Comme toute histoire, l’histoire que vous allez lire nait d’une frustration, s’alimente d’une envie de revanche et finit par une apothéose cathartique. Mais plus que toute autre, c’est une histoire américaine dont les héros sont des superhéros, les méchants ne sont pas vraiment méchants, la revanche n’en est pas vraiment une et l’apothéose est un happy end de joie universelle. C’est le parcours de la Dream Team, la meilleure équipe de sport collectif de tous les temps.
Il commence le 28 septembre 1988, pendant la Guerre froide, cette période où tout, un pays, un voyage dans l’espace, un évènement sportif ou un prix Nobel, était l’excuse parfaite pour une compétition entre l’occident et les pays du bloc soviétique. Ce jour-là, l’URSS bat les Etats-Unis (82-76) en demi-finale des Jeux olympiques de Séoul, alors que la
Imaginez le poids symbolique d’une défaite en basket, ce sport que les américains considèrent comme leur appartenant. Il est vrai qu’ils avaient déjà perdu la finale des Jeux de 1972 face à l’URSS laissant échapper, pour la première fois depuis 1936, la médaille d’or olympique.
La fin de l'injustice
Sauf que les Etats-Unis n’ont jamais vraiment reconnu cette défaite (les joueurs ne sont pas montés sur le podium et n’ont toujours pas de médailles) à cause d’une fin de match très controversée.
Rien de tout cela en 1988 où la défaite fut indiscutable. «J’étais honteux (…) nous avions le drapeau de notre pays sur le torse et nous n’avons pas fait notre travail», dit David Robinson, l’un des futurs joueurs de la Dream Team, présent en 1988, pour expliquer la blessure que représenta cette défaite. Il fallait se venger. Pour cela, tous les moyens étaient bons. Et parmi eux, la possibilité de pouvoir faire jouer des basketteurs professionnels de NBA.
Car, jusque-là, à cause d’une règle olympique, les Etats-Unis ne pouvaient envoyer que des joueurs universitaires aux Jeux olympiques. «Toutes les autres équipes utilisaient des pros qui jouaient contre des jeunes de 18-19 ans! C’est vraiment injuste», explique avec sa franchise habituelle Charles Barkley.
Comme cela arrive pour le foot par exemple, les meilleurs n’allaient pas aux JO et cela ne rendait pas la compétition vraiment passionnante. Le secrétaire général de la FIBA, Boris Stanković, changea tout ça et les Etats-Unis purent présenter leurs stars de la NBA en 1992.
La revanche avortée
L’affront allait être lavé, l’honneur des Etats-Unis blanchi et les Russes allaient payer pour leur témérité. C’était sans compter sur la chute du mur de Berlin. Avec la dissolution de l’URSS, la vengeance n’avait plus de raison d´être, les bad guys ayant disparus, et ce qui devait être un western sanglant est vite devenu une comédie romantique avec la terre entière amoureuse d’une équipe de rêve que l’on ne reverra jamais plus.
Une amourette d’été devenu un mythe grâce à un improbable et surprenant concours de circonstances. Mais surtout par l’extraordinaire qualité des joueurs présents, fruit d’un timing et d’une relève générationnelle sans précèdent. «Onze Hall of Fame. Je ne pense pas que vous puissiez refaire ça un jour», explique Michael Jordan dans le documentaire (The Dream Team) qu’a dédié la chaine américaine NBATV à l’anniversaire.
Parmi eux, des légendes comme Larry Bird et Magic Johnson, grands dominateurs de la NBA dans les années 80, avec 8 titres (1980, 1981, 1982, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988) de champion à eux deux. Les deux génies étaient au crépuscule de leur carrière. Bird était gêné par une blessure chronique au dos qui allait l’obliger à arrêter cette même année et Magic sortait d’une saison quasi blanche après avoir annoncé qu’il était séropositif. Mais ils voulaient quand même être de la partie.
Les stars des années 1990
Pour les épauler, toute la nouvelle génération de stars qui allaient dominer le jeu pendant les années 1990 et faire de la NBA le show qu’il est aujourd’hui. Le couple d’austères bosseurs des Utah Jazz Karl Malone et John Stockton, la tour new-yorkaise Pat Ewing, l’élégant et efficace Clyde Drexler, le redoutable tireur d’élite Chris Mullin, l’agile danseur du panier David Robinson des Spurs et l’imprévisible et loufoque Charles Barkley.
