnages:

Ce n’est pourtant pas la première fois que François Ozon explique la sexualité féminine à un journaliste, et balaie les questions ou les doutes d’une remarque sur son pays d’origine. Deux jours plus tôt, la professeure de cinéma et de théâtre Karin Badt, qui a vu plusieurs de ses élèves devenir prostitué(e)s, par besoin financier ou pour tester leurs limites, racontait sur le Huffington Post les échanges du réalisateur avec plusieurs journalistes sur le film.

Quand Karine Badt lui a demandé s'il pensait vraiment que les femmes fantasmaient sur la prostitution, il a répondu:

«Oui, bien sûr! C'est le fantasme de beaucoup de femmes. De la plupart des gens.»

A un journaliste suédois, estimant, mal à l’aise, que la vision de la prostitution d’Ozon est «un peu trop facile», le réalisateur répond:

«Pourquoi? Vous dites ça parce que vous venez de Suède!»

Le fantasme de la prostitution et de la passivité sexuelle est celui de la femme française voyez-vous, tous ces étrangers prudes ne peuvent pas comprendre, c’est l’exception culturello-sexuelle française.

Pourtant, même si Karin Badt a été alternativement offensée et ennuyée par la vision de la prostitution d’Ozon, qu’elle estime «cliché, désuète, patriarcale et démodée, rendue romantique», même si Melissa Silverstein, du blog Women and Hollywood, ne sait pas trop quoi dire à part qu’«être désirée ne veut pas dire que vous êtes passive ou que vous êtes un objet», ce sont surtout les Français qui critiquent pour l’instant la sortie d’Ozon.

C.D.

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