La scène se passe le 14 octobre 1900. Dans
son bureau de l’hôtel de Beauvau, le président du Conseil et ministre de l’Intérieur
Pierre Waldeck-Rousseau s’enquiert tous les quarts d’heure du déroulement d’une
épreuve olympique qui se tient au même moment de l’autre côté de Paris. Au
vélodrome de Vincennes plus précisément, où l’équipe de France de rugby
rencontre celle d’Allemagne, devant 3.500 spectateurs. L’occasion d’une «lutte,
courtoise, certes, mais violente», contre «nos ennemis de 1870» comme le dit le
rapport
officiel des compétitions de ces Jeux de 1900.
D’un côté, les Français en blanc, de l’autre, les Teutons en rouge
et noir pour ce qui était la première rencontre sportive entre les deux nations
depuis la déroute de
Sedan et la proclamation du Reich.
Waldeck-Rousseau est particulièrement inquiet du déroulement de
l’après-midi et d’éventuels débordements qui auraient ruiné l’image de la France,
organisatrice de ces deuxièmes JO modernes, en même temps que de l’exposition
universelle. Pourtant, le match, remporté
27 à 17 par les Français, fut, selon le compte-rendu officiel toujours, un
bel exemple de fraternité:
«Je n'ai pas besoin de dire si le public fut content. Il envahit la piste et acclama ses compatriotes. Mais l'équipe allemande eut sa large part de bravos, et ce qui est tout à fait remarquable, c'est l'attitude très digne, absolument correcte, courtoise et sportive de cette foule patriote pendant le fâcheux début de la partie. Cela est à retenir et à méditer. Le soir un banquet des plus cordiaux réunit Français et Allemands au restaurant Corraza.»
Apprécié de Coubertin
Ainsi, le temps d’un match de rugby, les Français s’accommodaient
des Fritz aux casques à pointes. Un exemple d’une valeur que l’ovalie aime à
s’arroger: le respect dans la victoire et dans la défaite. Un vaste écho à
l’hymne olympique.
C’est Pierre de Coubertin lui-même qui inclut le rugby au
programme des JO de 1900. Il est depuis de nombreuses années un féru de ce
sport, arbitrant notamment la première finale du championnat Racing-Stade
français en 1882.
La France est le premier champion olympique de rugby, après avoir battu l’Allemagne donc, puis la Grande-Bretagne (27-8), représentée par une troupe ayant quitté Birmingham pour Paris la veille de la finale. Dans les tribunes ce jour-là, 6.000 spectateurs, un dimanche matin à 9h, soit la plus forte affluence de ces JO. Autre fait marquant de cette rencontre, elle permet au franco-haïtien Constantin Henrique de Zubiera de devenir le premier participant et médaillé «de couleur» aux J.O, obtenant l’or en rugby et l’argent au tir à la corde.
Dernier match de l'histoire olympique
Fort de ce succès populaire, le rugby semble donc en bonne voie pour s’installer au programme des JO, ce qu’il fit de nouveau à Londres en 1908 (victoire de l’Australie sur la Grande-Bretagne), et à Anvers en 1920 (succès des Etats-Unis sur la France 8 à 0). Quatre ans plus tard, une nouvelle troupe d’étudiants de Stanford, Berkeley et Santa Clara dispose d’une sélection française au stade olympique de Colombes, devant 20.000 personnes, sur le score de 17 à 3.
Il s’agit du dernier match de l’histoire olympique du rugby, ce qui permet donc à un aréopage d’étudiants californiens d’être les tenants du titre olympique de rugby.
Pourquoi l’histoire s’arrête-t-elle ce jour-là? Premièrement, le match fut d’une violence rare. Après un Star spangled banner conspuée par la foule, les mauvais coups pleuvent, les bagarres se multiplient, la star française Adolphe Jauréguy quitte le terrain inconscient et en sang après un placage virulent. A la fin du match, l'international français Allan Muhr (lui-même né aux Etats-Unis) résume ainsi la partie:
«C'est ce qu'on peut faire de mieux sans couteaux ni revolvers.»
Surtout, la foule, mécontente du résultat, envahit le terrain. L’image du rugby est écornée par ce manque de courtoisie et de bienséance inacceptable pour les tenants de l’olympisme bourgeois de l’époque. Le départ de Pierre de Coubertin des institutions olympiques en 1925 a enterré le ballon ovale, et l’IRB, la fédération internationale de rugby, n’est jamais devenue membre du CIO.
Mourir à XV pour renaître à VII
Depuis, l’idée de réintroduire le rugby rejaillit de temps à
autre. Des sursauts bien vite oubliés, tant il apparaît impossible de caser une
épreuve de XV sur les trois semaines des réjouissances olympiques, étant
entendu que pour des raisons de santé, il faut au moins 5 jours de coupure
entre deux matchs de rugby.