Pour faire simple, tous les adversaires que l’incomparable Michael Jordan, star montante de l’époque (il venait de remporter son deuxième titre de sa première série de trois), allait battre sans merci durant les années à venir. Il venait de le faire avec les Lakers de Magic en 1991, les Portland Trail Blazers de Drexler en 92 et ferait de même avec les Suns de Barkley en 93 et les Jazz de Malone et Stockton en 97 et 98.
Avec le feu vert de Jordan, et de son acolyte Scottie Pippen, la Dream Team réunissait les meilleurs du basket mondial sur presque vingt ans. Le dernier heureux élu était l’universitaire de Duke Christian Laettner, sorte de clin d’œil ironique et amusant à cette époque révolue du basket amateur américain aux JO.
Un conte américain
Mais, au-delà du palmarès et de la redoutable qualité, cette équipe avait un glamour et une aura difficilement comparable. Il y a eu (et il y aura) de très bonnes équipes, mais la Dream Team était bien plus que ça. Une espèce de scénario de Disney parfaitement concocté où chacun était là pour représenter un petit bout de l’histoire du basket et des Etats-Unis en général.
L’affrontement West Coast-East Coast avec le blanc travailleur et introverti (Bird) face au noir décontracté, souriant et extraverti (Magic), réunis pour la première fois dans une même équipe. Le caractériel et incontrôlable loubard qui chambre l’Angola avant le premier match (Barkley) jouant aux côtés de deux gars, sérieux et stakhanovistes, de l’Amérique profonde (Malone et Stockton). Et survolant tout ça, Michael Jordan, celui qui allait devenir le meilleur joueur de tous les temps.
Y avait-il un meilleur scénario possible? Oui, mettre Chuck Daly, entraineur des Detroit Pistons, les dénommés bad boys de la NBA et archi-ennemis des Bulls, sur le banc de l'équipe. Et que celui-ci ne sélectionne pas Isiah Thomas, son joueur fétiche mais ennemi juré de Michael Jordan. Droit de véto pour MJ? Sûrement. En tout cas, du grand art dramatique. Tout cela a fait la légende de cette équipe.
Comme les entrainements qui ressemblaient à un match NBA entre l’équipe de Magic et celle de Jordan et particulièrement ce match, devenu mythique, lors du training camp à Monte Carlo («le meilleur match auquel j’ai participé», dixit MJ). Comme la non moins mythique défaite (la seule) de la Dream Team lors du premier match d’entrainement face à une équipe d’universitaires où l’on retrouvait quelques stars à venir comme Grant Hill ou Chris Webber.
«On ne peut pas cacher le soleil avec son doigt»
La suite on la connait. Les Etats Unis se qualifièrent pour les JO après avoir remporté tous les matchs du tournoi des Amériques avec une avance de 53 points de moyenne. Le coach de Cuba, Miguel Calderón Gómez, qui venait de voir son équipe perdre de 79 points et ses joueurs uniquement préoccupés d’avoir une photo de leurs idoles, trouva une belle formule: «On ne peut pas cacher le soleil avec son doigt».
Et le soleil brilla aussi intensément à Barcelone où la Dream Team remporta tous ses matchs avec une avance moyenne de presque 44 points. Quand on gagne le premier match de 68 points (116 à 48 face à l’Angola) et le dernier, face à la Croatie de Toni Kukoc et Drazen Petrovic, de 32 points, il n’y a presque plus rien à dire.
On peut analyser leur vitesse, l’intensité défensive qui leur permettait des contre-attaques fulgurantes, la vision de jeu de Magic et Bird, la force de Barkley et Ewing ou le génie magique de MJ, mais il vaut mieux s’assoir et regarder. Profiter de celle qui a été la meilleure équipe collective de l’histoire du sport.
«Quand je regarde en arrière, cet été semblait durer pour toujours et si j’avais le choix, oui je voudrais être là-bas», chante Bryan Adams dans son fameux Summer of 69. Pour les fans de sport, l’été de rêve fut celui de 1992 et cette Dream Team qui a aujourd’hui 20 ans. Cette vengeance qui n’en fut jamais une mais qui devint la plus belle histoire de basket du monde.
Aurélien Le Genissel