Les téléspectateurs français regarderont, vendredi 10 août, la finale du concours du saut à la perche des Jeux de Londres avec un intérêt tout particulier. En effet, un Français, Renaud Lavillenie, figure parmi les favoris et pourrait donc succéder au palmarès olympique à Pierre Quinon et Jean Galfione respectivement sacrés en 1984 et 1996 dans la même discipline. A quelle hauteur le vainqueur décrochera-t-il l’or? Pour la première fois, un homme devra-t-il franchir 6m pour aller chercher la plus belle des médailles?
Depuis 2008, le record olympique est la propriété de l’Australien Steve Hooker, auteur à Pékin d’un saut à 5,96m, bien loin, on le voit, des 6,14m de Sergueï Bubka, inapprochable recordman du monde depuis 1994. Au cours des quatre dernières années, Steve Hooker, qui remet son titre en jeu à Londres, s’est approché de cette marque en sautant 6,06m (mais c’était en salle) en 2009.
Hélas, ces derniers temps, ses performances ont pâli au point d’avoir fait craindre son forfait en Grande-Bretagne. Voilà quelques mois, en janvier, lors de la saison estivale en Australie, Hooker n’était plus capable de franchir… 5m, une hauteur de junior, si ce n’est de cadet. La faute aux yips, cette étrange maladie que connaissent bien les golfeurs et qui leur fait manquer les putts les plus dérisoires en apparence.
La faute aux yips
Les yips sont, en quelque sorte, une faiblesse psychologique du sportif qui se traduit par des tremblements au niveau des mains. Le cerveau refuse l’exécution d’un geste maintes fois répété et réussi. Comme si, soudain, le champion ne savait plus maîtriser son art en étant renvoyé à une sorte d’humiliante régression.
Les golfeurs frappés de ce mal sont légion à l’image de la descente aux enfers de l’ancien n°1 mondial, David Duval.
Les joueurs de tennis, qui ne «savent plus» servir et enchaînent les doubles fautes, ont été nombreux à traverser semblable dépression à l’instar d’Anna Kournikova ou de Maria Sharapova. Steve Hooker est donc l’une des dernières victimes en date dans un sport individuel de surcroît très dangereux avec des risques de casse de la perche ou ceux liés à une très mauvaise réception en dehors du tapis.
Pour guérir, Steve Hooker s’est isolé dans la région de Perth comme l’a raconté le Herald Sun, l’un des quotidiens australiens. Entouré d’une équipe, dans laquelle figuraient des psychologues, il s’est entraîné au secret enchaînant jusqu’à un millier de sauts pour renouer avec ses bonnes habitudes de sauteur de haut niveau.
Et en mai dernier, lors d’une compétition spécialement organisée pour lui, il a franchi la barre des 5,72m qualificative pour les Jeux de Londres.
La perche est peut-être la discipline la plus terrifiante du stade d’athlétisme. Elle n’est pas à la portée de tous. Tout le monde peut essayer de courir, de lancer un poids, un disque ou un javelot, tenter d’effacer une barre en hauteur ou s’élancer afin d’aller le plus loin possible dans un bac de sable, mais qui osera s’emparer d’une perche à part quelques kamikazes?
Courir 40m avec en mains un engin long de plus de 4m, réussir à piquer la perche au bon endroit dans le butoir et s’envoler dans les airs, cela constitue une vraie gageure.
Philippe Houvion, recordman du monde à la perche en 1980 avec un saut à 5,77m devenu professeur de golf au Paris Country Club, est bien placé pour évoquer les yips qui peuvent encombrer les gestes de ses élèves.
«C’est difficile pour moi d’imaginer que Steve Hooker puisse être victime de yips à la perche, sourit-il. Dans la perche, je n’ai jamais vu ça. Mais je peux comprendre ce qu’il lui arrive. Hooker n’a jamais été un très grand technicien contrairement à Lavillenie. Son “style” est très physique, c’est-à-dire qu’il rentre vraiment dans le perchoir avec toute sa puissance. Un an après Pékin, on l’avait vu devenir champion du monde alors qu’il était blessé. Il force beaucoup et la perche laisse énormément de douleurs car dans l’absolu, les perchistes ratent deux sauts sur trois avec souvent des conséquences physiques aussi petites soient-elles. A un moment donné, son corps et surtout sa tête ont peut-être dit non. La perche est un sport d’engagement total. Si vous laissez la perche de côté parce qu’elle vous fait peur, il y a des risques pour que vous ne resautiez plus jamais.»
Pendant son adolescence, Steve Hooker avait été victime d’un grave accident. Lors d’un saut, la perche lui avait échappé et était venue se planter au niveau de ses parties génitales. Le traumatisme moral fut le plus long à guérir. La peur était soudain devenue la compagne de ses entraînements, mais aussi de ses nuits parfois interrompues par des crises de larmes. «Je suis allé voir un psychologue du sport et les choses se sont arrangées, m’avait-il quand je l’avais rencontré à Melbourne, où il est né, en 2009. J’ai appris à visualiser mes sauts grâce à une méthode inspirée de l’hypnose.»
Comme un accident de voiture
Philippe Houvion se souvient aussi d’un saut pendant lequel sa perche s’était brisée et des mois qu’il lui avait fallu pour pouvoir retrouver son assurance. «C’est tout simplement comme un accident de voiture, résume-t-il. Plus vous tardez à reprendre le volant, plus la crainte s’installe. Mais il faut respecter cette peur en essayant d’en discuter avec son entourage. A mon époque, il n’y avait pas d’entraîneur mental. Mon coach, qui était mon père (NDLR: Maurice Houvion, grand entraîneur), était tout à la fois. Et je me souviens qu’il évoquait le terme de “péperche” pour évoquer ces moments où on ne peut plus assumer que des petits sauts.»
Mercredi 8 août, lors de la qualification de la perche à Londres, Steve Hooker a gagné son billet pour la finale comme Renaud Lavillenie. Peut-il garder son titre olympique aux dépens du Français? «Quelques jours avant de gagner ma sélection pour les Jeux olympiques de Moscou, mon père avait agi de la sorte avec moi, se souvient Philippe Houvion. Sur un tableau, il avait mis la Une de L’Equipe occupée par Thierry Vigneron qui venait de battre le record du monde. A côté, il avait découpé la phrase qui me concernait où il était écrit que je n’avais pas franchi 5,40m. Cela m’avait piqué au vif et j’avais battu le record du monde à 10 jours des Jeux. Parfois, il suffit de pas grand-chose pour se retrouver complètement lors d’une grande occasion.»
Yannick Cochennec