Avant de lire ce billet, allez regarder ce reportage photo douloureux sur le site de Time, qui illustre la relation d'un couple sombrant dans la violence domestique. La photographe, Sara Naomi Lewkowicz, a rencontré le couple –Shane, un ancien détenu de 31 ans, et Maggie, 19 ans et mère de deux enfants– dans un festival local de l'Ohio.
Lewkovicz a alors commencé à documenter leur relation dans le but d'illustrer à quoi ressemble la vie quand on sort de prison, comme c'est le cas de Shane, mais son reportage est devenu plus sombre quand une nuit, après une soirée dans un bar, Shane a maltraité Maggie.
Voici ce qu'écrit Sara Naomi Lewkowicz sur ce qu'elle a fait devant la violence de Shane:
«Shane a attaqué Maggie, en la poussant dans des chaises, en la poussant contre le mur et en l'étranglant, devant sa fille, Memphis.
Après avoir confirmé qu'une des colocataires avait appelé la police, j'ai ensuite continué à documenter les violences –mes instincts de photojournalistes ont pris effet. Si Maggie ne pouvait pas partir, et bien moi non plus.»
L'essai photographique de Lewkowicz nous donne un rare –et horrible– aperçu des violences conjugales, et relance aussi la sempiternelle question qu'on pose en cours de déontologie journalistique pour les débutants: est-ce qu'un photojournaliste témoin de violences devrait agir pour les arrêter?
Le débat sur le photojournaliste comme spectateur a été ravivé en décembre, quand le New York Post a publié en une cette photographie d'un homme tentant de sortir des voies du métro juste avant qu'il soit renversé et tué par un train. Comme le photographe de cet évènement, Lewkovicz explique qu'elle a été critiquée parce qu'elle n'était pas intervenue pendant l'attaque de Shane:
«L'incident a posé un certain nombre de questions éthiques. Un certain nombre de commentateurs anonymes sur Internet m'ont blâmée, en disant que j'aurais dû d'une manière ou d'une autre intervenir physiquement entre les deux. Leurs critiques sont à l'inverse de ce que des policiers m'ont dit –qu'intervenir physiquement aurait probablement empiré la situation, en me mettant en danger et en mettant encore plus en danger Maggie.»
Mais cette histoire est différente de la photo de une du New York Post, d'une façon importante. Voir la photo d'un homme sur le point de mourir sur les voies du métro a peu de valeur sociale ajoutée –personne n'a besoin de nous montrer que c'est mal de tomber devant un train en marche–, mais beaucoup de gens restent ignorants (ou dans le déni) du véritable état des violences conjugales aux Etats-Unis [on pourrait dire la même chose de la France, NDT]. Le voyeurisme qui a comme dessein de pousser à la justice sociale, pas simplement pour provoquer, porte un nom différent: journalisme.
Emma Roller
Traduit par C.D.