Attention, cet article contient des spoilers et raconte certains passages des épisodes 13 et 14 de la saison 8 de Dr House.
Il y a un peu de Christ en House. Berger muni de sa canne-bâton, il conduit dans une vallée de larmes un maigre troupeau mixte d’apôtres-thérapeutes. Où vont-ils? House fait lui aussi marcher le paralytique. Lui aussi sait que le plaisir n’est guère de ce monde, que le temps passe vite, que l’éternité s’avance.
Et lui aussi est contraint de cacher ses origines faute de pouvoir en faire clairement état. Pour ce qui est de sa mère pas de souci puisque, si l’on comprend bien, son accouchement ne se fit pas sous X. Mais son père? Sa mère n’a, semble-t-il rien, pas tout dit à son Gregory. Ou alors à voix bien basse, et Gregory n’a pas tout compris (n’a pas voulu tout comprendre?). C’est toujours la même chose, la grande scène originelle, fécondante et invisible; avec tout ce qui peut en résulter. Toutes les familles ont leurs petits secrets, celle du Christ comme celle des House.
Aujourd’hui Maman House débarque au Princeton-Plainsboro. C’est un peu comme si la mère s’invitait dans la cour de récréation. La même sensation que lorsqu’un parent conduit son enfant de 10 ans jusqu’aux grilles de l’école. La honte.
La double honte, ici, pour le petit Gregory. Non seulement sa mère n’a aucun cancer, mais voici qu’il la surprend dans une chambre d’hôtel. Et, la surprend dans cette chambre, au détours de ce qui peut s’appeler une partie de jambes en l’air. On sait avec l’allongement constant de l’espérance de vie humaine que l’âge ne fait strictement rien à l’affaire.
Et pour House la honte est peut-être au carré puisque que l’homme concerné (il s’agit bien d’un homme) n’est pas son père. Du moins pas son père social. Il est en effet acquis de longue date que le fils de John et Blythe House n’est pas le fils biologique de son père disparu, ce militaire au service de l’armée messianique des Etats-Unis. Et il ne semble pas que nous soyons avec Gregory House confronté à un cas antérieur de stérilité masculine, du moins pas un cas ayant conduit à la pratique d’une insémination artificielle avec sperme de donneur anonyme.
Une tache ne fait pas un père
Un ami de la famille alors? Un camarade de son père qui aurait eu les faveurs de sa mère? Dans cette chambre, le coupable nous tend les bras. Bon sang ne saurait mentir, mais c’est bien sûr: le pasteur Bell. Cet aumônier militaire égrillard a suivi John House sur tous les théâtres des opérations. Et voici qu’on le retrouve cachant prestement ses jambes sous des draps qui, le temps passant, ne sont plus adultérins. Et dire que Gregory détestait son père chez qui il avait diagnostiqué une forme d’immoralité. On fera donc l’économie d’une consultation psychanalytique: son père n’était pas son père. Certes, mais sa mère le savait-elle ou pas? On connaît la chanson.
Mais nous ne sommes plus à Trinidad ou à Bethléem. L’ADN humain est là qui va nous dire la vérité. Et la vérité vraie est que la piste du pasteur Bell ne sonne pas juste.
La technique des empreintes génétiques avait hier permis d’exclure John après un prélèvement effectué lors de son enterrement. Voici aujourd’hui que les mêmes empreintes excluent le pasteur Bell. C’est d’autant plus rageant qu’une preuve était là: un stigmate phénotypique, une «tache de naissance» que les médecins préfèrent baptiser angiome. Une «tache de vin» souvent d’origine congénitale et qui n’est pas toujours sans lien avec le syndrome d’alcoolisme fœtal.
Reste la réalité, du moins celle que nous offre aujourd’hui la science biologique: Gregory House n’a pas de père et le pasteur Bell n’est rien d’autre que l’un des (nombreux) amants de Blythe House.
On ne saurait toutefois en rester là. Dr House est une série à fortes connotations culturelles et le quatorzième épisode le démontre à l’envi.
Comment ne pas voir en ce Bell pasteur un pastiche du Bell docteur. Joseph Bell (1837-1911), fils de Sir Charles (1778-1842). Ce Joseph fut un fort bel homme, un Ecossais qui inspira l’agnostique Dr Arthur Conan Doyle (1859-1930) dans son élaboration d’un House précédent. Fils d’un anatomiste à qui l’on doit une célèbre paralysie, Joseph Bell a laissé la réputation d’un médecin froid et brillant, scientifique hors pair capable au seul examen clinique de tout savoir, ou presque, de ses patientes.
Aujourd’hui c’est le Dr Watson-Wilson qui révèle à Holmes-House une nouvelle vérité sur sa paternité. Vérité par exclusion qui renvoie Gregory à son destin. Mon Dieu, mais pourquoi son père l’a-t-il abandonné? Plus précisément pourquoi la fatalité a-t-elle voulu que l’identité paternelle ne lui soit pas révélée? Pour quelles obscures raisons familiales sa mère tient-elle à conserver le secret de la moitié des origines de son fils unique? Les spécialistes parlent ici de roman familial. Cela peut faire d’assez bons romans. Voire d’excellents feuilletons.
Ethique et actualité
Une nouvelle fois, Dr House entre ainsi en résonance avec des problématiques françaises d’actualité où la médecine, l’éthique et la politique jouent à la balle.
C’est le cas en France qui vit la naissance il y a quarante ans de la première banque où l’on conservait par congélation du sperme offert gratuitement et destiné à être gracieusement et anonymement offert à des couples dont l’homme était stérile. Le créateur de ce système est le Pr Georges David. Il est aujourd’hui voué aux gémonies par celles et ceux qui dénoncent la souffrance des enfants qui, comme House, découvrent qu’ils ne connaîtront jamais l’identité génétique de celui qui (avec le consentement de leur mère) leur permet de vivre.
Le treizième épisode avait bien préparé le terrain: il y est question des bases biologiques qui font que la sexualité masculine est, heureusement, ce qu’elle est. Ou ce qu’elle n’est malheureusement pas. Ou ce qu’elle n’est plus. Ou ce qu’elle pourrait être. Et de toutes ses conséquences qui en résultent, à commencer par celle de la place qui revient de droit à l’homme dans sa maison.
Pour l’heure, House n’a toujours pas trouvé de femme à son pied. Dans l’équipe des servants du claudicant tout cela se résume à des dosages puis à des injections de testostérone. A des érections plus ou moins mécaniquement induites. Les intellectuel(le)s trouveront à juste titre cette machinerie un peu réductrice. On ne saurait toutefois oublier qu’elle peut aussi se révéler, parfois, salvatrice.
Jean-Yves Nau