Mais les défenseurs de l’ovalie, qui savent être de véritables
évangélistes quand il s’agit de faire du prosélytisme pour leur discipline, ont
trouvé leur cheval de Troie pour pénétrer à nouveau dans ce qui reste
l’évènement sportif le plus suivi au monde. Si le XV n’est pas
olympico-compatible, c’est par le VII qu’ils effectueront leur retour dans le
giron olympique. Recalé pour 2012 (même si les Britanniques n’oublient
pas leur sport fétiche), le rugby à VII a en effet été inclus au programme
des jeux de Rio en 2016, au même titre que le golf, après un vote qui l’a vu
écarter le squash, le karaté, le base-ball ou encore le softball.
Pourquoi ce choix? Déjà, et contrairement au XV, le niveau du VII
est beaucoup plus homogène. Si les Fidji et la Nouvelle-Zélande sont les
principales forces en présence, l’Australie, le Pays-de-Galles et l’Angleterre
voient poindre de nombreux challengers: l’Espagne, le Portugal, la Géorgie,
l’Argentine, les Etats-Unis, le Kenya ou encore la Russie, ont considérablement
haussé leur niveau de jeu, dominant régulièrement des équipes traditionnelles
du XV comme la France, l’Ecosse ou l’Irlande, qui ne sont pas certaines de
faire partie des douze qualifiées pour le tournoi olympique.
World series
Il en va de même chez les femmes, où la
Chine, le Canada, les Etats-Unis, le Brésil, la Russie, l’Espagne, la Tunisie
et les Pays-Bas ont participé au dernier tournoi international de Londres en
mars dernier, et se battront donc pour un billet olympique dans quatre ans. La
fédération chinoise a ainsi créé un groupe professionnel avec pour mission de ramener
une médaille de Rio.
«Dans un tournoi à VII, tous les pays sont capables de gagner
aujourd'hui, expliquait Bernard Lapasset, le président de l’IRB, dans
les colonnes de Midi Olympique.. [...] C'est un sport festif, avec un
public jeune». Un point important pour un jeu qui se veut hyper
spectaculaire, simple à comprendre (peu de mêlées, de mauls etc.) rapide (deux
mi-temps de 7 minutes) et davantage basé sur la course et l’évitement que sur
le contact et le combat.
Depuis 1999, l’IRB organise chaque année ses «World series», une compétition sur dix tournois de deux jours. Les plus relevés et les plus médiatiques ont lieu à Wellington (Nouvelle-Zélande), l’occasion d’une grande fête du déguisement, mais surtout à Las Vegas, Dubaï et Hong Kong. Le VII est aussi au programme des Jeux du Commonwealth, un évènement sportif de premier plan dans le monde anglophone.
Spectacle, commerce et universalité
L’argument économique que représente le VII comme «produit
d’appel» vers le XV dans des contrées éloignées des chapelles de l’ovalie
a séduit les pontes du rugby. Et aussi le CIO, tout heureux de trouver un
sport festif, spectaculaire, universalisant (imaginez des médailles pour les
Fidji et les Samoa) et commercialement attractif.
L’IRB et les fédérations nationales ont d’ailleurs bien compris
l’importance du VII pour leur développement. «Une médaille olympique
augmenterait le pedigree de l'équipe, et le plus tôt sera le mieux», observait
récemment le capitaine néo-zélandais DJ Forbes dans un pays où le VII est
vu comme un bon complément du XV en termes de préparation physique et de
maitrise technique, mais où il demeure bien difficile de sortir de l’ombre des
All Blacks.
«Il y aura pas mal de gars qui vont se
concentrer sur leur participation dans l'équipe pour la Coupe du monde (en
Angleterre en 2015, ndlr) et après ça, beaucoup de All Blacks devraient aussi
se concentrer sur l'équipe de VII à cause du prestige des jeux Olympiques», expliquait à l’AFP l’ancienne star de Toulon et des Blacks Tana
Umaga, pour qui la spécialisation des joueurs est en cours. «Vous allez
devoir probablement décider plus tôt sur ce que vous souhaitez vous concentrer:
le XV ou le VII. C'est un peu comme être un sprinteur ou un lanceur de poids,
vous devez choisir, vous ne pouvez pas faire les deux».
En France, après un certain retard, la FFR a pris le train en
marche en créant tous azimuts des coupes et championnats ces dernières années,
particulièrement dans les catégories de jeunes. Surtout, elle a fait signer des
contrats fédéraux à plusieurs joueurs, s’assurant leur disponibilité à l’année
pour les tournois du World Series, avec comme objectif de ne pas rater la
marche olympique.
Longtemps formée d’espoirs et de pros qui y
voyaient une distraction l’espace d’un tournoi, l’équipe de France accueille
désormais quelques joueurs confirmés du Top 14 qui se consacrent exclusivement
à la discipline, comme l’ancien Perpignanais Julien Candelon, qui fut
sélectionné à XV. Les Bleus viennent d’ailleurs d’assurer leur qualification
pour la prochaine Coupe du monde en Russie. Et espèrent se renforcer avec
quelques internationaux dans l’optique de 2016.
Ludovic Job