Vous n’imaginez pas mon désarroi la première fois que je me suis retrouvé sur un terrain de football. Contrairement à ce que me faisait miroiter le petit écran, j’ai passé plus de temps à me faire engueuler par mes coéquipiers à cause de mon placement erratique qu’à toucher la balle. Bienvenue sur un terrain de (vrai) football. Un peu comme pour le porno, ce qu’on vous montre est loin de la réalité. Il s’agit d’un odieux montage destiné à être le plus spectaculaire possible.
Des images tronquées
Pour commencer, les réalisateurs français prennent un malin plaisir à nous montrer le plus souvent possible des joueurs seuls, balle au pied. Comme l’a démontré brillamment le site les Cahiers du Football, la France souffre d’un mal incurable: on ne voit jamais le jeu se développer. Entre les gros plans et les ralentis (plus de 100 par match) des actions décisives ou litigieuses, on ne voit quasiment plus le match.
Image extraite de l’article «Les réalisateurs français hors-jeu» des Cahiers du Football
L’euro a permis aux auteurs des Cahiers de comparer les réalisateurs français à leurs homologues étrangers. Premier constat, nos représentants découpent leurs matchs en 900 plans, environ, contre 600 à 700 pour les Anglais et Allemands.
D’autre part, leur fâcheuse tendance au plan serré et au ralenti empêche mécaniquement de montrer le jeu. Un François Lanaud va montrer 23% de plans serrés ou de ralentis alors que l’Anglais Jamie Oakford se contente de 16%.
Il faut dire que ce dernier propose des plans larges de 25 secondes contre 14 secondes pour le frenchie… A croire que les réal’ hexagonaux veulent créer une illusion de rythme en enchaînant les séquences là où leurs collègues étrangers laissent au téléspectateur le loisir d’apprécier le mouvement d’ensemble des équipes…
Apologie des individualités dans les commentaires
Cette fâcheuse tendance des réalisateurs n’est malheureusement pas toujours compensée par une analyse particulièrement éclairée des commentateurs et des consultants. L’accent est souvent mis sur la capacité individuelle de quelques stars à faire la différence sur un dribble.
On parle rarement de l’arrière latéral qui par un bon placement coupe une trajectoire de passe et force l’adversaire à un dribble impossible, et on oublie trop souvent l’attaquant dont l’appel libère l’espace au milieu qui peut placer une frappe pleine lucarne. Pourtant, même Xavi passe l’écrasante majorité de son temps sur un terrain sans avoir la balle aux pieds.
Quand on regarde un match au stade, on s’aperçoit qu’une équipe est un bloc cohérent. Les déplacements de chacun dépendent de ceux des autres. Tous les équipiers doivent avoir une grande intelligence collective pour faire les bonnes courses au bon moment. Le grand Arrigo Sacchi attachait les joueurs les uns aux autres par des élastiques pour leur apprendre à se déplacer ensemble.
Les critiques pleuvent en ce moment sur le rythme lent des Espagnols et leurs victoires 1-0 à la dernière Coupe du monde. Mais cette équipe épuise son adversaire pendant 60 minutes pour après profiter d’une erreur défensive comme un mauvais alignement contre la Croatie. Oui, la balle de Fabregas est magnifique. Mais il profite du travail effectué par toute l’équipe pour fatiguer son adversaire direct qui lui laisse trop de temps pour ajuster son ballon.
Gagner sans stars
La plus grande force de l’Espagne réside peut-être dans cette capacité à savoir ne pas accélérer. Contrairement à un Franck Ribéry qui jouera toutes ses balles à fond, les Espagnols n’accélèrent que si le reste de leur équipe est placée pour les suivre.
Un footballeur n’est rien sans une équipe cohérente autour de lui. D’ailleurs, des équipes sans stars arrivent régulièrement à battre des joueurs intrinsèquement meilleurs. On parle de Quevilly en coupe de France, de la Grèce en 2004, de Porto et Monaco en Ligue des champions saison 2003/2004.
Certains joueurs actuels sont aussi le fruit d’une certaine image que la télévision renvoie du football. Une image individualiste et spectaculaire, loin des valeurs d’abnégation et d’entre-aide.
Hatem Ben Arfa, Samir Nasri et Jérémy Ménez sont capables de tout faire avec un ballon. Malheureusement ils ne savent pas toujours quand le faire, et préfèrent tenter un dribble que décaler un coéquipier. C’est «l’intelligence de jeu» que Laurent Blanc envie aux Espagnols.
Bien sûr, la télé française n’est pas responsable de cette
différence entre les deux côtés des Pyrénées. Mais les commentateurs qui fustigent l'individualism
Olivier Monod